Frédéric et Laure, deux enfants, « heureux » avec 2 320 € par mois
S’occuper des enfants, s’investir dans des associations : Laure et Frédéric ont fait le choix de travailler moins pour profiter de la vie. Ils dévoilent leurs comptes à Rue89.
Frédéric et Laure, dans leur jardin, le 25 septembre 2013 (Emilie Brouze/Rue89)
(De Vendée) En lisant le journal, Frédéric (un pseudo) a découvert que le seuil de pauvreté pour un couple avec deux jeunes enfants est de 2 024 euros par mois. « Ça m’a paru tellement bizarre… » Sa famille, explique-t-il, vit avec environ 2 000 euros par mois, depuis dix ans – plutôt 2 320 euros en moyenne, d’après nos calculs.
« On a l’impression de faire partie de la classe moyenne. »
C’est avec ces mots, par e-mail, qu’il nous a convaincus de passer son porte-monnaie aux rayons X :
« Statistiquement, nous faisons partie des pauvres, mais nous sommes heureux. Je veux témoigner qu’il est possible de vivre agréablement et confortablement, sans se restreindre mais en faisant attention à son mode de consommation et son mode de vie. »
Travailler moins pour gagner plus de temps
Le jeune couple, 34 et 35 ans, habite la maison du bonheur en pleine campagne, près des Herbiers (Vendée). Des plantes grimpent sur la façade et, du pallier, on ne voit même pas le bout du jardin qui s’étend sur 4 000m2 : Frédéric et Laure ont un potager, des dizaines d’arbres fruitiers, des poules, des oies, des chevreaux, une petite mare et des mûres rondes et bien noires, qui garnissent les ronces emmêlées au grillage.
Ce mercredi, la famille est au complet : les parents ne travaillent pas et il n’y a pas école.
Laure (son prénom a été changé) est salariée à 80% dans la fonction publique – « Je pourrais travailler plus, c’est un choix ». Frédéric, lui, vient de terminer un CDD de deux mois comme veilleur de nuit. C’est son voisin qui lui a dit qu’un poste était vacant dans son association.
Le père veille aux annonces de botaniste, son truc. Elles sont rares, dans la région. Le reste du temps, il ne cherche pas spécialement mais s’occupe du jardin, des enfants et de la rénovation de la maison. Le couple a fait le « choix de vie » de travailler moins pour gagner plus de temps. Frédéric :
« J’ai pris modèle sur certains membres de ma famille qui ont des modes de vie qui, jeune, m’ont marqué. Ils restaient avec leurs enfants, étaient très dispos, vivaient à la campagne… Ils avaient aussi le goût du travail manuel. »
Laure et Frédéric viennent tous deux de familles rurales – des « revenus corrects, une existence modeste ». Ils se sont rencontrés costumés, dans le château où Laure travaillait. Frédéric, alors saisonnier, jouait au garde : « J’ai réussi à me faire la princesse », rit-il.
Dans leurs deux familles, l’argent est tabou : si par hasard les parents tombaient sur ce porte-monnaie, ils en auraient probablement des hauts-le-cœur.
« On n’est pas marginaux »
Autour des Herbiers, il est facile de trouver des petits boulots à l’usine. Des emplois précaires dans l’agroalimentaire, avec de maigres salaires. Le revenu de Laure est d’ailleurs plus élevé que la moyenne du coin. Autour d’un jus de pomme maison, le père continue :
« J’ai pas l’impression qu’on se prive. On vit bien, modestement. On a un mode de vie qui permet de ne pas trop dépenser. On ne cherche pas à gagner plus. »
Ni à amasser de l’argent à la banque : le couple a environ 7 500 euros de côté, pour la toiture et la prochaine voiture. La maison, appuient-ils, est leur seule véritable épargne :
« On a une activité économique et financière très faible, mais une vie associative, culturelle et sociale intense. »
Pendant notre conversation, le couple répète à l’envi le mot « temps », comme une chose chérie. Quand ils parlent de leur mode de vie, ils précisent :
« Ici, beaucoup de gens vivent comme nous. On n’est pas marginaux. »
Le plus souvent, c’est l’homme qui bosse, notent-ils. Mais si bientôt Frédéric trouve un travail qui lui plaît, même en CDI, il dira oui. Le couple en a déjà discuté : Laure travaille depuis douze ans au même endroit et pourrait bosser moins ou « prendre une disponibilité ». Ce serait alors son tour d’avoir plus de temps.
Revenus : en moyenne 2 320 euros net par mois
Les revenus de la famille peuvent varier énormément d’un mois sur l’autre (de 1 600 à 2 800 euros par mois environ). Tout dépend si Frédéric travaille ou si le couple a une rentrée d’argent exceptionnelle.
- Laure : en moyenne 1 726 euros net par mois
– Salaire (Laure ne travaille qu’à 80%) : 1 550 euros net par mois
– Tickets restaurant : 200 tickets à 7 euros, dont la moitié réglée par l’employeur et déduite directement du salaire – soit en moyenne 58 euros par mois
– Heures supplémentaires : environ 500 euros par an, soit en moyenne 40 euros par mois
– Chèques vacances : 300 euros par an de chèques vacances, dont la moitié réglée par l’employeur. Soit en moyenne 12,50 euros par mois
– Prime : 800 euros par an, soit en moyenne 66 euros par mois
Laure ne touche pas de treizième mois.
- Frédéric : en moyenne 320 euros par mois
L’année dernière, le père de famille a gagné seulement 1 300 euros. Il a travaillé un peu plus en 2013, en enchaînant depuis janvier deux CDD de veilleur de nuit (2 500 euros) et en touchant un chèque de 400 euros du bureau d’étude qui lui confie quelques missions – Frédéric a le statut d’autoentrepreneur depuis cinq ans.
Le trentenaire pourrait toucher le chômage mais il n’est pas inscrit à Pôle emploi :
« Ça ne m’intéresse pas d’aller à des rendez-vous qui ne servent à rien. Ils ne m’ont jamais trouvé un travail. Si d’autres peuvent en profiter… »
- Allocations familiales : 128 euros par mois
Le couple touchait près du double l’année dernière car le plus petit avait moins de 3 ans.
- Allocation de rentrée scolaire : 350 euros en août (pour leur fille), soit en moyenne 30 euros par mois
- Etrennes : 115 euros par mois en moyenne pour 2013
Chaque année, les parents de Laure leur versent 400 euros pour les étrennes. « Exceptionnellement », le père de Frédéric a donné cette année 1 000 euros, pour son départ en retraite.
Dépenses fixes : 1 400 euros par mois
- Logement : 781 euros par mois
– Remboursement du prêt : 685 euros par mois
Ils ont emprunté 100 000 euros sur quinze ans. La maison qu’ils ont achetée en 2006 était entièrement à refaire :
« Il y avait le toit, les murs et la terre battue. Pas d’électricité, pas d’eau. »
Aux 60 000 euros que leur a coûtés la bâtisse, le jeune couple a ajouté 40 000 euros de travaux. Les premiers mois de leur emménagement, ils vivaient avec leur bébé dans une pièce unique : « C’était très rustique. »
La maison n’est pas encore terminée : s’ils habitent aujourd’hui dans 100m2, Frédéric rénove une quarantaine de mètres carrés dans l’aile gauche.
– Assurance du prêt : 39 euros par mois
– Assurance habitation : 13 euros par mois
– Taxe d’habitation : 209 euros par an, soit en moyenne 17 euros par mois
– Taxe foncière : 324 euros par an, soit en moyenne 27 euros par mois
- Matériaux et outils : 100 euros par mois
- Chauffage : 33 euros par mois
Ils brulent huit à dix stères de bois l’année dans le poêle de la pièce à vivre, qui chauffe les chambres à l’étage. Sauf celle de l’aînée : le petit chauffage électrique qu’ils ont installé gonfle la facture EDF d’environ 100 euros par an.
Frédéric coupe son bois dans la forêt d’un châtelain. En contrepartie, le trentenaire lui donne la moitié des bûches fendues – il lui est déjà arrivé de revendre le surplus sur Le Bon Coin. « Je ne paie pas le bois mais j’y passe du temps », argumente-t-il : environ quinze jours pleins, avant l’hiver.
Mais pour couper, transporter et fendre le bois de chauffage, Frédéric a des frais : les chaînes de la tronçonneuse, l’essence (100 euros), la location du camion (130 euros), la fendeuse (70 euros)…
- Eau : 164 euros par an, soit en moyenne 14 euros par mois
Douches rapides, toilettes sèches : « On est assez économes en eau. » Dans le jardin, un réservoir permet de récupérer l’eau de pluie pour arroser les plantes.
- Electricité : 420 euros par an, soit en moyenne 35 euros par mois
- Mutuelle : 31 euros par mois pour toute la famille
- Internet et téléphone fixe : 35 euros par mois
- Portable : 40 euros par an, soit environ 3 euros par mois
A cause d’une panne d’Internet, ils ont acheté un portable à carte. Ils ne l’utilisent quasiment pas.
- Frais bancaires : 8 euros par mois
- Impôts : restitution de 263 euros en 2012, soit 22 euros par mois
Frédéric et Laure, qui ne sont pas mariés, reçoivent chacun leur déclaration. Lui n’est pas imposable depuis déjà quelques années ; elle a reçu une restitution de 263 euros en 2012, liée aux frais avancés pour la garde des enfants.
- Voitures : 266 euros par mois
Laure fait 25 kilomètres aller-retour pour se rendre au travail. Les deux parents ont acheté leurs voitures en 2006, aux enchères (4 000 euros la Mégane, 2 000 euros la Clio), à Nantes :
« Il faut savoir regarder le moteur mais en général, ce sont des supers affaires. »
– Assurances voitures : 73 euros par mois pour les deux véhicules
– Essence : 40 euros par semaine pour les deux soit 160 euros par mois
– Entretien : 400 euros par an environ, soit 33 euros par mois
Hormis les petits pépins, Frédéric s’occupe des vidanges.
- Dons : 25 euros par mois à Médecins sans frontières (MSF)
« Je ne l’ai jamais déclaré aux impôts. C’est dérisoire… »
- Abonnements : 23 euros par mois pour le quotidien local Ouest-France
Ils ont une télé mais pas d’antenne. Le couple lit des articles sur Internet : Le Monde, Reporterre… et Rue89 (Frédéric est incollable sur la rubrique porte-monnaie et apprécie tout particulièrement Rue69).
- Bibliothèque : 6 euros par an pour la famille, soit 0,50 euro par mois
- Garde des enfants : 11 euros par mois
C’était plus en 2012 : ils payaient 250 euros par mois une nourrice, pendant neuf mois.
- Centre de loisirs : l’aînée s’y est rendue cinq fois pendant l’année (75 euros), soit 6 euros par mois en moyenne
- Cantine : 50 euros par mois pour les deux enfants
Dépenses variables : 770 euros par mois environ
- Restaurants : 200 euros par an, soit 17 euros par mois
La famille y va très rarement : un ou deux restaurants en vacances, quelques-uns entre amis… « Laure cuisine très bien », justifie Frédéric. « On préfère faire des pique-niques avec les enfants. » Ils vont de temps en bord de mer, vers les Sables-d’Olonne.
- Courses : 450 euros par mois
Ils se rendent à la boulangerie et à la boucherie du village, ainsi qu’au marché des Herbiers. Malgré leur petit budget, le couple achète bio : essentiellement les céréales, les légumineuses ou du sucre en vrac, pour environ 30 euros par mois :
« On n’achète jamais de plats préparés, pas de conserves : on passe du temps à faire notre cuisine. »
Frédéric et Laure préparent leur confiture, leur jus de pomme, des rillettes d’oie (la voisine s’en occupe, en échange de la moitié des pots), leur gelée de raisins (ratée, cette année)… Leurs poules pondent plein d’œufs, ils utilisent les fleurs du tilleul pour la tisane. Seules exceptions : de « petits écarts cochonneries », comme le Nutella.
-
Animaux : 50 euros par an, soit en moyenne 4 euros par mois
Des sacs de blé et quelques sacs de pain dur bradés par le boulanger.
- Jardin : 100 euros par an, soit8 euros par mois
Cette année, Laure s’est rendue autroc aux plantes.
Ils achètent sinon des plants de patates, des graines et une dizaine d’arbres par an : ils ont de la vigne, des pommiers, des poiriers… « Sans aucun produit phytosanitaire, c’est important pour nous. »
- Frais de santé : 200 euros par an, soit 17 euros par mois
En plus de l’armoire à pharmacie, le couple se rend une ou deux fois par an chez un ostéopathe.
- Habillement : 83 euros par mois
250 euros par enfant et par an, 100 euros pour Frédéric et 400 euros pour Laure (« au moment des soldes »).
A part les chaussures, le couple achète des vêtements d’occasion pour les enfants, dans des bourses ou par lot, sur eBay ou Le Bon Coin.
- Loisirs : 70 euros par mois
Frédéric est inscrit au badminton et au foot (70 euros par an), Laure fait du yoga (210 euros par an) et leur fille de la gymnastique (80 euros par an). Voilà pour le sport.
Frédéric consacre en moyenne un jour par semaine au bénévolat dans son association naturaliste (adhésion : 17 euros). La botanique est sa passion. Il étudie les mammifères en Vendée et écrit quelques articles pour le bulletin associatif. Laure, elle, anime l’association de parents d’élèves de l’école.
Le couple s’est rendu à plusieurs manifestations de Notre-Dame-des-Landes(Loire-Atlantique) : « Pour les naturalistes, c’est un sujet majeur. » Frédéric est aussi allé quelques fois sur place répertorier les plantes. Le trentenaire ne milite dans aucun parti et vote généralement au premier tour, « à gauche de la gauche » ou pour les écolos.
La famille ne va jamais au cinéma mais regarde des films ou des séries sur Internet. Ils achètent des livres d’occasion en ligne (budget : environ 100 euros par an), en dehors des quelques livres de botanique, achetés en librairie.
L’été, Laure aime visiter des musées, des monuments ou des expos. La famille profite aussi de loisirs non-marchands :
« On passe du temps avec nos enfants, à se promener, voir nos amis, la famille… »
- Vacances : en moyenne 60 euros par mois
La famille est partie cet été dix jours dans les Pyrénées, en camping. Budget : 500 euros. « On ne regarde pas trop, on se fait plaisir », ajoute Frédéric. Cette année, Laure est partie seule à Bruxelles voir une amie un week-end (120 euros) ; le couple a aussi loué deux jours un gîte avec des amis (100 euros).
Ils paient une partie des frais avec les chèques vacances de Laure, dont ils règlent une partie (150 euros).
- Electroménager : en moyenne 250 euros par an, soit 20 euros par mois
- Divers : 500 euros par an environ (dont 300 euros de cadeaux) soit 40 euros par mois
Epargne : ce qui reste
Le couple n’est jamais à découvert. La plupart du temps, il reste 150 euros à la fin du mois sur le compte courant. Parfois, il leur arrive de puiser dans l’épargne pour les fins de mois ric-rac : au moment de payer la taxe d’habitation et la taxe foncière, par exemple. Frédéric :
« Quand je travaille, on arrive à épargner. Sinon, difficilement. »
Tout comme les revenus du couple fluctuent énormément d’un mois sur l’autre, l’épargne est variable. Lissé sur une année, le couple arrive quand même à mettre de côté :
- Livret de développement durable : 6 000 euros
« On essaie toujours d’avoir 5 000 euros de côté. » Pour pouvoir remplacer l’une des deux voitures, si elle tombe en rade : « A la campagne, c’est indispensable. »
- Compte épargne logement : 1 592 euros
« On attend d’avoir 3 000 euros de côté pour acheter de quoi refaire la toiture. L’an prochain, on espère. On va mettre plusieurs années à finir la rénovation. »