Des salariés poursuivis aux prud’hommes pour avoir libéré une esclave ?


Des employés syndiqués d’un hôtel de luxe avaient pris l’initiative de libérer une jeune Ethiopienne asservie par des clients émiratis. Le directeur leur reproche de ne pas l’avoir averti.

De l’esclavage moderne au conflit syndical : c’est la trajectoire prise par l’affaire de l’hôtel Concorde Opéra. Près de trois mois après la libération d’une employée de maison éthiopienne, asservie par ses patrons émiratis mais finalement libérée grâce à l’intervention d’employés de l’hôtel de luxe parisien, le dossier prend un tour plus conflictuel. A l’appel de la CGT des Hôtels de prestige et économiques, un rassemblement doit avoir lieu devant l’établissement, ce mercredi à midi. Le syndicat affirme que plusieurs de ses représentants sont victimes d’une «répression» de la part de la direction.

Rappel des faits : le 13 juillet, Z., une jeune Ethiopienne de 24 ans, parvient à se confier à une femme de chambre de l’hôtel quatre étoiles. Elle dit être retenue contre son gré par une famille de Dubaï, qui loge depuis deux semaines dans l’établissement. Embauchée en janvier 2011 comme employée de maison, elle affirme avoir été privée de son passeport, et subir très régulièrement coups, insultes, et menaces de mort. L’employée du Concorde Opéra avertit des collègues syndicalistes, qui organisent la libération de la jeune esclave.

Problème : les quatre délégués n’ont pas mis au courant la direction. Le 13 août, ils reçoivent en courrier recommandé des «lettres de rappel». Un des documents, que Libération a pu consulter, pointe «l’extrême gravité de ne pas avertir immédiatement la Direction générale de faits se déroulant dans l’hôtel». Claude Lévy, délégué CGT des hôtels de prestige, s’étonne d’une telle virulence. Il dénonce le cynisme du directeur Claude Rath, qui aurait reproché aux mis en cause d’avoir «fait perdre du chiffre d’affaires à l’établissement» en provoquant le départ de clients fortunés. Pour Claude Lévy, les délégués ont volontairement omis d’avertir leur hiérarchie : «On n’a aucune confiance en monsieur Rath. Si on l’avait prévenu, il aurait alerté la famille émiratie pour qu’elle prenne la fuite.»

«Ce n’est pas un gars fiable. Il est retors, pervers»

Le conflit entre les deux parties remonte à 2003. Alors directeur adjoint à l’hôtel Méridien Montparnasse, Claude Rath connaît une sévère crise sociale avec les syndicats durant trois semaines. «Il a joué un rôle provocateur, accuse Claude Lévy. Ce n’est pas un gars fiable. Il est retors, pervers.» Joint par Libération, Claude Rath «dément tout litige particulier avec les syndicats» et affirme qu’à «aucun moment, il n’a été question des intérêts économiques de l’hôtel» dans l’affaire du Concorde Opéra. «L’hôtel s’oppose totalement aux faits d’esclavage», précise-t-il, avant de nier toute «répression syndicale».

Néanmoins, le directeur n’en démord pas. Pas question pour lui de retirer les lettres de rappel, comme la CGT lui demande. «Il ne s’agit pas de sanctions disciplinaires, mais d’un rappel à la procédure. Les faits évoqués sont graves, la direction de l’hôtel est pénalement responsable et doit donc être tenue au courant», argue-t-il. Du côté de la CGT, on a une lecture bien différente de l’affaire. «Ces lettres ont clairement une visée disciplinaire : si la direction avait le moindre problème à l’avenir avec ces salariés, elle ne manquerait pas de les ressortir.»

Le dossier pourrait se régler devant le tribunal des prud’hommes. La CGT compte y porter le dossier, une éventualité qui n’effraie pas Claude Rath. Evoquant une «majorité silencieuse» qui le soutiendrait dans son établissement, le directeur affirme n’avoir «aucun problème à aller jusque là». Et ce n’est pas le courrier reçu de l’inspection du travail qui le fera déroger de sa ligne. Dans ce document, la personne chargée du secteur écrit avoir pris connaissance de l’envoi des lettres de rappel «avec le plus grand étonnement». Fustigeant des griefs «tous dérisoires», elle invite Claude Rath à les «retirer». Et indique son intention «de signaler le comportement exemplaire des salariés par le biais d’un rapport au ministre de l’Intérieur».

source:http://www.liberation.fr/societe/2012/10/03/des-salaries-poursuivis-aux-prud-hommes-pour-avoir-libere-une-esclave_850387

Commentaires sont clos