Penser la démocratie

Excellente tribune ! En quelques lignes tout est dit. A partager

De retour de Chine, de la Grande Bretagne et de la Belgique une nébuleuse de pensées et d’images fortes m’entraînent, me perturbent et, sans doute me déstabilisent.

Le sujet ? La démocratie, ou plutôt son ersatz.

J’essaie de faire la part des choses, de me dire que formellement celle-ci existe ici et pas là bas, rien n’y fait. Car dans les grandes métropoles chinoises de Shanghai à Pékin, de Canton à Hongkong la matrice démocratique, c’est à dire le citoyen, vit dans une sphère à tous points pareille que le Parisien, le Bruxellois, l’Anversois ou le Southamptien.

Bombardé par la pub, cerné par un trafic dément auquel il contribue allègrement confortablement installé dans sa bagnole, consommateur des sitcom moulées et des jeux télévisés au même nom et à la même substance, assailli par la pollution des airs et des envies de consommation, il fait la queue pour acheter le dernier Iphone, boit son café dans les Starbucks, mange ses Pizza Hutt, et s’habille chez H&M.

Jadis (mais pas si longtemps que ça) si vous demandiez à un pékinois le nom d’un français illustre il vous répondait : De Gaulle, Napoléon ou Curie. Aujourd’hui il vous citera Hermès, Vuitton ou Chanel.

Les « opposants » rouspètent par ce que leur régime, autoritaire, les prive de la circulation avec leur voiture un jour sur deux à cause de la pollution, et vous avez beau jeu de répondre qu’en Europe, les démocraties en font de même, ils vous regardent de manière incrédule, et répondent : vous nous faites marcher.

Ainsi donc, la globalisation a accouché d’un individu-consommateur universel, se croyant citoyen, se fantasmant aisé, s’endettant pour circuler, se parant et se coiffant des symboles de ce qu’il croit être la modernité.

Ce citoyen vote pour rien, s’abstient de voter ou rêve de pouvoir, un jour, le faire (sont-elles des vraies différences ?), voyage dans des lieux qu’on lui vente comme exotiques en achetant des pacotilles qu’on nomme souvenirs, des chameaux en peluche, des tours Eiffel en verre, des Acropole en plâtre ou des Colisée en carton.

Les pros de la mondialisation, ces roitelets des hôtels cinq étoiles – partout les mêmes -, s’endorment à Londres et se réveillent à Singapour, créent le matin une société écran et négocient l’après midi une norme universelle pour la tomate, « protègent » des brevets pour tout et sur tout, imposent leurs graines ou leurs rasoirs jetables, « font de la politique » dans les antichambres des chancelleries ou dans des colloques informatifs, nom que l’on donne désormais à toute action de lobbying.

La technostructure européenne, les exécutifs nationaux européens, la nomenclature chinoise, l’administration américaine, le Keindanren japonais, le gouvernement singapourien ou taïwanais, les autocrates derrière les murs du Kremlin décident du bon déroulé des affaires, prêtent et empruntent au marché, enfument jusqu’au paroxysme les consommateurs universels, leur vantant ici une grande patrie qui n’existe plus et là des valeurs non explicitées, tant galvaudées et malmenées qu’elle ont perdu en chemin leur identité.

« Je suis fidèle à mes valeurs », cette phrase qu’on entend du matin au soir ici, me fait penser à la photo géante de Mao Zedong qui prône, proprette, sur la place Tien an men, et on se demande en passant comment elle ne s’assombrit pas avec toutes ces Bentley et autres BMW lui crachant les gaz de leurs tuyaux d’échappement.

L’humain d’abord, crient certains. Mais de quel humain parle-t-on ? L’individu universel (et « globalisé ») se résume l’image, ou la caricature, de ceux qui le gouvernent, à celle que lui renvoient les médias crétinisants, n’existe que par quoi il consomme, et s’engouffre, tel un automate, dans le dédale d’idées reçues et les enfumages de ceux qui, sans vergogne le manipulent par la peur de perdre le peu qu’il possède (et qui se rétrécît au jour le jour) ou d’accession à un bien être qui ne vient jamais.

Michel Koutouzis

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/penser-la-democratie-150371

Commentaires sont clos