FEMMES/HOMMES, un nouvel ordre mondial ?
Moment historique
Vendredi 15 mars 2013, à l’issue de deux semaines de négociations, les 193 États membres de l’ONU, surmontant leurs profondes divergences, se sont accordés sur une déclaration commune dénonçant les violences faites aux femmes et définissant un code de conduite pour les combattre. Ils ont surtout souligné, dans une déclaration solennelle de cette 57e session annuelle de la Commission sur le statut de la femme que la violence contre les femmes et les filles ne pouvait être justifiée « par aucune coutume, tradition ou considération religieuse. »
Il est tout à fait remarquable de noter que certains pays comme l’Iran, la Libye, le Soudan ou d’autres pays musulmans à l’origine très réticents vis-à-vis de cette déclaration, ont tout de même accepté de la signer.
Certains États n’ont cependant adopté ce texte que du bout des lèvres. L’Iran, l’Égypte, l’Arabie Saoudite, le Nigeria mais également le Honduras et le Vatican ont tenu à émettre des « réserves » qui soient officiellement consignées. Jusqu’à la dernière minute, ces États ont tenté d’introduire un amendement rédigé par l’Égypte pour que les recommandations de l’ONU ne s’appliquent pas si les lois, les coutumes ou des traditions religieuses d’un pays s’y opposent. Amendement qui a été rejeté. Nous pouvons évidemment remarquer que ces réserves relèvent essentiellement de pays musulmans ayant pour loi étatique la charia – ou s’apprêtant à l’adopter – loi reposant sur l’inégalité de la condition homme-femme comme fondement de la société.
Humanité et hommanité
Les progrès de l’égalité homme/femme en Occident – même si on les sait encore bien insuffisants – déclenchent de violentes réactions, notamment représentées par l’apparition de néologismes très significatifs. Le terme humanité, qui désigne à la fois, dans la langue française, la communauté des humains mais également une qualité morale – l’humanité – est aujourd’hui malencontreusement détourné en hommanité pour insister sur la soi-disant prééminence du masculin dans l’espèce humaine. Ce curieux néologisme, qui fleurit sur Internet vient en réaction caricaturale à la déchéance de la domination masculine. Au fil des pages du Web, on rencontre : « Tous unis contre le fléau de l’hommanité : la femme ! » ; « C’est à te flanquer la honte d’être un homme. C’est à te faire douter de l’hommanité » ; « On ne dira plus humanité, maintenant on va dire hommanité parce que c’est les hommes qui sont les plus forts sur notre planète » ; « Il n’y a de communauté que phallique. Nul paternalisme à l’égard des femmes, que cela retranche franchement de « l’hommanité » »… Un autre terme fleurit également depuis quelques années pour s’opposer au féminisme (qui dénaturerait l’humanité par un nouvel ordre, insupportable, celui des femmes), le masculinisme, qui consiste essentiellement à contrer le féminisme, qualifié d’oppressif et de dangereux. Pour les masculinistes, les sociétés occidentales contemporaines sont malades de leur domination par des valeurs trop féminines, c’est un ordre qu’il faut abolir.
Il faut se rendre à cette évidence qu’une part non négligeable des hommes aujourd’hui en Occident, où les rapports femmes/hommes sont plus égalitaires, semblent se sentir dépossédés de leur place légitime, de leur position dominante, de leur légitimité masculine en raison d’une trop grande place (à leurs yeux) laissée à leurs compagnes. La révolution du féminisme, qui n’est tout simplement qu’une légitime réparation d’un ordre masculin qui s’est imposé au début de l’humanité, semble encore très insupportable à la majorité des mâles actuels de l’espèce humaine. La plupart des études, en Occident, estiment que près d’un homme sur trois est encore très dominant, ou machiste, et peu capable d’autocritique*. Au monde entier, la proportion est bien plus importante dans la mesure où la plupart des traditions – si ce n’est la presque totalité – érigent cette domination comme une règle naturelle assumée par les hommes et à laquelle les femmes se soumettent également « naturellement ».
Nature et culture
Ce que l’on estime naturel ne l’est heureusement pas toujours, surtout lorsque l’on n’a pas interrogé la nature pour le savoir. Si l’on veut parler du rapport de forces entre les sexes, il n’en va pas de même en milieu naturel. il n’est pas inutile de rappeler que cette « domination masculine » est strictement humaine, qu’elle n’existe aucunement – du moins sous la forme sociale que nous lui connaissons – dans les espèces animales proches de nous et notamment les primates. Pas de domination des mâles sur les femelles, alors que les différences de taille et de puissance physique sont bien plus marquées que chez nous. Pas non plus de domination, ni d’imposition, par le sexe dans ce monde animal très proche de nous, puisque ce sont en général les femelles – et non les mâles – qui expriment leur désir et approchent le partenaire.
S’il existe de la rivalité et de l’agressivité intra-sexuelle, c’est-à-dire des mâles entre eux ou des femelles entre elles, aucune agressivité inter-sexes dans la mesure où coexistent parallèlement les femelles avec leurs petits et les mâles souvent électrons libres. Dans la mesure surtout où il n’existe pas – ou très rarement – de « couple » chez les mammifères, et donc les grands primates dont nous sommes issus. Donc pas d’interactions conjugales susceptibles d’engendrer des tensions, des conflits, de l’agressivité.
Lorsqu’on regarde l’ensemble des sociétés humaines, dès leur apparition, nous observons une règle constante que Pierre Bourdieu a justement nommée « la domination masculine »**. Une seule explication à cela : à l’aube de l’humanité, pour des raisons dont nous ne pouvons faire que des hypothèses, les mâles ont pris possession des femelles.
Plusieurs hypothèses ont été avancées, celle de la psychanalyse : Jean Cournut*** nous affirme que « les hommes dominent les femmes parce qu’ils en ont peur. » Et il ajoute que cette peur, selon Freud, viendrait du fait qu’elles sont castrées et donc, en réaction, castratrices ! C’est certainement assez juste sur un plan symbolique, car la crainte des réactions féminines par les hommes est une constante réalité aujourd’hui. Entre Freud et Bourdieu, Nancy Huston**** explique cette domination par l’affirmation d’un rapport masculin à un féminin « archaïque » – caractérisé par la mère et la prostituée – amenant à penser que c’est parce que les hommes naissent des femmes qu’ils auraient besoin de les violenter. L’hypothèse anthropologique la plus habituelle est enfin de justifier cette domination par la nécessité pour les hommes de s’assurer de leur paternité en s’appropriant une femme, en la séquestrant, en la dominant.
Après des millénaires de domination masculine, les conséquences sont monstrueuses : oppression, servitude, contraintes, esclavage, viols, meurtres… sous couvert du soi-disant droit de la tradition. Mais quelle légitimité a ce droit ? Certainement pas celui de la nature, dans laquelle nous nous trouvons pas trace de cette domination masculine. Si des raisons aujourd’hui oubliées ont pu justifier l’instauration de cet ordre du monde, elle n’ont plus aujourd’hui raison d’être. C’est un nouvel ordre mondial qui se met en place, un ordre guidé par le principe de démocratie : démocratie sociale, démocratie dans la famille, démocratie dans le couple, qui instaure des droits égaux à chaque membre de la société, de la famille, du couple. Ce principe d’égalité se heurte bien évidemment à la résistance de l’ordre ancien, celui de la domination qui mettra encore certainement quelques dizaines d’années à s’estomper. Espérons que ce ne sera pas des siècles. Cette déclaration historique de l’ONU est une étape décisive pour que les hommes et les femmes puissent désormais vivre à égalité, main dans la main.
Phillipe Brenot
Source : http://sexologie.blog.lemonde.fr