La viande artificielle dans les assiettes

Qu’a-t-il donc de si particulier ce poulet Beyond Meat pour tant défrayer la chronique aux Etats-Unis ? Réponse : le goût, la texture et l’aspect de la chair du volatile… mais sans un gramme de poulet. Ses ingrédients : une pincée de poudre de soja et une grosse dose de technologie. Ajoutez-y un intérêt vorace d’investisseurs réputés visionnaires, mélangez avec une croissance annuelle du secteur de 20%, agrémentez le tout d’une explosion prévisible des besoins et vous comprendrez que le JDN ne peut résister à l’envie de soulever le couvercle de la casserole pour y regarder de plus près. Le résultat ? Une plongée dans une niche de l’agroalimentaire qui pèse déjà un milliard de dollars outre-Atlantique : le marché de la viande artificielle.

« D’ici 50 ans, nous échapperons à l’absurdité d’élever un poulet entier pour en manger le blanc ou une aile, en produisant ces parties séparément. » Le carnivore forcené qu’était Winston Churchill avait vu juste dès 1932. Certes, il se trompait de quelques décennies. Mais le fait de manger de la viande qui ne proviendrait pas d’un animal n’appartient plus au domaine de la science-fiction. Et ce n’est pas Mark Bittman, célèbre chroniqueur gastronomique du New York Times, qui nous contredira. Lors d’un test à l’aveugle, il a confondu le faux poulet confectionné par la start-up Beyond Meat avec du vrai.

Alors, la viande artificielle, qu’est-ce que c’est ? De même qu’il existe différents types d’élevages, on retrouve en fait différents procédés.

Pour fabriquer ses produits, l’américain Beyond Meat manipule à la fois chaleur, refroidissement et pression. D’une protéine poudrée (issue du soja pour le poulet et de petits pois pour la viande rouge) est tirée une pâte liquide, chauffée puis extrudée à travers une machine semblable à une presse à pâtes et enfin refroidie.

Le britannique Quorn, lui, utilise de la mycoprotéine, une protéine provenant de champignons, et a recours à « un procédé de fermentation très semblable à la fermentation de la bière. Simplement, plutôt que de récolter le liquide, nous récoltons le solide. Cet ingrédient est ensuite utilisé comme base pour plus de 100 produits alimentaires différents, allant de la viande hachée et filets aux plats préparés et en-cas », explique l’entreprise.

A l’université de Maastricht, au Pays-Bas, une équipe de chercheurs dirigée par le physiologiste Mark Post tente de son côté de créer de la viande artificielle in vitro. La technique consiste à planter des cellules souches de bovin dans un morceau de tissu musculaire afin de les « cultiver ». Mais le procédé coûte cher : 250 000 euros pour fabriquer l’équivalent d’un steak !

Enfin, la start-up américaine Modern Meadows mise sur les techniques de l’impression 3D utilisées dans la médecine régénérative. La cartouche ne contient pas d’encre mais un mélange de différentes cellules. Une autre cartouche distille de l’hydrogel pour agréger la mixture.

La viande artificielle n’est plus depuis longtemps un rêve de savant fou. Plusieurs entreprises sont déjà actives sur le marché, ou sur le point de l’être, l’américaine Beyond Meat faisant notamment sensation depuis quelques mois avec son poulet hyper réaliste à base de soja.

Pour l’instant, le poulet de Beyond Meat se trouve uniquement dans des plats préparés : salades, sandwichs et brochettes. Il est distribué dans certains magasins de la chaîne Whole Foods, équivalent américain de Naturalia, sur la côte Ouest et dans la région des Rocheuses. La compagnie vise une distribution nationale début 2013. Avant de tenter la production de viande rouge artificielle, un tout autre challenge vu la difficulté pour en imiter l’aspect.

Particularité de Beyond Meat, elle ne souhaite pas se cantonner au marché végétarien/végétalien et insiste pour que ses références soient rangées auprès de la viande conventionnelle plutôt qu’à côté du tofu. « Notre objectif est de redéfinir la catégorie, confie le fondateur Ethan Brown à Slate.com. Au lieu de la nommer « viande », elle s’appellerait « protéine », peu importe qu’elle provienne d’une vache, d’une poule, de soja, de petits pois, de quinoa ou d’autres sources végétales. »

Une stratégie différente de celle des concurrents. Les nouvelles saucisses au blé de la société Field Roast, acclamées par les critiques gastronomiques, sont vendues dans le stade lors des matchs de baseball de l’équipe de Seattle. Field Roast, fondée en 1997, « assume pleinement de fabriquer des produits à base de plantes principalement à destination des végétariens », assure une responsable de la communication.

La société canadienne Garden Protein International, elle, a choisi la santé et le bien-être comme créneau marketing. Les produits à base de soja, blé ou petits pois de sa marque Gardein ont reçu pléthore de prix pour leur qualité. Lors de leur lancement aux Etats-Unis en 2009, ils ont eu droit au soutien de la célèbre présentatrice et faiseuse de rois, Oprah Winfrey,

Les substituts de viande à base de champignon de la britannique Quorn, créé en 1995, sont quant à eux disponibles aux Etats-Unis depuis 2002. L’entreprise est parvenue à se hisser en première position des marques de substituts de viande dans les magasins spécialisés dits « naturels », avec 26% des parts de ce marché. Dans les réseaux de distribution traditionnels, elle pèse 10% de PDM.

Un secteur en plein boom !

Lorsque le britannique Quorn a investi le marché américain en 2002, « nous n’avions que trois produits en vente dans une centaine de magasins, se rappelle David Wilson, directeur général pour les Etats-Unis. Aujourd’hui, nous sommes présents dans plus de 10 000 magasins avec une quinzaine de références. On peut trouver nos produits jusqu’en Alaska et à Hawaï. » En 2011, les ventes au détail des produits Quorn ont atteint les 32 millions de dollars outre-Atlantique. Sur les 9 premiers mois de 2012, elles s’élèvent déjà à 36 millions. « Ces dernières années, malgré la crise, nous avons connu des taux de croissance d’environ 20%, atteignant parfois les 25% ».

Une tendance vérifiée auprès des concurrents : la marque canadienne Gardein est aujourd’hui distribuée dans 12 500 magasins contre 750 en 2003. En 2010, les ventes ont augmenté de 40% par rapport à 2009. Beyond Meat, présente uniquement sur la côte Ouest, a quant à elle été victime de son succès médiatique du début de l’été et ne souhaite plus communiquer. « Nous avons accordé des interviews un peu trop tôt et cela a déçu certains consommateurs américains qui ne pouvaient se procurer le produit », nous écrit l’entreprise par mail, qui a également demandé à ses investisseurs de ne pas répondre à nos questions.

« Les ventes de substituts de viande représentent 0,6% de l’ensemble du marché »

Désormais, aux Etats-Unis, les produits à base de substituts de viande représentent 70% des ventes de nourriture dite végétarienne. Ils séduisent évidemment les 5% d’Américains végétariens et les 2% de végétaliens mais aussi certains carnivores. « Dans son ensemble, le marché pour les substituts de viande s’est considérablement développé car il y a davantage de choix pour les consommateurs », explique David Wilson. De là à concurrencer l’industrie de la viande ?

« En 2003, les ventes de viande artificielle s’élevaient à environ 300 millions de dollars, nuance Jayson Lusk, professeur d’économie agricole à l’université d’Oklahoma. En 2011, on estime qu’elles atteignent environ 1 milliard de dollars. Si l’on considère que les ventes de bœuf étaient de 79 milliards, celles de volailles de 45 milliards et celles de porc de 30 milliards, on arrive à un total de 154 milliards. Cela voudrait dire que les ventes de substituts de viande représentent uniquement 0,6% de l’ensemble du marché. Afin de disposer d’une véritable vision de l’impact de la viande artificielle, il faut avant tout se rendre compte de l’immensité du marché de la viande. »

Les fondateurs de Twitter et celui de PayPal ont investi dans la viande artificielle

Justement, le fondateur de Beyond Meat, Ethan Brown, a pour ambition de fournir un produit propre à satisfaire la demande croissante de viande dans le monde. Ce qui a attiré des investisseurs qui n’ont pas l’habitude de placer leur argent dans l’agroalimentaire, tels que Kleiner Perkins Caufield & Byers, « l’une des sociétés de capital-risque les plus grandes et les plus établies au monde », dixit le Wall Street Journal. Ou encore Obvious Corporation, la compagnie créée par les cofondateurs de Twitter, Evan Williams et Biz Stone. Et ils ne sont pas seuls. Le milliardaire et cofondateur de PayPal Peter Thiel a investi près de 350 000 dollars dans la start-up Modern Meadows qui tente de fabriquer de la viande artificielle à l’aide d’une imprimante 3D.

« Le secteur agroalimentaire est excessivement compétitif, rappelle cependant Jayson Lusk. Les grands groupes tels que Kellogg’s [qui, en 2007, a racheté Gardenburger qui produisait des burgers végétariens dès 1985]  risquent éventuellement de dominer le marché des substituts de viande comme ils ont à terme dominé celui des produits bio. Le nom des marques change mais derrière ce sont les mêmes grandes entreprises. »

Un secteur qui a de l’avenir …

Une forme d’intérêt pécuniaire qui préfigure le probable besoin de viande artificielle à venir : d’ici 2060, selon l’ONU, la Terre comptera 2 milliards de personnes de plus. D’ici 2050, la demande en viande aura doublé, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Or près de 30% de la surface exploitable de la planète sert déjà aux pâturages pour animaux. Et le secteur de l’élevage contribue à 18% des émissions mondiales de gaz à effets de serre. Une étude de l’université d’Oxford, publiée en 2011, estime que la viande créée en laboratoire produit 78 à 96% moins de ces gaz que la viande conventionnelle. Elle nécessite également 82 à 96% moins d’eau.

Par ailleurs, 80% des antibiotiques vendus aux Etats-Unis sont donnés aux animaux d’élevage, selon la Food and Drug Administration, augmentant ainsi le nombre de maladies résistantes aux antibiotiques. S’ajoute à ces considérations, celle, plus morale, du sort réservé aux animaux : selon la FAO, pour se nourrir, l’homme abat 1 600 mammifères et oiseaux chaque seconde.

Reste à savoir si les consommateurs accepteront complètement l’idée de se retrouver avec une viande artificielle dans leur assiette. « Il existe chez les gens une certaine aversion à l’usage de la technologie dans la nourriture », rappelle Jayson Lusk. Mais auront-ils le choix ?

Source : http://www.journaldunet.com/economie/agroalimentaire/viande-artificielle

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