EURO : la fuite des capitaux

Pour l’instant, les dirigeants européens gardent un silence absolu sur le sujet, dans l’espoir de pouvoir encore contrôler le mouvement en cours.

Tout juste, quelques responsables y font-ils allusion à mots couverts. Comme le premier ministre italien Mario Monti annonçant, la semaine dernière, dans un discours des plus alarmants, que le pays est en guerre sur plusieurs fronts. Ou comme le chef économiste de la Banque centrale européenne, Peter Praet, annonçant, mardi dernier, que la crise de la zone euro est désormais « plus profonde et plus dangereuse » qu’au moment de l’effondrement de Lehman Brothers, sans en dire beaucoup plus.

Les observateurs étrangers, eux, ne prennent plus tant de précautions. « L’une des choses qui me préoccupent le plus actuellement, c’est que cette crise oppose un marché qui bouge rapidement à un processus qui bouge très lentement (…) Une désintégration de la zone euro impulsée par les marchés est en cours », s’alarme un responsable de la réserve fédérale de Saint Louis, James Bullard, dans un entretien au Wall Street journal.

Stephen Gallo, un stratégiste du Crédit Agricole : « Ce à quoi nous assistons maintenant, c’est au démaillage de l’ensemble du projet européen. »

Cette inquiétude  se retrouve dans les chiffres. Même s’ils sont partiels, tous donnent des signaux de plus en plus alarmants. D’abord, il y a la formidable divergence entre les taux d’intérêts au sein de la  zone euro. Tandis que l’Espagne emprunte à près de 7 % , et l’Italie à plus de 6 %, l’Allemagne lève des fonds à des taux de plus en plus négatifs, c’est-à-dire qu’il faut payer pour pouvoir acheter des titres! La semaine dernière, elle a emprunté plus de 3 milliards d’euros au taux record de – 0,0344 %. Aujourd’hui à nouveau, le Trésor français a lancé une émission à six mois à un taux négatif de 0,015 %. Alors que certains commençaient à se réjouir que la France ait désormais le même statut que l’Allemagne de pays refuge, le gouverneur de la Banque de France Christian Noyer a douché leur enthousiasme, sans s’attarder plus sur le sujet. « Ce n’est pas une bonne nouvelle », a-t-il déclaré. Il ne pouvait dire moins.

La fuite hors de l’Europe du Sud

Cette fuite des capitaux hors de l’Europe du Sud est à l’œuvre depuis plusieurs mois. La Grèce a vu partir plus de 160 milliards d’euros en quelque mois.  Les investisseurs étrangers ont vendu près de 100 milliards d’euros d’obligations espagnoles, soit l’équivalent de 10 % du PIB, entre novembre 2011 et mars 2012. Mais le flux semble s’accélérer depuis avril, les déposants espagnols se joignant aux banques et financiers étrangers pour mettre leur argent en sécurité hors du pays. Une étude du Crédit suisse montre l’ampleur des mouvements : plus de 150 milliards d’euros ont quitté l’Espagne!

Les banques espagnoles ont emprunté en juin auprès de la Banque centrale le montant record de 337 milliards d’euros, contre 287,8 milliards en mai. En un mois, leur besoin de financement a augmenté de 17,2 %.

Les nouvelles mesures de rigueur annoncées par le gouvernement de Mariano Rajoy et les discussions sur le sauvetage du système bancaire espagnol, estimées à 100 milliards d’euros, montant qui risque d’être entièrement à la charge du pays contrairement à ce qui avait été annoncé lors du sommet européen du 26 et 27 juin, pourraient encore accélérer cette fuite.

L’Italie subit le même régime que l’Espagne. Depuis la crise de la dette à l’automne dernier, les investisseurs se sont massivement  débarrassés de leurs titres italiens. 160 milliards d’euros, soit là encore 10 % du PIB, auraient quitté le pays au cours des derniers mois. Mais là encore, les déposants nationaux commencent à se joindre aux financiers internationaux, tous cherchant des refuges plus sûrs.

Ces déplacements massifs de capitaux n’avaient jamais existé avec une telle ampleur dans la zone euro. Une partie se réfugie en Allemagne, aux Pays-Bas, en Finlande et maintenant en France. D’où les taux négatifs. Mais de l’avis de nombreux observateurs, ce n’est qu’une étape.

Les responsables des hedge funds, qui ont beaucoup spéculé ces deux dernières années sur les dettes européennes, estiment que les taux allemands sont juste une conséquence de la fuite des capitaux au sein de l’Europe, et qu’ils devraient au moins doubler au cours des douze prochains mois. Certains ont déjà décidé de quitter complètement la zone euro, estimant que l’avenir n’était plus prévisible nulle part en Europe. PIMCO, l’un des plus grands fonds obligataires du monde, qui gère plus de 250 milliards de dollars, est ainsi en train de convertir ses titres européens en bons du Trésor américains. « C’est la moins pire des solutions », a-t-il expliqué.

Car un deuxième mouvement est en train de se mettre en marche. Après avoir cherché refuge en Europe du Nord, les financiers sont en train d’abandonner l’ensemble de la zone euro. Tous s’y mettent. Les financiers et les banquiers vendent de l’euro à tour de bras. Citigroup vient d’annoncer qu’elle avait renoncé à toute activité de banque de détail en Europe, afin de se préparer à l’éventualité de l’éclatement de la zone euro.

En avril, la Banque centrale européenne a enregistré la chute la plus importante de dépôts depuis la création de la monnaie unique : 57 milliards d’euros ont été retirés de ses livres. Les banques centrales des pays émergents ont également diminué, pour la première fois, leurs réserves en euros pour se réfugier sur le dollar.  Mais les entreprises et les particuliers commencent aussi à suivre.

« L’incertitude grandissante en Europe amène nos établissements, particulièrement dans les zones frontalières, à enregistrer un afflux notable d’argent. La grande majorité de ces nouveaux déposants sont italiens, français et même allemands », a reconnu dernièrement un responsable bancaire suisse.

La manifestation de ces fuites éperdues se lit dans les cours de l’euro. La monnaie unique a perdu 13,4 % de sa valeur face à la monnaie américaine depuis fin octobre, pour tomber à 1,22 dollar. Les analystes tablent sur une nouvelle chute de l’euro, qui pourrait tomber, selon leurs prévisions, jusqu’à 1,15 dollar dans les prochains mois. Mais c’est surtout la Suisse qui fait figure de refuge. La Banque centrale suisse fait face à un afflux de capitaux qui la préoccupe, et elle dépense des milliards pour maintenir le niveau du franc suisse à 1,20 euro, niveau qu’elle juge essentielle pour la compétitivité de son économie.

Réserves en devises étrangères de la banque centrale suisseRéserves en devises étrangères de la banque centrale suisse

La baisse de l’euro, longtemps surévaluée, pourrait être une bonne nouvelle pour les économies européennes : les productions européennes regagnent une meilleure compétitivité en termes de prix face aux économies étrangères. Cela devrait relancer les exportations.

L’ennui est que la dépréciation de la monnaie européenne est d’abord liée aux plans d’austérité massifs imposés dans toute l’Europe, aux risques de récession, et aux craintes qu’inspirent désormais la zone euro.

La zone euro et la monnaie unique sont des créations sans précédent, qui rendent les comparaisons difficiles. Il y a pourtant un exemple qui pourrait être rapproché de ce qui se passe en Europe aujourd’hui : l’Amérique du Sud des années 1970 et 1980. Brésil, Chili, Argentine étaient alors confrontés à une situation d’endettement massif. Le FMI leur imposa des programmes d’austérité drastiques qui alimentèrent des fuites de capitaux gigantesques d’investisseurs effrayés par l’instabilité politique et sociale, ce qui amena dans ces pays la disparition de la démocratie.

D’autant que l’Europe risque d’entraîner avec elle le reste du monde.

                Source : http://www.mediapart.fr