Les scandales alimentaires à venir
La première, publiée en 2011, montre la présence dans le lait – de vache, de chèvre ou d’humain – d’anti-inflammatoires, de bêtabloquants, d’hormones et bien sûr d’antibiotiques. Le lait de vache contient le plus grand nombre de molécules.
La seconde, qui date de 2012, est encore plus saisissante. Une équipe de chercheurs a mis au point une technique de détection des résidus dans l’alimentation, en s’appuyant sur la chromatographie et la spectrométrie de masse.
Analysant des petits pots pour bébés contenant de la viande, ils y ont découvert des antibiotiquesdestinés aux animaux, comme la tilmicosine ou la spiramycine, mais aussi des antiparasitaires, comme le levamisole, ou encore des fongicides.
Certes à des doses très faibles – en général –, mais, comme on le verra, la question se pose aujourd’hui dans des termes neufs.
On remarquera que, dans le scandale en cours, un mot a presque disparu : phénylbutazone. Cet anti-inflammatoire, on le sait, a été retrouvé dans des carcasses de chevaux exportés vers la France.
UNE FRAUDE ISOLÉE ?
La phénylbutazone est un produit dangereux, interdit dans toute viande destinée à la consommation humaine. S’agit-il d’une fraude isolée ? Ou bien, comme certains éléments permettent de l’envisager, d’une pratique tolérée par les autorités de contrôle ?
Nul besoin d’une vaste enquête pour avoir une idée de l’incroyable pharmacopée destinée aux animaux d’élevage. La liste des produits autorisés contient de nombreux douvicides (contre des vers parasites), anticoccidiens (parasites de l’intestin), anthelminthiques (vermifuges), hormones, vaccins, neuroleptiques et antibiotiques.
Sait-on comment l’oxytétracycline se mélange avec la gonadolibérine chez un poulet ? Comment le flubendazole se marie avec l’azapérone et les prostaglandines PGF2 dans la chair d’un porc ? Le thiabendazole avec le diazinon ou le décoquinate dans le sang d’une bonne vache charolaise ?
Aucune étude sur les effets de synergie de ces produits n’est menée. Il n’est pas dit qu’elles seraient possibles.
Lorsque c’est le cas, on découvre en tout cas un nouveau monde. Le 3 août 2012, la revue PloS One publiait un travail sur les effets combinés de trois fongicides très employés dans l’agriculture. Leur association provoque des effets inattendus sur les cellules de notre système nerveux central.
Commentaire de l’un des auteurs, Claude Reiss : « Des substances réputées sans effet pour la reproduction humaine, non neurotoxiques et non cancérigènes ont, en combinaison, des effets insoupçonnés. »
LA DOSE FAIT LE POISON
Aujourd’hui encore, le principe de base de cette discipline est le Noael (No observed adverse effect level), ou dose sans effet toxique observable. Longtemps avant Noael, son précurseur Paracelse – un magnifique alchimiste du XVIe siècle – résumait à sa façon le paradigme actuel de la toxicologie : « Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose fait qu’une chose n’est pas un poison. »
Mais la connaissance bouscule les idées en apparence les plus solides. Le lourd dossier des perturbateurs endocriniens vient rebattre les cartes de manière spectaculaire.
LES PRINCIPAUX ORGANES TOUCHÉS PAR LES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS
En deux mots, ces substances chimiques imitent les hormones naturelles et désorientent des fonctions essentielles du corps humain, comme la reproduction ou la différenciation sexuelle.
Or les perturbateurs agissent à des doses si faibles que l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a pu conclure, dans un rapport de 2011, que les effets de l’un d’eux, le bisphénol A, étaient avérés à « des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires ».
Il est certain que ce seul propos marque un tournant. Car du même coup, la dose journalière admissible (DJA) du bisphénol A – sa limite légale – pourrait être divisée par… 2 millions, selon le toxicologue André Cicolella.
Le bisphénol A pourrait même « avoir des effets plus importants à très faible niveau d’exposition qu’à haut niveau », ce qui mettrait à bas tout l’édifice.
Quel rapport avec cette fraude géante appelée désormais « horsegate » ? C’est on ne peut plus limpide : nul ne sait ce que contient réellement la viande industrielle. Et nul ne veut savoir. Dans la lutte contre l’orgie d’antibiotiques donnés au bétail, le ministère de l’agriculture apparaît comme un Janus biface.
RETRAIT DU BISPHENOL A DANS LES CONTENANTS
D’un côté, des promesses, et, de l’autre, l’inaction. Il lance fin 2011 un plan de réduction « de 25 % en cinq ans de la consommation des antibiotiques destinés aux animaux », mais que n’a-t-il oeuvré auparavant ? Entre 1999 et 2009, l’exposition du bétail à ces médicaments a augmenté de 12,5 %.
Certes, le volume global a baissé entre ces deux dates, mais les nouveaux produits sont actifs à des doses plus faibles. La situation s’aggrave, alors que l’antibiorésistance a été repérée dès avant la seconde guerre mondiale.
LES INFECTIONS NOSOCOMIALES
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a rendu, en 2010, un avis indiquant que le réservoir du CC398 se trouve chez les bovins, la volaille, mais surtout chez les porcs. Ce CC398 est un staphylocoque doré résistant à la quasi-totalité des antibiotiques : un SARM
UN ÉLEVAGE INTENSIF
Fait inquiétant, le SARM animal est de plus en plus présent dans les infections humaines, et une étude néerlandaise (Voss et al., 2005) établit que les producteurs de porcs sont 760 fois plus touchés que la population générale.
C’est dans ce contexte de grande inquiétude que l’EFSA lance en 2008 une enquête européenne. Disons franchement qu’elle étonne. Laissons de côté le mystère britannique, qui ne reconnaît aucun cas de SARM animal.
L’Espagne, en revanche, a retrouvé la souche CC398 dans 46 % des élevages porcins, l’Italie dans 14 % d’entre eux, l’Allemagne dans 43,5 % et la Belgique dans 40 %. Autrement exprimé, tous nos voisins sont fortement touchés. Mais pas nous.
Nos services ne rapportent que 1,9 % d’élevages porcins frappés par le SARM animal, dont tout le monde sait qu’il tue en France un nombre inconnu, mais en toute hypothèse élevé, de malades.
DES PORCS IMPROPRES À LA CONSOMMATION
Aucune équipe gouvernementale, depuis cinquante ans, n’a osé ouvrir le dossier infernal de l’élevage industriel et de la folie des antibiotiques. Le moment est peut-être venu.
Source : Fabrice Nicolino, enquêteur, chroniqueur et reporter paru sur le monde du 25 février 2013