Un KissKissBankBank pour le peuple grec et faire la nique à Bruxelles

« Puisque le peuple grec souffre toujours des mesures d’austérité imposées par l’Europe, et que les gouvernements ne semblent pas prêts de les aider, organisons nous-même la solidarité, d’un peuple à un autre. »

C’est en substance l’idée du projet « De peuple à peuple » : une collecte de fonds participative pour les initiatives locales grecques, qui pallient depuis plusieurs années les déficiences des services sociaux. Première du genre, cette initiative est, selon ceux qui en sont à l’origine, une idée politique bien plus qu’humanitaire.

Lâcher la Grèce « honteux et dangereux »

A l’origine, il y a un collectif de gens, chercheurs, écrivains, documentaristes, qui se connaissent de diverses revues de gauche, comme « Tenons et Mortaises », ou encore de l’Université Populaire du XVIIIe arrondissement, à Paris. Certains sont allés en Grèce, d’autres pas, mais tous partagent la conviction que l’abandon du peuple grec est révoltant.

« La situation nous paraissait politiquement très grave, aussi grave que lorsque le Front populaire a lâché les Espagnols en guerre. Le fait que le gouvernement socialiste lâche la Grèce nous semblait à la fois honteux et dangereux. »

explique l’historienne Sophie Wahnich, qui fait partie du groupe de lancement d’Interdemos.

« On entendait constamment à la radio des discours néo-libéraux disant qu’on n’allait pas payer pour les Grecs. Mais si les peuples préfèrent donner à la Grèce plutôt que de voir une certaine idée de l’Europe disparaître ? »

Naît alors l’idée d’organiser directement la solidarité financière avec la Grèce – via le crowdfunding. Contactée, la plateforme KissKissBankBank accepte d’héberger et de soutenir le projet. Aujourd’hui, le projet Interdemos demande 300 000 euros, pour les verser à une association grecque, Solidarity4all, qui fédère et soutient les initiatives locales qui remplacent en Grèce les services sociaux déficients.

PRÉSENTATION DE LA CAMPAGNE, PAR L’ÉCRIVAIN MARIE COSNAY

Solidarity4all

« On sous-estime à quel point la Grèce est dans une situation très différente du Portugal ou de l’Espagne. La Grèce a été touchée beaucoup plus rudement. »

Laure Vermeersch, documentariste, va régulièrement en Grèce depuis plusieurs années. C’est là qu’elle a découvert Solidarity4all, dont la genèse remonte aumouvement des places en 2011 et au « mouvement des pommes de terre » de 2012, une initiative populaire pour court-circuiter les intermédiaires et faire baisser les prix des denrées alimentaires de base.

Partout, les initiatives locales se multiplient pour répondre aux besoins des communautés, en santé, en éducation et en alimentation. Laure Vermeersch en donne un exemple, à Fili, dans l’Attique :

« Des gens se sont organisés autour du magasin qu’un couple avait donné pour qu’y soient organisées des distributions de nourriture. C’est devenu un centre d’approvisionnement. On y trouve des gens qui votent Syriza, d’autres qui avant seraient allés à l’église. Beaucoup n’ont pas de travail, certains ont perdu leur retraite. Il n’y a pas de distinction entre ceux qui aident et ceux qui sont aidés. »

En 2012, les députés du parti Syriza élus au gouvernement européen ont investi entre 10 et 20% de leur indemnité parlementaire dans les actions de Solidarity4all.

Du politique, pas de l’humanitaire

La collecte de fonds d’Interdemos vise bien sûr à soutenir les actions de l’association grecque. Il est possible de soutenir des actions utilement à partir de quelques centaines d’euros et les 300 000 euros demandés, versés sur deux ans, pourraient permettre de financer énormément d’actions. Mais les organisateurs de la campagne voient celle-ci avant tout comme une action politique, manifestant l’existence d’un peuple européen capable d’agir indépendamment des décisions prises en son nom à Bruxelles. Sophie Wahnich explique ainsi :

« Cette collecte a pour idée de fonder un peuple européen autour d’une question cruciale, ce n’est pas du tout une logique humanitaire.

C’est aussi pour ça qu’on demande 300 000 euros. Si on demande de petites sommes, on reste dans des aides compassionnelles. Le geste politique ne devient pertinent qu’à partir d’une certaine somme. “

Philippe Aigrain, chercheur en informatique, fondateur de la Quadrature du Netet très investi dans le projet, affirme :

‘C’est aussi une question tactique. S’il y a une forte manifestation de solidarité citoyenne, cela peut aussi donner aux Grecs une position plus forte dans la négociation.’

Les collectes de solidarité ne sont pas nouvelles, ajoute-t-il :

‘Il y a une longue tradition de financement solidaire dans la tradition ouvrière, mutualiste, socialiste révolutionnaire. Mais c’est vrai qu’utiliser les outils de financement participatif est pour cela assez nouveau’.

Pour l’instant, la collecte a recueilli un peu plus de 27 000 euros, et se clôt dans 31 jours. Philippe Aigrain relativise, fort de ses expériences de collecte pour la Quadrature du Net :

‘La dernière fois, pour la Quadrature, nous avons recueilli 170 000 euros 60 heures avant la fin.’

Sophie Wahnich essaie de résister au pessimisme :

‘Les tentatives sont encore difficiles à mener, parce qu’elles sont nouvelles. Aujourd’hui, la question de la foi politique a un peu disparu. Les gens n’y croient plus. Nous on a un peu foi en l’impossible. Mais on a besoin d’être un grand nombre pour que ça marche.’

 

source:CLAIRE RICHARD POUR RUE 89

http://rue89.nouvelobs.com/

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