Faut-il avoir confiance dans le bio ?
Seulement une mode ? Une niche tout au plus ? Une appellation qui a perdu son âme ? Carrément une arnaque ? L’agriculture biologique est à la croisée des chemins. Bien que marginal, le secteur avance. Et invente peut-être les bases de l’alimentation de demain.
Le bio se développe… Et le bio prend des coups. Rien qu’une niche, grincent certains, avec ses misérables 3,6 % de surface agricole utile (SAU). Un truc pour bobos qui ont les moyens, une utopie farfelue. Pis, pour certains, c’est carrément un univers où sévit la fraude. Calmons-nous. Qu’importent les bruits de cour, les acteurs du bio continuent leur chemin. L’agriculture biologique n’est pas la panacée, non. C’est, en revanche, un des univers hypercréatifs de notre époque. Un bouillon de culture susceptible d’inspirer de grands changements – ceux-là mêmes qui sont nécessaires pour relever les défis de ce siècle. La preuve en quelques exemples à lire dans ce dossier.
Accusation de pétainisme
Revenons d’abord sur les critiques. Certaines font franchement rire. Dans un article du Nouvel Observateur du 1er novembre dernier, tout y est. Le bio est une « mode », voire une « arnaque », puisque 60 % des fruits et légumes siglés « AB »« sont importés de pays où la légitimité de ce fameux label est, disons, difficilement vérifiable ». Il n’est pas meilleur pour la santé, « comme l’a montré une étude américaine de l’université Stanford parue au début du mois de septembre ». « Ses rendements, comparés à ceux de l’agriculture conventionnelle, sont au mieux moitié moindres. » Ses valeurs aussi sont à jeter : « Dans les magasins bios, on trouve à l’occasion des cristaux magiques censés intercepter les ondes mauvaises ou favoriser les ‘‘ forces astrales ’’. Sans compter le côté pétainiste de la terre qui ne ment pas… »
Passons sur l’accusation un peu en-dessous de la ceinture de pétainisme et sur les cristaux magiques. Regardons les faits. 60 % de fruits et légumes importés ? Selon les derniers chiffres de l’Agence bio, les importations – tous produits confondus – sont en baisse. De 38 % en 2009, elles passent à 30 % en 2012. La moitié concerne des produits exotiques : café, thé, cacao, bananes, agrumes. Reste 15 %. Et 48 % d’importation pour les seuls fruits et légumes en 2011.
Des rendements deux fois moindres ? Sur ce point, la lecture de l’interview de l’agronome Jacques Caplat est édifiante. Quant au bio qui n’est pas meilleur pour la santé, finissons-en ! N’évoquons même pas la santé des agriculteurs exposés aux pesticides, ni même le problème de contamination de l’eau. Des problèmes centraux, pourtant. Denis Lairon (1), biochimiste et nutritionniste, directeur de recherche à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), a fait le tour des études sur les qualités nutritionnelles du bio. Résultat : pour les végétaux, toutes – même celle de Stanford – relèvent plus d’antioxydants, et beaucoup d’entre elles plus de magnésium, de fer et de vitamine C. Unanimité aussi (y compris à Stanford !) pour reconnaître que le lait bio affiche plus d’omégas 3.
Droit du travail bafoué
D’autres critiques paraissent plus sérieuses. Dans le livre collectif Le bio entre business et projet de société (Agone, 2012), les auteurs énumèrent bon nombre des dérives possibles. Exemple ? L’huile de palme bio consommée en Europe provient presque exclusivement d’une plantation colombienne appartenant au groupe Daabon. Monoculture, liens avec les paramilitaires, expulsion de familles de petits paysans… Le tableau n’est pas reluisant. L’ouvrage se penche aussi sur la situation en Espagne, et plus particulièrement en Andalousie. On y constate que la certification bio ne protège en rien de tous les problèmes qui fleurissent dans la province d’Almería : droit du travail bafoué et nappes phréatiques exsangues. C’est pourtant de là-bas que viennent nos tomates et nos concombres bios hors saison.
Ces deux exemples soulèvent la faiblesse du système dominant de certification. Le label bio européen ne garantit en rien le caractère écologique ou équitable des produits. Pourtant, nombreux sont ceux qui estiment que ces notions devraient être réunies. Parmi les personnes queTerra eco a sondées, 52 % pensent que le label bio intègre des critères de production locale et 41 % de commerce équitable. Quand on leur révèle qu’il n’en est rien, elles sont une écrasante majorité à considérer qu’il faut intégrer ces notions dans les cahiers des charges.
Le bio sort de sa niche et doit évoluer. Ne rêvons pas. L’objectif des 20 % de SAU en 2020, cette révolution bio, fixée lors du Grenelle en 2007, est inatteignable. Mais tout de même, de la fin de cette année-là à la fin de 2011, le nombre de fermes bios a doublé en France. Et derrière les 3,6 % de SAU actuels se cachent 5 % des exploitations et 7 % de la main-d’œuvre agricole. Cette croissance soulève des questions nouvelles. « Le premier défi du bio, c’est de grandir en respectant les pionniers et en accueillant les nouveaux, relevait Elisabeth Mercier, présidente de l’Agence bio, lors du colloque Bioconvivium, qui s’est tenu à Valence, dans la Drôme, en octobre.Le deuxième défi, c’est de concilier le bio et le développement durable. Il faut du lien social, le respect de l’environnement, le bien-être animal, la biodiversité. »
Beaucoup se battent déjà pour ça. On les rencontre au sein de l’association Biocohérence, dans les circuits de proximité florissants – Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) ou « Ruche qui dit oui ! ». Ils créent des coopératives comme Biolait pour négocier des prix dignes face à la grande distribution ou inventent des maisons pour protéger la diversité des semences. Le bio n’est pas le culte d’une paysannerie révolue. Il est moderne, conscient des enjeux. Et l’air de rien, il fait bouger les lignes.
Retour aux bases de l’agronomie
Yves François cultive 130 hectares de céréales et produit des semences en conventionnel dans l’Isère. Il est aussi élu de la Chambre régionale d’agriculture de Rhône-Alpes, en charge des questions d’environnement. « L’usage intensif du pétrole nous a permis de simplifier à l’extrême nos pratiques, raconte-t-il. A partir de là, on a zappé certaines choses évidentes, à commencer par les rotations. » Yves, avec d’autres agriculteurs de son département, intègre de plus en plus de méthodes bios. Rotation des cultures, mais aussi lutte biologique ou compost. « Depuis deux ans, on fait de l’échange paille contre fumier avec des éleveurs (le mélange fait un excellent fertilisant, ndlr). Tout le monde est content ! » Pour l’agriculteur, c’est un retour aux bases de l’agronomie : « Il faut considérer le sol comme un milieu vivant et modifier nos pratiques, qui consistent à ne soigner que la plante ou l’animal, sans se préoccuper de tout ce qui se passe dessous. » La démarche annonce un grand chambardement : « On pourrait parler de transition agricole, comme on parle de transition énergétique. On vit une mutation importante et tout ce qui peut permettre de limiter les intrants chimiques dans l’agriculture est bon à prendre. » « L’agriculture biologique est un horizon », résume Jacques Caplat. Une solution parfaite ? La seule dans l’immédiat ? Assurément pas. Mais un sérieux moteur de changement, sur lequel il faut s’appuyer avec force, ça, oui. —
(1) Coauteur de Manger bio, c’est mieux ! (Terre Vivante, 2012)
source: http://www.terraeco.net/Faut-il-avoir-confiance-dans-le%2c47022.html
Merci ARWEN