Waterman : Rajendra Singh ou l’art de faire renaître un territoire grâce à ses savoirs ancestraux

article complet par Gerald Marten , Steve Brooks , Amanda Suutari: http://www.delaplanete.org/Points-de-bascule-environnementaux.html

 

 

Dans l’Etat du Rajasthan au nord-ouest de l’Inde, l’eau a toujours été rare dans le district d’Alwar. Une petite moyenne de 40 centimètres de précipitations par an, principalement pendant la saison de la mousson. Mais depuis des millénaires, les fermiers ont collecté l’eau de pluie pour en récupérer un maximum. Ils ont construit des johads, des digues de terre pour retenir l’eau de la mousson. L’eau des réservoirs des johads s’est infiltrée dans les aquifères du sous-sol, ré-alimentant ainsi les puits et permettant aux forêts de vivre sur plus de 60% du district.

L’équilibre délicat d’Alwar a été rompu dans les années 1940, lorsque l’exploitation forestière commerciale a déclenché une lente réaction en chaîne. La couche arable a été entraînée le long des pentes raides et a obstrué les johads. Avec moins de johads pour remplir la nappe phréatique, les puits et même les rivières ont commencé à s’assécher.

Un cercle vicieux a accéléré ce déclin. Les puits tubulaires modernes ont permis de forer plus profond et de pomper plus d’eau souterraine, entraînant l’utilisation de puits toujours plus profonds. Moins d’eau souterraine signifie moins de puits en activité, moins de végétation et donc encore plus d’érosion. Avec moins d’eau disponible pour l’irrigation, l’agriculture a décliné et les hommes sont partis travailler à la ville. Les femmes et les enfants ont dû passer jusqu’à 10 heures par jour à chercher du bois de chauffage et de l’eau. Le déclin de la main-d’œuvre et la désintégration du tissu social ont anéanti les moyens et la volonté de maintenir les johads en état.

En 1985, les réservoirs d’eau de pluie étaient virtuellement hors d’usage, quand cinq jeunes volontaires d’un groupe de lutte contre la pauvreté appelé Tarun Bharat Sangh (TBS) sont arrivés. L’un d’entre eux, un médecin du nom de Rajendra Singh, espérait ouvrir une clinique. Mais Mangu Patel, un grand propriétaire terrien du village de Gopalpura, l’a convaincu que le besoin le plus urgent était l’eau.

Sur les conseils de Patel, Singh et ses collègues ont commencé à déblayer le réservoir d’un johad hors d’usage. Sept mois plus tard, il atteignait presque cinq mètres de profondeur. Quand la mousson est arrivée, il s’est non seulement rempli jusqu’au bord, mais un puits des environs, tari depuis longtemps, a recommencé à couler.

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Crédit photo : Steve Brooks Rajasthan : pendant la saison sèche, les habitants profitent de l’eau pompée du puits, qui va servir à irriguer les champs.

L’année suivante, tout le village a participé à la reconstruction d’une deuxième digue. En 1996, les habitants de Gopalpura avaient recréé neuf johads, couvrant 964 hectares et pouvant contenir jusqu’à 616 millions de litres d’eau. Le niveau des eaux souterraines était monté d’une moyenne de 14 mètres sous la surface à 6,7 mètres. Les puits du village étaient à nouveau pleins. « C’est comme une banque, » explique Singh. « Si vous déposez régulièrement de l’argent, alors vous aurez toujours de l’argent à retirer. Mais si vous ne faites que retirer, alors vous allez vider votre compte. »

Avec de l’eau à proximité, les femmes ont eu le temps de monter des coopératives, de vendre des produits laitiers, des objets artisanaux et des savons. Les enfants ont eu le temps d’aller à l’école. Avec la restauration de l’irrigation, les hommes sont revenus pour les travaux agricoles de la saison sèche. La surface de blé cultivée est passée de 33 à 108 hectares et certains cultivateurs se sont diversifiés dans la canne à sucre, la pomme de terre et les oignons.

Encouragé par ce succès, le conseil du village a reboisé 10 hectares voisins et instauré des règles de conservation strictes. Les familles pouvaient casser du bois mort pour l’utiliser comme bois de chauffage, mais risquaient une amende si elles coupaient du bois vert. Pour souligner leur attachement aux arbres, les villageois ont noué des rakhis colorés ou des bracelets de famille autour des troncs, un symbole de protection familiale.

Après avoir assisté à la renaissance de Gopalpura, les autres villages ont demandé l’aide de TBS pour restaurer leurs structures de collecte des eaux de pluie. En 2005, on dénombrait 5’000 johads dans 750 villages, sur une surface de 8’000 kilomètres carrés. Une étude portant sur 970 puits a montré qu’ils étaient tous pleins – y compris 800 qui étaient vides encore six ans auparavant. La couverture forestière d’Alwar s’est étendue de 33% en 15 ans et cinq rivières asséchées sont revenues à la vie, ressuscitant l’habitat d’animaux rares comme l’antilope ou le léopard.

Plus important encore, les agriculteurs d’Alwar se sont organisés pour protéger leurs ressources difficilement gagnées. Plusieurs villages ont fait échouer les tentatives des autorités de l’Etat pour couper les arbres et détruire les digues de retenue, parfois en organisant des sit-in sur les sites. Quand l’Etat a vendu les droits de pêche commerciale de la rivière Arvari autrefois asséchée, 70 villages se sont unis pour faire annuler la vente. Les habitants de la Sariska Tiger Reserve ont poursuivi en justice et chassé la « mafia du marbre » dont les activités minières illégales pompaient et empoisonnaient les eaux souterraines.

L’exemple d’Alwar nous démontre comment un cercle vicieux peut être inversé en cercle vertueux. Après des années passées à vider les réservoirs, les agriculteurs ont commencé à les re-remplir. La boucle de rétroaction positive fut le négatif exact de la boucle destructrice décrite avant :

-  Comme les puits se sont remplis à nouveau, les villageois ont été motivés pour construire d’autres johads, ramenant ainsi d’autres puits à la vie.
-  L’élévation du niveau des eaux de surface a permis à la forêt et à la végétation de se développer, créant un rempart contre l’érosion, protégeant ainsi les johads.
-  Le retour des travailleurs dans les villages a apporté davantage de main-d’œuvre pour construire et entretenir de nouveaux johads.
-  Les actions collectives ont rendu plus fortes les institutions sociales du village, qui ont inspiré de nouvelles actions communautaires.

Un exemple approprié pour illustrer l’inversion du cercle vicieux est celui de l’Aïkido, l’art martial qui utilise la force de l’attaquant pour la retourner contre lui. Après un basculement environnemental positif, certains des courants éco-sociaux qui dégradaient un système, commencent à le reconstruire. Au lieu de combattre les forces naturelles et sociales, les citoyens travaillent avec elles. Ils s’identifient moins à Sisyphe poussant son rocher en haut de la colline et plus à Archimède, avec son levier et son point d’appui.

 

recherche inspirée de la lecture du livre de Bénédicte Manier, Un million de révolutions tranquilles (cliquez sur le titre pour voir le livre)

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