Les marchés suspendus aux lèvres de la Fed
C’est l’événement auquel se préparent nerveusement les marchés depuis des semaines. Lors de la réunion de son comité de politique monétaire de mardi à mercredi, la banque centrale américaine (Fed) devrait finalement décider un ralentissement de ses rachats d’actifs, signant le début de la fin de la politique monétaire exceptionnelle menée par l’institution dans l’espoir de favoriser la sortie de crise. « Les enquêtes de conjoncture publiées cette semaine confirment que l’embellie est quasi généralisée et plaident pour une normalisation des politiques monétaires des économies avancées, même si l’horizon paraît encore bien éloigné », explique Barclays dans sa note hebdomadaire.
Le patron de l’institution, Ben Bernanke, prépare les marchés à ce bouleversement potentiellement très déstabilisateur depuis des mois. Les investisseurs vont avoir à apprendre à vivre sans la perfusion de la Fed. Pour sortir son pays de l’ornière, ce spécialiste de la crise économique de 1929 a en effet déversé, depuis le début de la crise financière, des torrents de dollars dans l’économie américaine via des programmes d’achats massifs de dette publique et de titres adossés à des créances immobilières émis par les organismes de refinancement hypothécaire parapublics (Fannie Mae, Freddie Mac).
Le dernier en date, lancé en septembre 2012, fait marcher la planche à billets pour pas moins de 85 milliards de dollars par mois (45 sur la dette publique et 40 de titres immobiliers). Connus sous le nom de « Quantitative easing » – « QE » comme on dit sur la planète finance -, non seulement ils ont facilité le financement de la dette fédérale et, par voie de conséquence, celui des entreprises, mais ils ont aussi favorisé la remontée des cours de Bourse et de l’immobilier en abaissant le coût des emprunts. Dans un pays où nombre d’Américains investissent en Bourse et où l’immobilier s’était effondré après la crise des « subprimes », cela leur a permis de se sentir un peu plus riches et de se remettre – un peu – à consommer. Cela a aussi contribué au rebond du marché de la construction.
Réduction très progressive
Toute la question est de savoir comment les marchés vont réagir. Car l’action de la banque centrale de la première économie mondiale et de la monnaie de réserve internationale a des répercussions dans le monde entier. Bonne nouvelle, les leçons de l’histoire ayant été tirées, il n’est pas question que la Fed remonte brutalement ses taux d’intérêt maintenus à zéro depuis le début de la crise. Au contraire, Ben Bernanke devrait confirmer aux investisseurs qu’ils ne bougeront pas avant que le taux de chômage ne soit redescendu à 6,5 %, de façon à « ancrer leurs anticipations », comme disent les spécialistes. Il n’est pas question non plus de débrancher d’un coup d’un seul la perfusion. Les investisseurs anticipent une réduction progressive, les rachats d’actifs passant de 85 milliards par mois à 70 milliards, avec une baisse de 10 milliards sur la dette publique et de 5 milliards sur les MBS, selon les prévisions de la banque britannique Barclays.
La plupart des analystes estiment donc que les annonces attendues mercredi soir sont déjà intégrées par les marchés. Traduction, elles ne devraient pas se traduire par des mouvements d’ampleur. Les taux d’intérêt sur la dette américaine sont déjà considérablement remontés depuis mai, passant de 1,63 à 2,80 %. Selon la loi de l’offre et de la demande, plus les obligations publiques américaines sont demandées, plus leur valeur monte, et plus leur taux d’intérêt baisse. Les investisseurs ayant anticipé le retrait d’un acheteur majeur du marché, leur prix baisse et leur taux d’intérêt remonte.
Un choc déjà intégré
Un mouvement qui s’observe aussi sur les pays les plus sûrs de la zone euro. Depuis quelques mois, les taux d’intérêt observés sur le marché de la revente des obligations d’État augmentent, notamment pour l’Allemagne (de 1,20 % à 1,94 %) et la France (1,7 % à 2,50 % sur les obligations à 10 ans). Heureusement, le mouvement épargne pour l’instant relativement les pays périphériques, dont les taux offrent de meilleurs rendements aux investisseurs, malgré les risques élevés.
Quant aux pays émergents, ils ont déjà subi une fuite de capitaux en partie liée à l’anticipation du changement de politique de la Fed. Avec la perspective d’une remontée des taux américains, il pourrait devenir moins intéressant pour les investisseurs d’emprunter en dollars pour aller les investir dans des pays supposés à forts rendements. D’autant moins quand leurs perspectives de croissance paraissent s’assombrir…
Lire : Comment la Fed déstabilise les pays émergents
À court terme donc, la Fed ne devrait pas déstabiliser les marchés. Reste à savoir ce qui se passera le jour où elle aura mis fin à son programme et où elle commencera à augmenter ses taux d’intérêt. Des paramètres sur lesquels le successeur de Ben Benanke, qui doit être désigné par Barack Obama, aura un poids déterminant. Larry Summers, le favori d’Obama, s’est retiré de la course, au grand soulagement des marchés, qui le voyaient comme un « faucon ». La nomination d’une femme, Janet Yellen, pourrait leur convenir. À moins que le président américain n’impose un outsider…
Lire aussi : Le jour où la banque centrale américaine cassera sa planche à billets
Source : http://www.lepoint.fr/economie/les-marches-suspendus-aux-levres-de-la-fed-18-09-2013-1732744_28.php