Le gouvernement veut encadrer les actions judiciaires contre les militaires
Un volet de la loi de programmation militaire prévoit d’encadrer les actions de la justice dans le domaine des opérations de guerre.
C’est un des volets du projet de loi de programmation militaire, examiné vendredi 2 août en conseil des ministres , passé relativement inaperçu. Il vise à « adapter le cadre juridique aux nouveaux défis de la défense ». En clair, il s’agit pour le gouvernement de limiter les risques de judiciarisation de l’action militaire redoutés par l’institution depuis sa mise en cause dans la mort de 10 soldats à Uzbin, en Afghanistan. « Nos militaires, qui assurent la protection de la Nation, méritent en retour que la Nation les protège, notamment d’une judiciarisation inutile de leur action », s’était engagé François Hollande dans son message aux armées le 19 mai 2012.
L’ouverture d’une enquête judiciaire en janvier 2012 pour « mise en danger de la vie d’autrui » à la suite d’une plainte des familles des soldats tués à Uzbin en 2008 avait causé un véritable électrochoc dans la hiérarchie militaire. Pour la première fois, celle-ci était appelée à rendre des comptes sur ses décisions dans le cadre d’une opération de guerre. Elle s’en était inquiétée par la voie du chef d’état-major des armées, l’amiral Guillaud, qui avait fait savoir qu’il exercerait « une vigilance » à l’égard de ce type de poursuites.
MONOPOLE AU PARQUET POUR DÉCLENCHER L’ACTION PUBLIQUE
Le projet de loi présenté vendredi devrait le rassurer, puisqu’il prévoit notamment de donner au parquet le monopole du déclenchement de l’action publique en cas de délit, mais aussi en cas de crimes commis par des militaires à l’étranger « dans le strict cadre d’une opération militaire et dans l’accomplissement de leur mission ». « Autrement dit, la saisie d’un juge par constitution de partie civile des familles de victimes, comme cela a été le cas pour Uzbin, ne sera plus possible », décrypte la magistrate Alexandra Onfray, ancien procureur au tribunal aux armées de Paris. Si la loi est votée, seul le parquet pourra le faire. Et dans ce cas précis, il avait classé la plainte des familles. « Il s’agit d’un véritable verrou judiciaire », regrette la magistrate.
L’ARMÉE, SEULE À MENER UNE ENQUÊTE EN CAS DE MORT AU COMBAT
Une autre disposition du projet devrait par ailleurs reconnaître le caractère spécifique de la mort au combat en mettant fin au déclenchement automatique d’une enquête sur les causes de la mort en cas de découverte d’un cadavre à l’issue de combats. « Lorsque des soldats meurent après que leur véhicule s’est renversé, lors du maniement de leurs armes ou en cas de tirs fratricides, la justice déclenche systématiquement une enquête. Pour les familles, il est important de connaître les circonstances de l’accident, de savoir s’il y a eu une faute et à qui elle est imputable », explique Alexandra Onfray. À l’issue de cette réforme, l’armée sera donc seule à mener l’enquête.
Si elles devraient rassurer la hiérarchie militaire, ces mesures constituent« une défiance à l’égard de la justice », regrette la magistrate. Alors que la loi avait supprimé le tribunal aux armées de Paris en 2011 afin que les militaires relèvent définitivement du droit commun, « on a le sentiment qu’on fait un nouveau pas en arrière », conclut-elle.
CÉLINE ROUDEN