L’Allemagne comme exemple ?

L’enseignement supérieur, champion de la précarité

Berlin adopte enfin le salaire minimum à 8,50 euros. Mais il serait temps, s’insurge un universitaire, de penser à d’autres catégories, qui n’ont pas le statut de salarié, tels les enseignants chargés de cours qui travaillent pour 2 ou 3 euros de l’heure.
L’instauration d’un salaire minimum à 8,50 euros [à partir du 1er janvier 2015] en réjouit plus d’un dans notre république. A juste titre. Mais il restera beaucoup de salaires de misère et personne n’en parle – parce que les personnes concernées sont atomisées et très mal organisées, parce que les syndicats ne s’en occupent pas et parce que les institutions qui devraient s’en charger manquent à toutes leurs obligations.Je veux parler des 90 000 chargés de cours des universités et des établissements d’enseignement supérieur. Ils assurent 30 % à 40 % des heures au programme et permettent de répondre aux objectifs qui sont souvent quasi inaccessibles. Bref, ils sont indispensables. Pourtant, on les traite comme des moins que rien.

Une exploitation maximale

Nombre d’entre eux travaillent gratuitement et doivent parfois payer de leur poche les photocopies et le matériel d’enseignement.

Ceux qui sont rémunérés le sont selon une grille qui va de 20 à 60 euros de l’heure et la grande majorité des contrats tourne autour de 25 euros de l’heure.

Bien entendu, les heures de préparation et de conseil diffèrent selon les spécialités. Un enseignant en langues étrangères par exemple passera moins de temps à préparer ses cours qu’un autre en lettres, sciences politiques ou sociologie. Concrètement, un historien titulaire d’un doctorat par exemple, qui assure un séminaire sur le débat sociologique à la veille de la Première Guerre mondiale doit lire de trente à quarante ouvrages et une cinquantaine d’essais, ce qui représente environ 300 heures de lecture – auxquelles s’ajoutent la préparation des cours et le suivi des mémoires.S’il est payé plus de 700 euros par semestre, notre historien touche donc dans les 2 euros de l’heure.

Au-delà de toutes les différences selon les disciplines, il est incontestable que, si l’on se fonde sur le relevé de leurs heures, la rémunération de la grande majorité des chargés d’enseignement tourne autour de 3 euros de l’heure. Et personne ne dit rien, personne ne s’indigne. Il n’y a pas de salaire minimum dans les universités allemandes, mais une exploitation maximale.

Tout le corps enseignant est en crise

En Allemagne, l’enseignement supérieur souffre d’une part d’un manque cruel d’enseignants, comme le relève le Conseil scientifique : le nombre d’étudiants a augmenté de 22 % au cours des six dernières années et celui des professeurs de seulement 10 %. D’autre part, plus dramatique encore, c’est tout le corps enseignant surmené qui est en crise. Exploiter sans vergogne les chargés de cours, c’est se moquer de la situation catastrophique qui règne dans le supérieur, côté enseignants et côté étudiants. Le Conseil scientifique lui-même n’accorde à ce problème rien de plus qu’une note en bas de page.

Ses statistiques prouvent pourtant qu’on a compensé les économies réalisées dans le supérieur en recrutant du personnel enseignant bon marché. La plus grande partie des enseignants non titulaires d’un doctorat occupent un poste à mi-temps, dans le meilleur des cas deux tiers de poste, et sont donc loin de pouvoir gagner une fortune. De plus, ils sont souvent enchaînés aux professeurs. Les universités, qui misent d’abord et avant tout sur les professeurs, ne souhaitent plus vraiment avoir des maîtres de conférences et autres assistants débordant d’idées et de créativité.

La situation des chargés de cours correspond à celle des maîtres de conférences habilités, qui travaillent en général gratuitement pour obtenir leur habilitation. La « république de l’éducation » annoncée à cor et à cri par la chancelière Angela Merkel se permet d’exploiter entre 2 000 et 3 000 chercheurs habilités, de les faire travailler gratuitement sans pouvoir leur offrir de poste fixe, de chaire ou même un poste de professeur à temps partiel. Un tel gaspillage de ressources humaines est sans précédent.

Complètement à côté de la plaque

Certes, les chargés de cours commencent à bouger dans les conservatoires supérieurs de musique du Bade-Wurtemberg et les établissements d’enseignement supérieur de Berlin. Mais ces institutions qui pourraient en tant que telles faire pression en leur faveur ne s’engagent pratiquement pas.

Il y a pourtant des solutions à portée de main. Toute personne qui obtient un cours doit être mieux payée à la première embauche. Celles qui sont chargées de cours depuis longtemps doivent obtenir un poste fixe à temps partiel pour sortir du piège des honoraires. Les maîtres de conférences habilités devraient au moins avoir le statut de professeur à temps partiel. Tout cela serait parfaitement réalisable.

Chère Mme Nahles, notre ministre [sociale-démocrate] du Travail, le salaire minimum est un bon début. Mais le Parti social-démocrate ne voit pas vraiment ceux qui passent à côté. Les chargés de cours – comme le dit votre parti de façon lapidaire – n’ont pas le statut de salarié. Formellement, c’est exact. Dans les faits, c’est complètement à côté de la plaque.

[Note :Peter Grottian, 72 ans, est enseignant retraité en sciences politiques de l’Université libre de Berlin. Il a été co-initiateur des grèves de 2009/2010 dans l’enseignement supérieur.]