Pour Greenpeace : sur l’environnement « tous les signaux envoyés par le gouvernement sont négatifs »

Mercredi 22 août, à trois semaines de la conférence environnementale du 4 septembre, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a estimé que l’interdiction d’exploiter les gaz de schiste n’était pas « tranchée ». « La fracturation hydraulique, a-t-il rappelé, c’est interdit. Par contre, il faut qu’on mette sur la table les différentes solutions qui pourraient exister. » Les protestations fusent depuis les rangs des défenseurs de l’environnement et Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, se dit « sidéré » : « On ne s’attendait pas du tout à ce que ce débat-là revienne sur le devant de la scène. » Pour lui, l’exécutif socialiste n’a montré « aucun engagement fort, aucun geste, aucun signal, rien qui nous conforte » sur l’environnement. Son organisation, qui revendique 155 000 adhérents, réserve encore sa décision de participer à la conférence environnement.

Entretien avec J.F Julliard, directeur général de l’association Greenpeace France depuis 2012 :

Jean-François Julliard, à Paris, 23 août 2012 (JL)

Comment réagissez-vous aux déclarations du premier ministre ?

On réagit mal car on attend beaucoup de la conférence environnementale et de la transition écologique et énergétique annoncée par François Hollande et reprise à son compte par Jean-Marc Ayrault. Mais si cette transition passe par l’exploitation des gaz de schiste, c’est non !

On a le sentiment qu’il se trompe complètement de sujet. Il nous a reçus avec d’autres ONG fin juillet, et quand nous lui avons demandé ce qu’il ferait si apparaissaient des techniques d’exploration et exploitation qu’il jugerait plus propres, nous n’avons pas eu de réponses. On a bien senti qu’il se réfugiait derrière l’interdiction de la fracturation hydraulique, ce qui est bien commode.

Delphine Batho l’a un peu désavoué mercredi soir (lors de l’université d’été d’Europe Ecologie-Les Verts) en déclarant que la transition énergétique ne passerait pas par de nouvelles énergies fossiles. Mais qui doit-on écouter ?

Les promoteurs des gaz de schiste affirment que leur exploitation accordera à la France l’indépendance énergétique dont elle a besoin, pour alléger son déficit commercial et se libérer de la dépendance au gaz russe. Que leur répondez-vous ?

Franchement, l’indépendance énergétique est un vœu pieux. C’est comme quand Nicolas Sarkozy disait que le nucléaire garantissait l’indépendance énergétique de la France. Non : il faut aller chercher les matières premières au Niger, au Kazakhstan ou ailleurs…

Peut-être qu’à très court terme, avec les gaz de schiste, on pourrait se passer de tout ou partie du gaz russe, mais ça ne va rien résoudre. Ce n’est pas en découvrant de nouveaux gisements d’énergies fossiles qu’on va amorcer une véritable transition. Le gouvernement ne se pose pas la question de la consommation, des besoins, de la sobriété et de l’efficacité énergétique.

Carte des permis de Guyane Maritime.
Carte des permis de Guyane Maritime.

Quand le gouvernement a autorisé les forages pétroliers de Shell en haute mer au large de la Guyane, il a mis en avant son projet d’utiliser les ressources qui en découleraient pour financer la transition énergétique. Vous n’y croyez-pas ?

Ce n’est pas recevable. La France s’est fixé des objectifs ambitieux de réduction des gaz à effet de serre. Si ce qu’on met en place, c’est l’exploitation d’énergies fossiles, on n’y arrivera pas. S’il faut extraire du pétrole dans des conditions difficiles pour l’environnement pour financer le développement du solaire ou de l’éolien, ça ne va pas ! En plus, c’est le lobbying de l’industrie pétrolière qui a gagné dans cette affaire-là, et qui a eu la tête de Nicole Bricq. Jean-Marc Ayrault a eu beau dire que ce n’était qu’un remaniement ministériel d’après législative, ce n’est pas tenable une seconde.

Croyez-vous ce gouvernement capable de résister au lobbying pétrolier ?

De moins en moins. Si on doit juger sur pièce, pour l’instant non – j’espère me tromper.

Tous les signaux envoyés depuis l’élection de François Hollande sont négatifs. Le seul signal positif, c’est la conférence environnementale. Mais ce n’est pas suffisant, il faut qu’il y ait une proposition politique, un projet, quelque chose. C’est bien de parler de biodiversité et d’énergie, mais c’est la quinzième fois qu’on le fait et ce n’est pas ça qui fait avancer les choses. Depuis le départ, en matière de proposition politique, il n’y a rien de satisfaisant : forages guyanais, ouverture d’une nouvelle mine d’uranium au Niger, et maintenant, gros point d’interrogation sur les gaz de schiste… Nous avons été sidérés d’entendre les premières déclarations d’Arnaud Montebourg déclarant le sujet non clos. On ne s’attendait pas du tout à ce que ce débat-là vienne sur le devant de la scène. Pour nous, les gaz de schiste, c’était terminé.

Nous espérons qu’à l’occasion de la conférence environnementale, le président ou le premier ministre vont prendre l’engagement politique clair de ne pas exploiter les gaz de schiste – même si on y croit de moins en moins au vu de ce qu’il se passe.

Quand François Hollande s’est rendu au sommet de Rio+20, il avait une formidable occasion de marquer le début de son quinquennat par un engagement fort sur l’environnement. On a vu son discours : il n’y a rien. Aucun engagement fort, aucun geste, aucun signal, rien qui nous conforte.

La révélation, cet été, de l’existence de fissures sur certaines cuves de réacteurs nucléaires, notamment en Belgique, relance le débat sur la sûreté du nucléaire. Greenpeace a publié un rapport d’experts critique sur les failles de la sécurité et de la sûreté nucléaire française, pendant la campagne présidentielle. Faites-vous confiance à l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) ?

Jusqu’à présent, nous avons plutôt confiance dans leur expertise. Mais tout le monde se réfugie derrière les préconisations de l’ASN. Comme si c’était elle qui décidait de tout, alors que ce n’est pas vrai. Il y a aussi EDF, Areva, et l’Etat. L’ASN ne va pas assez loin. C’est pour cela qu’on a mené ces actions d’intrusion dans les centrales et de survol. La sûreté n’est pas une science exacte. L’ASN reconnaît qu’il y a des risques, qu’elle ne peut pas garantir la sûreté à 100 %. Donc, ce qui compte, c’est l’interprétation politique qui en découle, et les choix faits en conséquence. Or nous en sommes en train de perdre l’occasion de faire de nouveaux choix.

François Hollande veut ramener la part du nucléaire à 50 % dans la production nucléaire en 2025, contre 75 % aujourd’hui. Or comme le note Yves Marignac, en 2027, 80 % des réacteurs français auront dépassé 40 ans et devront donc faire l’objet soit de lourds investissements d’entretien, soit d’une décision d’arrêt pour cause de vieillesse. Comment comprenez-vous la position du chef de l’Etat ?

On ne la comprend pas. On lui a dit à plusieurs reprises que l’équation qu’il annonce ne tient pas. Nous avons rencontré les équipes de Matignon et de l’Elysée : personne au sein du gouvernement ne sait dire comment concrètement va se passer cette réduction à 50 %. Quelles centrales vont être fermées ? Poursuivies ? Combien de temps ? Il n’y a pas de scénario prévu. Sur la fermeture de Fessenheim, il n’y a pas non plus de visibilité. Or il faut trois ans pour fermer une centrale, ça va aller vite.

Le scénario sur la table, c’est la fermeture de deux réacteurs d’ici à 2017, et ensuite de tous les autres concernés par la réduction à 50 %. Ce calendrier est-il réaliste ?

Non. Ou alors il faut s’y mettre tout de suite et prendre des mesures drastiques. Il faut évaluer les besoins et les consommations sinon ce n’est pas crédible. Sans compter le démarrage de l’EPR de Flamanville qui va intervenir on ne sait quand et qui va bousculer cette équation…Cette centrale est totalement absurde. Il n’y a aucune justification à la construction de ces nouveaux réacteurs. Il est complètement paradoxal d’avoir un chef d’Etat qui annonce vouloir lancer un vrai mouvement vers une réduction de nucléaire, et qui construit une nouvelle centrale dont on n’a pas besoin. Cela ne rime à rien.

Il n’y a pas de message clair. Aujourd’hui, face à cela, on est à la fois dans l’expectative et l’insatisfaction. Si François Hollande continue dans cette direction, il va réussir à se mettre à dos en quelques mois les organisations de défense de l’environnement mais aussi les industriels, et les populations locales.

Pour le gouvernement, la conférence environnementale qui doit s’ouvrir le 14 septembre est le pendant de la conférence sociale de juillet. Vous sentez-vous dans la peau d’un “syndicat” de l’environnement ?

Non, non. Nous ne sommes pas une instance de négociation. Nous ne sommes pas un “partenaire environnemental” du gouvernement. L’Etat se trompe. Et puis on n’a pas de proposition politique sur laquelle négocier. En réalité, pour nous le plus important, c’est le débat sur l’énergie qui va suivre.

Quel bilan Greenpeace tire-t-il de sa participation au Grenelle de l’environnement ?

En demi-teinte. Tout n’est pas complètement à jeter. Il y a eu un énorme enthousiasme au départ mais une forte déception ensuite. Je pense après coup qu’il aurait été mieux de ne pas y aller. On aurait sûrement été plus fort en étant extérieur. Le choix d’y aller, alors qu’on savait que le nucléaire ne serait pas abordé, me paraît un compromis trop important pour Greenpeace.

Si, aujourd’hui, on nous redisait la même chose pour la conférence environnementale, on n’hésiterait pas une seconde pour ne pas y aller. D’ailleurs, nous n’avons toujours pas décidé à 100 % si nous allions ou pas à la conférence environnementale. Dans le premier programme provisoire, se mélangent des objectifs de moyens et de résultats. Discuter des modalités du débat sur l’énergie tout en parlant de la rénovation thermique des bâtiments en quelques heures me paraît invraisemblable.

L’autre gros point d’interrogation, c’est qui sera autour de la table : les acteurs du Grenelle (Etat, ONG, collectivités territoriales, syndicats patronaux et de salariés), plus des parlementaires. Cela ne nous convient pas. Ce n’est pas représentatif. Entre le secteur associatif de 2007 et celui de 2012, il y a eu des évolutions.

Tout un tas d’associations, d’instituts et d’experts qui devraient en être sont absents. Mais avec qui discuter de rénovation du bâtiment ? Greenpeace n’est pas compétent, ce n’est pas notre spécialité. Et sur les transports ? Nous nous sommes retirés du comité de suivi du Grenelle et avons proposé d’être remplacé par le Réseau action climat (Rac), qui regroupe dix-huit organisations – dont la nôtre. Le ministère refuse. Tout cela fait qu’on réserve notre réponse, même si on a très envie d’y croire.

http://www.mediapart.fr/journal/france/230812/pour-greenpeace-sur-l-environnement-tous-les-signaux-envoyes-par-le-gouvernement