Expérimentation animale : les chiens cobayes, face cachée du Téléthon
C’est peu connu, mais une partie des dons versés au Téléthon finance la recherche sur des chiens. Reportage dans le chenil où ont lieu les expérimentations.
Le compteur final du téléthon 2010, le 4 décembre 2010 (DURAND FLORENCE/SIPA)
Le Téléthon a déjà fait l’objet de polémiques quant à l’utilisation médiatique des enfants malades ou encore la gestion des fonds récoltés, mais rarement concernant la recherche que l’AFM Téléthon finançait. Une partie de cette recherche utilise en effet, comme de nombreuses unités de recherche, des animaux de laboratoire, pratiquant ce qu’il est communément appelé l’expérimentation animale.
Les mouvements de protection animale, dont des associations spécifiquement anti-vivisection comme le CCE2A ou International Campaigns, connaissent une ampleur certaine depuis 2009-2010 qui n’a pas échappé aux organisateurs du Téléthon.
Accusé par ces associations de « financer la vivisection », le Téléthon a choisi de reconnaître officiellement que la recherche qu’il finançait était parfois amenée à utiliser des animaux, tout en soulignant le strict respect de la législation en vigueur.
Mais cette concession médiatique, grâce à laquelle l’AFM a pu démentir toute expérimentation occulte, ne s’est pas traduite par une véritable information transparente. En réalité, il est quasiment impossible d’en savoir plus sur ces animaux utilisés par la recherche que finance le Téléthon : quelles espèces ? En quelle quantité ? Pour quels protocoles ? A la conférence de presse de la dernière édition du Téléthon, un malaise non dissimulé face à ces questions m’avait déjà interpelée.
Les chiens myopathes, ces invisibles
Après plus de deux mois d’intenses échanges, j’ai enfin pu approcher les fameux chiens myopathes qui servent à la recherche sur la myopathie de Duchenne. Les associations de protection animale connaissent leur existence, mais possèdent très peu d’informations sur le traitement qui leur est réservé.
Sur le site du laboratoire qui les utilise, seules quelques photos des membres du laboratoire avec un chien dans les bras sont présentes [nous n’avons pas souhaité nommer le labo pour ne pas exposer son personnel à d’éventuelles attaques personnelles, hélas courantes, ndlr].
Le choix de cette absence de communication est simple : « Vous comprenez, on ne peut pas montrer ça aux gens », m’explique un animalier, alors que je rentre pour la première fois dans le chenil des chiens myopathes, situé dans l’un des bâtiments de l’école vétérinaire de Maisons-Alfort.
Montrer comment s’effectue la recherche irait à l’encontre même des objectifs du Téléthon et surtout de sa méthode : l’impact émotionnel. Les chiens ne peuvent plus s’alimenter, et vivent donc avec une sonde pour être nourris, ils ont des difficultés respiratoires et motrices très lourdes. Certains chiots ressemblent déjà à des robots et ne font quelques pas qu’au prix d’un essoufflement accablant. Cette réalité occultée par l’AFM Téléthon, dont les affiches sont présentes dans les couloirs du chenil, est très dure à supporter.
« J’aimerais pas être à leur place »
Les associations de protection animale n’ont donc pas tort : une partie des dons sert effectivement à financer l’expérimentation animale. A la question « les animaux souffrent-ils ? », l’un des praticiens m’avoue sans détour, sur le ton de l’humour :
« Je peux vous dire que j’aimerais pas être à leur place ! »
Certains chiens du chenil ne subissent aucune expérience particulière et servent simplement de témoins : on constate sur eux l’évolution et le déploiement de la maladie.
Ces chiens font partie du « protocole histoire naturelle ». Pourquoi continuer d’observer des témoins malades ? Parce qu’il y a « autant de types de myopathies que d’individus », et que la connaissance de la maladie requiert une observation constante d’individus malades différents.
Cette souffrance créée et non soulagée fait partie des aspects dénoncés par les associations de protection animale, qui soulignent l’inutilité de ces protocoles pour une maladie dont l’évolution sans traitement est bien connue.
Un élevage de chiens destinés aux labos
Dans le chenil des chiens myopathes de l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, on ne soigne pas, on reçoit des animaux génétiquement modifiés pour naître myopathes sur lesquels on teste différents protocoles. D’où viennent-ils ? D’un élevage qui fait beaucoup parler de lui depuis 2010 : le CEDS, le Centre d’élevage du domaine des Souches, situé à Mézilles, un petit village de l’Yonne.
Depuis 2010, chaque année, une manifestation regroupant associations et militants dénonce cet élevage de chiens destinés aux laboratoires, et accusé de maltraitance dans ses locaux, entre autres à la suite d’un témoignage, devant la justice, d’un ex-employé aujourd’hui décédé.
En 2010, les manifestants étaient 400, en 2012 ils étaient plus d’un millier, faisant surgir dans les médias l’existence de cet élevage familial jusqu’alors peu connu. Un site internet dédié à la fermeture de cet élevage a même été créé. Monique et Michel Carré, propriétaires de cet élevage, ont radicalement refusé de répondre à mes questions.
La responsable de l’expérimentation animale de la DDCSPP (Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations) de l’Yonne a, elle, sèchement coupé court à toute communication.
« C’est pour la bonne cause »
Le leitmotiv des chercheurs que j’ai pu rencontrer est l’incompréhension du grand public pour leur travail. « On craint surtout les intégristes : ils détournent les images et les propos », m’assure un animalier.
Le durcissement de la législation européenne portant sur l’expérimentation animale et le renforcement de la médiatisation de ses pratiques douloureuses ont provoqué un repli draconien des chercheurs. Les laboratoires utilisant des animaux sont devenus impénétrables pour qui n’y travaille pas : « Moins on en parle, mieux c’est », me confirme un animalier.
Pour éviter certaines attaques militantes, le laboratoire Sanofi ne détient plus de primates. Il sous-traite ces expériences à des instituts de recherche publics, m’indique un chercheur du centre de recherche de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, situé à La Pitié-Salpêtrière.
Un jeune animalier m’explique que sa famille ou ses proches n’ont jamais apprécié son métier. Il se désole :
« Le problème, c’est que les gens sont bien contents après que la recherche fasse des progrès, et nous on a juste le mauvais le rôle ! Maintenant, je ne précise plus que je travaille dans un laboratoire : quand on me demande ce que je fais, je dis juste que je suis animalier. »
Position d’autant plus difficile pour ces animaliers qui avouent à la base avoir choisi ce métier par amour des animaux…
« Evidemment, ce n’est jamais facile de les voir souffrir, ou même de les euthanasier, mais on se dit que d’autres arrivent ensuite. Et puis c’est pour la bonne cause. »
Se passer de la recherche sur les animaux ?
L’expérimentation animale est parfois remise en question pour des raisons scientifiques (la transposition du modèle animal au modèle humain s’avère plus que problématique, voire parfois dangereuse pour la santé humaine), mais ce n’est pas le cas ici de la myopathie de Duchenne, « présente naturellement sur les labradors dans une forme très proche de celle qui affecte l’homme », m’explique-t-on.
Dans la plupart des cas, l’idée qu’il faudrait choisir « entre des animaux et des humains » est un faux dilemme. Une immense partie des expériences faites sur les animaux ne concerne pas la recherche sur des maladies, mais la toxicologie, les cosmétiques, les solvants, les colorants, et les armes chimiques et bactériologiques. La recherche sur les médicaments concerne souvent de nouveaux produits, dont la création n’est faite qu’à des fins commerciales.
Les associations de protection animale dénoncent les abus de protocoles utilisant des animaux qui pourraient faire usage des méthodes alternatives sans animaux.
Pourquoi ne pas changer de méthodes lorsque cela est possible ? Selon les chercheurs sur la myopathie :
« Rien ne remplacera jamais la complexité d’un organisme vivant. »
Pourtant, d’autres scientifiques m’ont confié une raison moins avouable, comme l’explique un neurobiologiste :
« On préfère continuer de faire comme on sait faire, avec des modèles vivants, comme on a toujours fait. C’est la vieille méthode qui marche, disons. C’est triste, mais la peur du changement est réelle. »
La reconnaissance des ces animaux invisibles
La collusion entre tous les acteurs de l’expérimentation animale est aussi pointée du doigt par les associations de protection animale. Avant d’obtenir le droit d’expérimenter sur des animaux, les équipes de chercheurs doivent soumettre à des comités d’éthique leur protocole : ce dernier est chargé d’appliquer le principe des « 3R » (réduire, raffiner, remplacer), qui a été mis en place pour éviter l’utilisation d’animaux quand celle-ci peut être évitée. Mais les membres de ces comités sont des chercheurs et, surtout, les protocoles sont pratiquement systématiquement validés. On m’a même attesté que les protocoles commençaient souvent parfois avant d’avoir l’aval des comités, « pour des raisons de délais trop longs ».
Dernier point noir : celui de la reconnaissance des ces animaux invisibles. Les chiens myopathes en sont le meilleur exemple. Confinés dans des animaleries qui ressemblent à des bunkers, ils vivront sans voir la lumière du jour, dans des cages souvent situées en sous-sol, subissant des expériences quotidiennes avant d’être euthanasiés. Les malades, premiers concernés par la recherche, ont eux-mêmes rarement connaissance de ces animaux, qui font pourtant partie des premiers acteurs de la recherche.
Il ne s’agit pas de devoir choisir entre des vies humaines et des vies animales mais déjà de montrer au grand public ce que l’on fait, dans quelles conditions et quel est le prix à payer pour la recherche.
L’association de réflexion sur la maladie de Huntington, Ding Ding Dong, a en ce sens entreprit un projet pour que les malades puissent rendre hommage en quelque sorte aux animaux « sacrifiés » (c’est le terme scientifique) pour la recherche. Une piste pour Le Téléthon ?