La contrefaçon : encore une fois prétexte au piétinement de nos libertés


C’est dans la plus grande discrétion, dans l’ombre de Prism et des révélations toujours plus fracassantes les une que les autres et les roulements d’épaules tous aussi risibles les uns que les autres,qu’un projet de loi, visant à créer un nouveau fichier des honnêtes gens (PDF – 420Ko) est en passe de voir le jour. Encore à l’état rédactionnel, ce projet de loi piloté par le groupe socialiste vise au renforcement de la lutte anti-contrefaçon. Roulé sous les aisselles parlementaires, sous la bienveillante égide d’Arnaud Montebourg et des services douaniers, il recèle d’une petite perle… son article 13.

Comme d’habitude quand il s’agit de contrefaçon, on applique des mesures d’exception que l’on retrouve dans l’anti-terrorisme ou la lutte contre le trafic international de stupéfiants, à l’ensemble de la population… Population que l’on relègue ainsi au rang d’ennemi présumé de la nation ou de tête d’un réseau du grand banditisme.

Voici en substance ce que nous dit l’article tel que rédigé actuellement.

Article 13

Après l’article 67 quinquies du code des douanes, il est inséré un article 67 sexies ainsi rédigé :

« Art. 67 sexies – I – Les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express transmettent à la direction générale des douanes et droits indirects, les données dont ils disposent et pour autant qu’elles soient nécessaires à l’identification des marchandises, biens et objets acheminés, de leurs moyens de transport ainsi que des personnes concernées par leur acheminement.

« Ces données ne peuvent être de celles qui relèvent du I de l’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« II – Afin de faciliter, pour les agents des douanes, la constatation des infractions visées aux articles 414, 415 et 459 du présent code, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, le ministre chargé des douanes est autorisé à mettre en œuvre des traitements automatisés des données transmises en application du I.

« Seuls les agents des douanes individuellement désignés et spécialement habilités par le ministre chargé des douanes ont accès aux données.

« III – Les traitements mentionnés au II sont soumis aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée.

« Les prestataires et entreprises mentionnés au I informent les personnes concernées par les traitements mis en œuvre par la direction générale des douanes et des droits indirects.

« IV – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’application du présent article. Il précise notamment la nature et les modalités de transmission des données mentionnées au I., les catégories de données concernées par les traitements mentionnés au II., les modalités d’accès et d’utilisation des données par les agents habilités, la durée de conservation des données, ainsi que les modalités d’exercice par les personnes concernées des droits d’accès et de rectification. »

Nous allons vous expliquer, si vous n’êtes pas très intimes avec le vocable législatif, de quoi il en retourne. Les douanes jouissent d’un pouvoir qui fait envie à n’importe quel OPJ de la police nationale : une commission rogatoire permanente, c’est à dire le droit de perquisitionner sans qu’il n’ait besoin d’aller la quémander une autorisation à un juge. D’ailleurs, tous les bons flics ont un copain douanier.

Dans la droite lignée de ce super pouvoir, cet article 13 est une sorte d’upgrade préventif visant à ficher toute personne recevant un colis, en contraignant tous les transporteurs à communiquer, de manière préventive, tout ce dont ils disposent pour identifier la marchandise, l’émetteur, le destinataire (vous)… ce que l’on appelle les metadonnées quand il s’agit d’un transport de données dématérialisées… et si c’est possible, le contenu du colis.

Toutes ces données sont ensuite injectées dans une sympathique base de données contenant non seulement l’ensemble des données personnelles pouvant ainsi être collectées, mais aussi beaucoup d’informations sur vos achats qui laisseront aisément transpirer vos opinions politiques, votre orientation sexuelle ou religieuse… Tout ce contre quoi la loi informatique et liberté de 1978 est censée vous protéger. Sauf que dans notre cas précis, à savoir la lutte contre les vilains qui se rendent coupables de contrefaçons et aux non moins vilains qui se rendent coupables de recel de contrefaçon… et en fait à tout le monde car nul besoin de commettre un délit pour faire son entrée dans cette base de données… la loi informatique et liberté ne s’applique pas. Tout est prévu dans ce petit article 13 fichtrement bien rédigé. Mais comme ils sont sympas à la CNIL, on va quand même les associer au projet et ça nous fera un petit écran de fumée pour expliquer aux citoyens que tout ceci est parfaitement légal et respectueux de vos libertés, puisque regardez, même la CNIL y a contribué… bon ok… avec le couteau sous la gorge.

Bref, finit la bombe sale DiY à uranium enrichi montée en kit et commandée en pièces détachées via Ebay et Alibaba… hay caramba, encore raté !

Mais puisqu’on vous dit que c’est pour votre bien… dormez tranquilles, votre gouvernement vous sécurise, quitte à archiver vos commandes de sextoys de manière nominative dans une nouvelle base de données qui n’est autre qu’un nouveau fichier de police applicable à l’ensemble de la population.

Une loi qui pourrait presque rendre nostalgique de l’époque où les gouvernements luttaient contre la contrefaçon en accouchant d’une HADOPI.

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