MANIPULATION ? LE POISSON PANGA

Voici un article concernant un poisson d’élevage honni sur internet , le panga.

Est-ce justifié ? Toutes les campagnes qui sévissent sur le net contre tel ou telle cible sont-elles vraiment argumentées et honnêtes, ou se sert-on de la vague écologique pour assassiner un adversaire gênant ou promouvoir un produit en vue d’un profit ?

Au-delà du sujet du panga  cet article démontre sur un plan général comment un lobby peut s’emparer du net et jouer sur les sensibilités pour répandre de fausses informations, à son bénéfice.

Maintenant, que le panga soit mangeable ou non, vu les pollutions répétées et dramatiques des eaux de mer de la planète, et ce que nous savons sur les pratiques d’élevage, on peut vraiment se poser la question de la consommation du poisson et des fruits de mer en général….

Hoax écolos (1/4) : un poisson nommé Panga

Pour son retour de vacances, Eco(lo) vous propose une cure de désintox en faisant la chasse aux hoax – fausses informations – écolos qui circulent sur le Net.

 

Une photo terrifiante, un message alarmiste : l’annonce d’un nouveau scandale alimentaire déferle de mails en pages Facebook sur Internet. Le texte, partagé plus de 50 000 fois sur le réseau social depuis le 10 juin, s’intitule « Ne jamais acheter cette saleté ! ». La saleté en question, c’est le panga, un poisson qualifié de « nouveau », « en train d’envahir le marché à cause de son prix » et, surtout, « infecté, à haut niveau, de venins, bactéries » et différents polluants organiques persistants. Dans votre assiette : arsenic, sous-produits du secteur industriel, PCB, DDT, CHL, ou encore HCB. Argument de poids, le message est signé par un chercheur de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Alors, ce poisson, un poison ?

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Vous l’avez compris, ce message, qui tourne en réalité sur la Toile depuis près de deux ans, s’avère un hoax. Et c’est une belle prise. La caution scientifique, tout d’abord, tombe à l’eau puisque le chercheur cité, François Harmegnies, n’a jamais travaillé sur le panga. A la retraite depuis un an, il était spécialiste d’un tout autre thème – la géologie maritime – et ne sait pas pourquoi son nom et ses coordonnées ont été associés au hoax. L’Ifremer a porté plainte contre X le 18 décembre 2012 pour usurpation d’identité. En vain, puisque le message continue de circuler.

La photo, ensuite, reprise sur pléthore de sites et blogs, représente bien un panga, mais pas celui qui se retrouve sur nos étals. Sur le cliché, il s’agit du Pangasius gigas, un poisson sauvage du delta du Mékong qui peut mesurer jusqu’à 3 m de long et peser 300 kg, mais dont l’espèce est presque éteinte. Le panga que nous mangeons, lui, est le Pangasianodon hypophthalmus (anciennement appelé Pangasius hypophthalmus), un poisson plus petit (80 cm en moyenne) qui évolue également à l’état sauvage dans le bassin du Mékong.

Mais depuis une quinzaine d’années, il est au centre d’une filière d’élevage à grande échelle en Asie du Sud-Est, essentiellement au Vietnam (1,1 million de tonnes par an destinées à l’exportation en 2008, contre 50 000 tonnes au milieu des années 1990, selon la FAO), ainsi qu’en Thaïlande, aux Philippines, au Cambodge, en Chine ou encore en Indonésie. Il est élevé dans des étangs et des cages flottantes avant d’être vendu en Europe (à 35 %), en Asie, aux Etats-Unis et au Moyen-Orient, surtout sous forme de filets congelés. Les prix sont imbattables : entre 7 et 10 euros le kilo en France.

« Ce poisson se prête à l’élevage intensif dans la mesure où il a développé une respiration aérienne qui lui permet de profiter de l’oxygène atmosphérique en complément de celui dissout dans l’eau », en quantité parfois insuffisante dans les bassins d’aquaculture, explique Frédéric Clota, ingénieur d’études en aquaculture au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Est-il pour autant toxique ? Pas particulièrement, ou du moins, pas plus que tout autre poisson d’élevage, assure Frédéric Clota. « Il est toutefois vrai que pendant longtemps, les antibiotiques étaient utilisés à la louche dans les élevages en Asie, précise-t-il. Mais aujourd’hui, c’est moins vrai dans la mesure où les normes sanitaires sont draconiennes pour l’exportation. Et le Mékong, bien que menacé comme tous les grands fleuves par les diverses pollutions (industrielles, agricoles, domestiques..), est loin d’être l’un des plus contaminés de la planète puisqu’il détient une des plus importantes biodiversités mondiales. Le Rhin ou le Rhône sont tout aussi pollués. »

« Trash fish »

Reste que les femelles font bel et bien l’objet d’un traitement hormonal pour leur permettre d’achever leur maturation – qui peut s’avérer difficile en captivité – et déclencher la ponte. On leur administre alors de l’hCG, une hormone extraite de l’urine de femmes enceintes (elle est utilisée chez ces dernières pour déclencher l’accouchement) puis purifiée.

Autre problème : ce poisson, omnivore, est nourri, à côté de végétaux, avec des farines animales provenant de poissons de rebut (ce que l’on nomme le « trash fish »). « Tous les poissons, à l’état sauvage, consomment d’autres poissons. Et tous les poissons d’élevage sont nourris avec des farines, réplique Frédéric Clota. Les farines de poissons doivent toutefois être limitées non pour des raisons toxicologiques mais écologiques : cette ressource se tarit. »

Alors, pourquoi cet acharnement contre le panga ? Le poisson a fait l’objet d’une campagne de dénigrement des pisciculteurs américains de catfish, un poisson concurrent du panga, de la même famille des siluriformes, pour tenter de limiter les importations de Pangasius aux Etats-Unis, qu’ils accusent d’avoir cassé les prix du marché. Les arguments, dont nombre d’entre eux étaient faux, ont été repris dans un reportage de Capital,  « Panga : enquête sur le poisson à prix cassé », diffusé sur M6 le 29 octobre 2006, qui a alimenté une partie de la psychose.

En conclusion, le panga n’est pas pire qu’un autre poisson d’élevage. Il fait davantage peur car il reste encore méconnu en Occident – malgré sa large exportation – et provient d’Asie, des éléments particulièrement anxiogènes dans un contexte de scandales alimentaires à répétition. Malgré tout, ce hoax repose la question de l’aquaculture intensive et plus largement de l’élevage industriel, loin d’être au-dessus de toute critique.

Audrey Garric

SOURCE : Le Monde/Planète

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