LE RAPPORT DÉTONNANT SUR LES ALLOCATIONS FAMILIALES
Un peu moins d’égalité pour un peu plus d’équité. Dans un rapport révélé, lundi 1er avril, par le site Internet des Echos, et que Le Monde s’est procuré, Bertrand Fragonard propose une petite révolution de la politique familiale. L’une des recommandations les plus fortes du président délégué du Haut Conseil de la famille consiste à faire varier les allocations familiales en fonction du revenu. Les plus riches continueraient de percevoir ce type d’aides mais à un niveau inférieur à celui accordé aux ménages moins aisés. L’objectif est de donner davantage aux familles les plus modestes, tout en rétablissant l’équilibre financier de la branche famille.
Les préconisations de M. Fragonard, qui doivent être discutées, jeudi 4 avril, par le Haut Conseil de la famille, s’inscrivent dans le cadre d’une mission très sensible que lui avait confiée, le 23 janvier, Jean-Marc Ayrault. Le premier ministre avait demandé à cet expert des politiques sociales de « proposer plusieurs scénarios » afin d’effacer, au plus tard en 2016, les 2,6 milliards d’euros de déficit annuel de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). M. Ayrault suggérait notamment d’identifier des gisements d’économies sur les prestations attribuées aux ménages.
Cette démarche a suscité de nombreuses prises de position et des débats très vifs. Le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, a suggéré de fiscaliser les allocations familiales. Deux députés PS, Gérard Bapt et Pascal Terrasse, ont, de leur côté, préconisé de diviser par deux les prestations données aux ménages franchissant un certain seuil de revenus.
RÉDUCTION DES AIDES POUR LES MÉNAGES AISÉS
Lors de son intervention télévisée, le 28 mars, François Hollande a repoussé l’idée d’intégrer dans l’assiette de l’impôt sur le revenu les allocations familiales. En revanche, il s’est déclaré partisan d’une réduction des aides pour les ménages aisés : « Que les plus hauts revenus aient les mêmes allocations, non ! Ce sera revu », a-t-il lancé.
C’est l’une des pistes explorées par M. Fragonard. A l’heure actuelle, les allocations familiales sont attribuées à toutes les familles comptant au moins deux enfants à charge (soit 4,7 millions de bénéficiaires). Les sommes allouées sont les mêmes, quel que soit le niveau des ressources. Le rapport propose de rompre avec ce « principe d’uniformité des allocations familiales » et de moduler leur montant suivant les revenus. Le but est de faire porter l’essentiel de l’effort sur les 20 % de ménages les plus aisés (deux premiers déciles).
Ce schéma, ajoute le rapport, obéit à « deux impératifs » : épargner « le haut des classes moyennes » et préserver autant que possible « la progression de ces en fonction de la taille de la famille ».
PLUSIEURS SCÉNARIOS PROPOSÉS
Plusieurs options sont mises en avant par M. Fragonard en fonction de l’ampleur des économies à réaliser. Dans l’hypothèse la plus douce (450 millions d’euros à trouver), les prestations commenceraient à baisser pour une famille avec deux enfants percevant 7 296 euros de revenus par mois ; au-delà de 10 215 euros par mois, les ménages avec deux enfants ne toucheraient plus que 25 % des allocations actuelles. Dans l’hypothèse la plus dure (1,55 milliard d’économies), les prestations baisseraient à partir d’un seuil de 3 885 euros et seraient plafonnées à 25 % au-delà d’un revenu mensuel de 5 866 euros. Conséquence logique, le « pourcentage des perdants » serait directement indexé sur les sacrifices à consentir : 7 % d’allocataires touchés si l’économie atteint 450 millions ; 28 % pour 1,55 milliard d’euros.
Le rapport écarte une refonte profonde du quotient conjugal, du quotient familial ainsi que la « familialisation » de la CSG, qui renvoient à une réforme plus globale des prélèvements. Bien que M. Hollande ait exclu une fiscalisation des prestations, le rapport analyse cette mesure dont le rendement varie de 730 millions d’euros à 1,677 milliard selon qu’elle concerne les seules allocations familiales ou l’ensemble des prestations familiales. Ce scénario, qui augmenterait le taux de prélèvements obligatoires de 0,08 point de PIB, concernerait de nombreux ménages et créerait des contribuables nouveaux. Les familles nombreuses ayant des adolescents à charge seraient les plus sollicitées.
RÉFORME DU QUOTIENT FAMILIAL
L’autre piste est celle du durcissement du plafond du quotient familial, qui vise les ménages les plus aisés dès leur premier enfant. Le plafonnement, fixé depuis 2013 à 2 000 euros par part, concerne déjà 1,8 million de ménages. Le faire passer à 1 750 ou à 1 500 euros rapporterait respectivement 430 et 915 millions d’euros. Un million de ménages seraient concernés (10 % des foyers fiscaux ayant des enfants à charge). Le supplément d’impôt moyen atteindrait 36 et 68 euros par mois.
Le champ de la réforme du quotient familial est plus large que celui de la mise sous condition de ressources des allocations familiales : il concerne les familles d’un enfant et celles ayant un enfant de plus de 20 ans rattaché au domicile fiscal de ses parents. De ce fait, la réforme du quotient familial pèserait nettement moins sur les familles ayant des enfants à charge, au sens des prestations familiales, que la baisse des allocations familiales.
Le rapport propose par ailleurs de mettre fin aux réductions d’impôt sur le revenu liées à la scolarisation au collège et au lycée, ce qui rapporterait 235 millions d’euros.
Après avoir retrouvé l’équilibre en 2016, la branche famille devrait à nouveau dégager des excédents. C’est à ce moment que les pouvoirs publics auront « des arbitrages » à rendre sur l’emploi de cette manne, insiste M. Fragonard. Il leur faudra choisir entre deux possibilités : réviser l’architecture des prestations ou rééquilibrer le système, par exemple en développant l’offre d’accueil des enfants au détriment des « prestations monétaires « .
Bertrand Bissuel et Claire Guélaud
source : lemonde.fr