Le gaz de schiste et l’environnement

Aux Etats-Unis, l’Environmental Protection Agency (EPA) exige, depuis le 15 octobre, la mise en oeuvre de premières règles sur le gaz de schiste : les opérateurs devront dorénavant brûler les composés organiques volatils dégagés par l’exploitation des puits du « gaz non conventionnel ».

Et, à partir de janvier 2015, ils devront utiliser un dispositif de capture de ces gaz, permettant leur réutilisation. – Reportage, Ithaca (Etats-Unis)
Le gaz de schiste : une matière première qui sommeillait

Vous connaissiez peut-être les sables bitumineux, ce pétrole plus difficile et plus polluant à extraire mais qui rallonge l’espérance de vie du pétrole.

Dans le monde du gaz, son homologue est le gaz de schiste (shale gas en anglais). On en trouve des gisements à peu près partout. On le connaît depuis un siècle mais on ne s’en était guère préoccupé jusque là. Il y a dix ans, les Etats-Unis ont décidé d’investir le shale gas au point que ce gaz non conventionnel représente aujourd’hui 15% de la production de gaz et pourrait en représenter 60% dans dix ans.

L’extraction du gaz de schiste

Par rapport au gaz conventionnel qui, comme le pétrole, constitue un véritable gisement, le gaz schisteux est « emprisonné » dans les schistes argileux. Il faut le forcer à s’échapper. Pour ce faire, on va injecter de l’eau sous haute pression pour fracturer (fracking) la roche. Le gaz va pouvoir s’écouler dans les fissures créées. Selon Josh Fox, réalisateur du film Gasland, il n’y a pas que de l’eau qui est injectée. Pas moins de 596 composés chimiques sont utilisées si bien que l’eau utilisée est de toute façon contaminée.

Même si les puits de gaz schisteux vont bien plus profond que les nappes phréatiques, les contaminations sont très fréquentes. Déjà 1000 cas ont été recensés aux Etats-Unis. L’eau potable peut ainsi être contaminée par les composés utilisés pour le fracking : benzène, toluène, mercure, formaldéhyde…

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la législation américaine sur l’eau potable ne peut rien contre ce genre de contamination en raison d’une exemption juridique, surnommé Halliburton Loophole (échappatoire en faveur de Halliburton). Cela permet à l’industrie gazière de ne pas divulguer les composés chimiques utilisées lors d’une facturation hydraulique. Et donc de nier.

Pourtant les preuves sont là ! Des concentrations de benzène mille fois plus élevées que la normale dans l’eau potable. Les images sensationnelles comme cette eau qui devient inflammable à la sortie du robinet font froid dans le dos. Le lobbying, mené par Dick Cheney, ancien PDG d’Halliburton et vice-président des Etats-Unis à l’époque, a étouffé les rapports des agences environnementales américaines d’alors.

Aujourd’hui, l’agence américaine de l’environnement accumule les rapports accablants.

Pour le scientifique qui, le premier, a montré l’importance de ces émissions polluantes, Robert Howarth, la nouvelle réglementation représente un progrès. Dans son bureau étroit de l’université Cornell, à Ithaca, à 300 km de New York, il explique cependant qu’elle est insuffisante.

D’une part, elle ne concerne que les puits de gaz, alors que des fuites se produisent aussi dans le circuit de transport et de distribution. D’autre part, il doute de la capacité de l’administration à contrôler les dizaines de milliers de puits que compte le pays.

« SCEPTIQUE »

« Bien sûr, les compagnies pourront envoyer des rapports attestant le respect des règles, dit-il. Mais je suis sceptique. J’ai été expert auprès d’une tribu en Alaska dans les années 1990 à propos du développement pétrolier offshore. On a pu démontrer que les compagnies pétrolières envoyaient des informations fausses à l’EPA. S’il n’y a pas un contrôle sérieux, on ne résout pas le problème. »

M. Howarth a publié dans la revue Climatic Change, en avril 2011, avec Renee Santoro et Anthony Ingraffea, le premier article montrant que l’exploitation du gaz de schiste entraînait des émissions très importantes de méthane, un puissant gaz à effet de serre (1).

Cet article a fait l’effet d’une bombe, alors que l’industrie du gaz de schiste était – et reste – en phase de développement accéléré aux Etats-Unis. Depuis, les estimations des chercheurs ont été confirmées par d’autres études, notamment celle d’une équipe de l’université du Colorado, publiée dans le Journal of Geophysical Research en février (Petron et al.).

Agé de 60 ans, Robert Howarth est un biogéochimiste réputé, qui a effectué sa carrière à l’université Cornell, dont il est un des professeurs éminents. Il a aussi participé ou présidé plusieurs comités de l’Académie nationale des sciences sur le changement climatique ou les agrocarburants.

FUITES DE MÉTHANE

Le chercheur explique que le méthane fuit lors du forage des puits. « Une partie de l’eau utilisée pour forer la roche remonte, dans cette phase de travail de deux à trois semaines, et emporte avec elle du gaz qui s’échappe dans l’atmosphère. »

Mais le transport à longue distance du gaz extrait et sa distribution sont aussi sources de fuites. Le gaz naturel conventionnel, qui utilise pour une large part ces réseaux de distribution, est donc aussi à l’origine de dégagements importants de méthane.

« Beaucoup de gazoducs sont anciens, jusqu’à un siècle, et mal scellés. Il y a ainsi chaque année plusieurs explosions dans le réseau, parfois mortelles, comme en septembre 2010 à San Bruno, près de San Francisco. » Une étude menée par des chercheurs de la Boston University devrait prochainement permettre de mieux évaluer les émissions du réseau.

Des fuites se produisent aussi dans les stations de stockage du gaz : celui-ci est surtout consommé pendant l’hiver, et doit être conservé pendant l’été.

« Au total, en intégrant toutes ces phases, résume Robert Howarth, on estime qu’entre 3,6 et 7,9 % du gaz extrait sur toute la durée de production des sites de gaz de schiste s’échappent. Les recherches menées depuis un an confirment cet ordre de grandeur. »

Les promoteurs du gaz de schiste avancent qu’en se substituant au charbon dans les centrales électriques, il permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une assertion fausse, selon le chercheur, si l’on prend en compte tous les éléments de la chaîne.

Une autre question clé, pour évaluer l’impact de ces fuites sur le changement climatique, est de considérer la période durant laquelle le méthane est le plus actif. Sur la base des travaux des années 1990, la majorité des documents de référence évaluent le facteur de réchauffement du méthane en fonction d’une durée de résidence dans l’atmosphère équivalente à celle du gaz carbonique, qui est de cent ans.

Mais comme le méthane se disperse plus rapidement, en dix à vingt ans, son impact climatique est très puissant sur les deux premières décennies suivant son émission. Il faut donc adopter d’autres coefficients de réchauffement.

D’AUTRES COEFFICIENTS DE RÉCHAUFFEMENT

« C’est ce que nous avons fait, en adoptant la méthode suivie par le GIEC dans son rapport de 2007 », explique M. Howarth. Conséquence sur les rejets de gaz à effet de serre des Etats-Unis : « Si l’on utilise les anciens coefficients d’émissions, on peut dire que la part de l’industrie du gaz est de 3% à 4% des émissions nationales. En recourant à la période d’efficacité du méthane sur vingt ans, on voit que l’industrie du gaz naturel pèse pour 19% des émissions. C’est une différence énorme. »

Pour le scientifique, il faut revoir les statistiques globales sur les émissions de gaz à effet de serre. « Elles sont inexactes. Il est indiscutable qu’elles sous-estiment les émissions de méthane. »

Mais M. Howarth est le premier à dire que le débat n’est pas clos. « Il y a encore beaucoup d’études à mener. C’est une technologie nouvelle, elle présente énormément d’inconnues. Il faut travailler pour mieux évaluer l’importance de ces émissions. »

(1) Howarth, R. W., R. Santoro, and A. Ingraffea, 2011, « Methane and the greenhouse gas footprint of natural gas from shale formations », Climatic Change Letters.

Sources : http://www.reporterre.net ; http://www.eco-sapiens.com