Combien gagnent les patrons les mieux payés ?

En 2011, la rémunération des dirigeants a peu baissé malgré la crise. Leur salaire fixe, indépendant des résultats, progresse.

Grâce à des indemnités exceptionnelles qui avaient créé la polémique, Maurice Lévy, de Publicis, arrive en tête du classement des patrons les mieux payés en 2011. © ERIC PIERMONT / AFP

Les patrons français sont-ils payés à raison de leur résultat ? C’est un peu la question que pose, chaque année, Proxinvest, un cabinet de défense des actionnaires, spécialiste de la gouvernance d’entreprise. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la 14e édition de son rapport sur « la rémunération du SBF 120 », l’indice des 120 plus grandes entreprises françaises, n’est pas encourageante.

L’année dernière, la rémunération globale (le salaire fixe, les bonus, les actions gratuites, les options et les indemnités de départ, hors régime de retraites supplémentaires) des patrons exécutifs des 40 sociétés-phares de la place parisienne a atteint en moyenne 4 246 000 euros, en hausse de 4 % par rapport à l’année précédente, selon les données recueillies dans les rapports annuels de chaque société.

Certes, une fois déduites les indemnités de départ de certains d’entre eux (auxquelles a été intégré des bonus différés de Maurice Lévy), la hausse se transforme en une légère baisse de 3 %. Mais il ne faut pas oublier qu’il intervient après une hausse de 34 % en 2010. Le repli reste donc très modeste, surtout quand on le compare aux résultats des sociétés concernées : en 2011, le CAC 40 a chuté de 17 %, et le bénéfice net cumulé a reculé de 10 %.

Hausse de la rémunération fixe

Alors, bien sûr, la crise n’a pas été sans effet sur la paie des grands patrons. La rémunération moyenne d’un patron du CAC 40 reste loin de son niveau de 2006 (5,7 millions d’euros). Et si l’on élargit la photographie aux patrons du SBF 120, les rémunérations n’atteignent pas le même niveau. Les patrons du SBF 120, hors CAC 40, ont gagné en moyenne 2,1 millions d’euros en 2011. Au final, par rapport au reste de l’Europe, les grands patrons français ne sont pas les mieux lotis. Ils arrivent largement derrière les Anglais, mais aussi derrière les Allemands, les Italiens, les Espagnols et les Suisses.

Mais leur rémunération semble toutefois moins sensible à la crise que celle de leurs voisins. Proxinvest s’inquiète en effet de la hausse de la part fixe, c’est-à-dire la part indépendante des résultats de l’entreprise. Pour la première fois, la rémunération fixe moyenne excède 1 million d’euros pour les patrons du CAC 40. « C’est une somme colossale pour éventuellement rémunérer l’échec », s’indigne Loïc Dessaint, directeur associé de Proxinvest. Depuis 2006, la hausse atteint plus de 9 %, soit plus que l’inflation. Mais ce chiffre en dissimule un autre encore plus impressionnant. Si l’on considère uniquement les patrons qui sont restés en place sur la période, la rémunération fixe a bondi de 25 %. Les autres patrons du SBF 120 sont eux aussi concernés par cette augmentation de la rémunération fixe. Pour eux, elle a atteint 18,6 % en un an ! Pratique, en période de crise…

Une rémunération trop court-termiste

Cette évolution est d’autant plus significative que la part fixe a « un effet multiplicateur sur le long terme sur les autres rémunérations », souligne Proxinvest. Elle détermine notamment le montant futur des « avantages différés » (le niveau des retraites, des indemnités de départ) ou encore les bonus.

En 2011, ceux-ci sont incontestablement orientés à la baisse (- 8,6 % pour le CAC 40). Mais ils restent à un niveau élevé. En moyenne, ils atteignent 124 % de la rémunération fixe, soit un chiffre supérieur à l’objectif moyen fixé en début d’exercice par les comités de rémunérations eux-mêmes (116 %) ! Parmi les bonus injustifiés aux vues des performances de l’action, figurent ceux accordés aux patrons de Carrefour, GDF Suez et Scor.

« Say on pay »

Malgré la publication d’un code de bonne conduite (Afep-Medef), « la politique de rémunération des grandes sociétés françaises manque de transparence et est beaucoup trop court-termiste », résume Proxinvest. Selon ses calculs, 16 % de la rémunération des présidents exécutifs du CAC 40 seulement repose sur des critères de performances à long terme (plus de trois ans).

Le cabinet de défense des actionnaires réclame donc aux administrateurs et aux comités de rémunération de mettre un terme aux hausses des rémunérations fixes, et de réduire les bonus annuels pour privilégier « une vraie rémunération de long terme liée à la performance ». Proxinvest demande notamment l’introduction d’un vote annuel de l’assemblée générale des actionnaires sur l’ensemble de la rémunération des dirigeants (« Say on pay »).

C’est oublier que l’assemblée générale des actionnaires s’exprime déjà sur bon nombre de sujets liés à la rémunération. C’est le cas pour l’attribution d’actions de performance, de stock-options et d’avantages exceptionnels, comme la retraite complémentaire ou les indemnités de départ (parachutes dorés).

Pierre-Henri Leroy, président de Proxinvest, le reconnaît lui-même implicitement. Il a rappelé mardi que l’ancien directeur général d’Air France, Pierre-Henri Gourgeon, remercié en octobre 2011, s’était vu attribuer une indemnité de non-concurrence de 400 000 euros, malgré l’opposition de l’État actionnaire et d’un rejet de l’assemblée générale par 78,8 % des voix. Le ministre de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici, l’avait alors appelé à rembourser « de lui-même » cette prime de non-concurrence, au nom de la « morale ». À l’époque, ses proches avaient confié qu’il n’était pas question pour lui de rembourser : il en faisait « une question d’honneur ».

Par MARC VIGNAUD
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Classement des 10 patrons français les mieux payés en 2011

– Maurice Lévy (Publicis) : 19,6 millions d’euros (versement anticipé de ses bonus), contre 6,2 en 2010

– Carlos Ghosn, Renault : 13,3 millions d’euros, contre 9,7 millions en 2010 (+ 38 %)

– Bernard Charlès (Dassault Systèmes) : 10,9 millions d’euros, contre 9,5 en 2010 en 2010 (+ 10 %)

– Bernard Arnault (LVMH) : 10,8 millions d’euros, contre 9,7 en 2010 (+ 11 %)

– Jean-Paul Agon (L’Oréal) : 7,7 millions d’euros, contre 10,7 en 2010 (- 28 %)

– Christopher Viehbacher (Sanofi-Aventis) : 7,1 millions d’euros, contre 6,1 en 2010

– Frank Riboud (Danone) : 6,1 millions d’euros, contre 5,9 millions en 2010

– Daniel Julien (Teleperformance) : 5,6 millions d’euros, contre 3,2 en 2010 (+ 76 %)

– Denis Kessler (Scor) : 5,5 millions d’euros, après 4,2 millions en 2010 (+ 20 %)

– Olivier Piou (Gemalto) : 5,5 millions d’euros

Par MARC VIGNAUD

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