Laitages et santé : ce que disent les études scientifiques
- Les laitages sont-ils indispensables à la santé des enfants et des adultes ?
- Boire du lait prévient-il les fractures osseuses dans l’enfance et celles liées à l’ostéoporose après la ménopause ?
- Est-ce sans danger pour la santé que de consommer 3 à 4 laitages par jour ? Voici ce que disent réellement les études scientifiques…
Les autorités sanitaires de nombreux pays conseillent de consommer 3 à 4 laitages par jour toute la vie dans le but de favoriser la santé osseuse. Cependant, ces recommandations sont de plus en plus contestées par les chercheurs à la suite des résultats des études épidémiologiques et d’intervention indépendantes remettant en question l’efficacité de ces préconisations et leur innocuité à long terme.
Dans un éditorial récent des Archives de pédiatrie, le Dr Vidailhet et des médecins du comité de nutrition de la société française de pédiatrie défendent « la place essentielle des laitages » et fustigent ceux qui la remettent en cause [1]. Cet éditorial se présente comme une synthèse « des donnée scientifiques concernant les bénéfices et les risques démontrés de la consommation du lait de vache et des produits laitiers pendant l’enfance et l’adolescence ». Ses auteurs, dont plusieurs ont des liens anciens et réguliers avec l’industrie laitière n’expliquent pas pourquoi, s’agissant d’une « synthèse des données scientifiques », ils ont choisi d’appuyer leur démonstration sur un petit nombre d’études – presque toutes favorables aux laitages, presque toutes financées par l’industrie laitière – plutôt que de mentionner les conclusions des très nombreuses méta-analyses et analyses qualitatives déjà publiées sur le sujet et disponibles. Ces analyses permettent pourtant de répondre sans équivoque à la question de savoir si les preuves ont été apportées que les laitages sont indispensables à la santé des enfants et qu’ils sont sûrs et sans risque.
Le but de l’article qui suit est d’examiner les résultats des études qualitatives conduites sur les relations entre laitages et santé afin de répondre à la question de savoir si les recommandations actuelles en faveur de 3 à 4 laitages par jour sont basées sur des preuves suffisantes.
Les risques de l’exclusion des produits laitiers chez les jeunes enfants
Sous ce titre ambigu, Vidailhet et coll. suggèrent que les nourrissons et les enfants en bas âge qui à la place de préparations à base de lait de vache ou de lait animal reçoivent des « laits » végétaux voient leur santé « gravement mise en danger ». Ils citent à cet effet un article rapportant trois cas de malnutrition chez des enfants américains en bas âge nourris avec des « laits » végétaux achetés dans le rayon « diététique » des supermarchés [2]. Cette présentation est tendancieuse, car de tels produits ne sont pas plus adaptés aux besoins des enfants que le lait de vache vendu au rayon « lait ».
Pour prendre le seul exemple du soja, on estime que 25 à 30 millions de bébés américains ont consommé depuis 40 ans des formules à base de soja destinées aux nourrissons, sans présenter de problème de malnutrition ni de croissance [3]. Donc les enfants qui ne reçoivent pas de préparations à base de lait de vache peuvent se développer parfaitement en consommant des préparations végétales formulées spécialement pour les besoins pédiatriques. C’est d‘ailleurs l’avis du comité de nutrition de la Société américaine de pédiatrie en ce qui concerne le soja [4].
Les produits laitiers et la santé à court terme
Vidailhet et coll. assurent que l’exclusion des laits et des laitages chez l’enfant plus âgé et l’adolescent nuit à la santé osseuse et les expose à un « risque accru de fractures. » A l’inverse, poursuivent-ils, le lait aurait un impact bénéfique sur la santé osseuse de l’enfant et de l’adolescent. A l’appui de ces deux affirmations, ils citent 2 petites études néo-zélandaises émanant d’une équipe de l’université d’Otego [5] [6], 3 études australiennes émanant d’une équipe de l’université de Sydney [7] [8] [9], et une étude conduite par une équipe de l’université de l’Ohio [10]. Ces études présentent de sérieuses limitations, d’ailleurs admises par leurs auteurs. De surcroît, elles ont toutes sans exception reçu un financement – partiel ou total selon le cas – de l’industrie laitière, et plusieurs de leurs auteurs ont des liens financiers anciens et réguliers avec l’industrie laitière – un facteur potentiel de biais relevé à de multiples reprises.
Lesser et coll. ont récemment examiné les résultats de 206 articles scientifiques sur les relations entre aliments et santé – dont 35 portant sur le lait – et trouvé que la conclusion d’une étude est étroitement liée à la source de financement. Lorsqu’une étude est financée par l’industrie, les chances de voir sa conclusion favorable au sponsor sont 4 à 8 fois plus élevées que lorsqu’il n’y a eu aucun financement de l’industrie [11].
Plus généralement, il est inapproprié, dans un article qui se présente comme une « synthèse scientifique », d’asseoir des affirmations sur la sélection d’un petit nombre d’études favorables en occultant les dizaines d’autres résultats qui le sont moins. Ainsi, quatre analyses qualitatives des données de la littérature ont été publiées depuis dix ans afin de savoir si consommer plus de calcium ou de laitages est bénéfique aux os des enfants ou des adultes jeunes. Deux ont conclu qu’il est impossible de dire si l’augmentation modeste des gains osseux attribuée à une consommation accrue de laitages ou de calcium a la moindre chance de se traduire par une réduction significative du risque d’ostéoporose à l’âge adulte, ni même si ces gains persistent au-delà de la période de traitement [12] [13]. Une méta-analyse de 2005 a conclu qu’une consommation plus importante de laitages ou de calcium alimentaire total n’augmente de pas de manière fiable la densité minérale osseuse pas plus qu’elle ne réduit le taux de fractures chez les enfants et les adolescents [14]. Une autre méta-analyse de 2006 a jugé improbable qu’un supplément calcique réduise le risque de fracture dans l’enfance ou plus tard [15].
Donc l’analyse de l’ensemble des données disponibles ne permet pas d’affirmer que les laitages chez l’enfant et l’adolescent sont bénéfiques à leur santé osseuse ni que leur limitation ou leur éviction nuisent à leur santé.
Les produits laitiers et la santé à long terme
Vidailhet et coll. affirment que « l’exclusion de l’apport lacté pendant l’enfance influence également la santé osseuse à long terme, et en particulier le risque d’ostéoporose et de fractures chez la femme à la ménopause. » A l’appui de cette affirmation ils produisent un petit nombre d’études portant sur l’évolution de marqueurs intermédiaires du métabolisme osseux, et les résultats d’une étude rétrospective sur 3251 femmes [16]. Les résultats de cette dernière sont contredits par les conclusions de deux grandes études. Dans l’Etude des infirmières, qui portait sur 77761 femmes, les chercheurs de Harvard n’ont pas trouvé que les femmes qui avaient consommé le plus de lait dans l’adolescence avaient connu moins de fractures à l’âge adulte que celles qui en avaient consommé le moins [17]. Dans l’étude NORA publiée en 2008, et qui portait sur 76507 femmes ménopausées, celles qui ont consommé le plus de calcium alimentaire et de laitages dans l’enfance ou à l’âge adulte n’ont pas moins de risque de fractures que celles qui en ont consommé le moins, malgré une densité minérale osseuse moindre [18].
Donc si l’on examine l’ensemble des données associant la consommation précoce de lait et le risque de fracture à l’âge adulte, il est impossible d’affirmer comme le font Vidailhet et coll. que le lait de vache absorbé dans l’enfance protège des fractures plus tard dans la vie.
Les résultats de l’étude NORA et d’autres [19] [20] montrent par parenthèse que les marqueurs intermédiaires comme la densité minérale osseuse ne peuvent pas servir de substituts à bon compte pour les événements que sont les fractures. Les Suédoises ont les os les plus lourds et les plus denses de la planète, et détiennent dans le même temps des taux records de fractures [21]. Dans l’étude SOF plus de la moitié des femmes ménopausées qui ont souffert d’une fracture du col du fémur avaient un score de densitométrie (T-score) suffisamment élevé pour qu’elles ne soient pas considérées comme ostéoporotiques [22]. De la même manière, une densité osseuse faible ne traduit pas forcément un état pathologique. Dans les pays asiatiques et africains, la densité minérale osseuse est plus faible qu’en Occident, et pourtant les fractures y sont bien plus rares [23] [24]. Enfin, l’hypothèse selon laquelle il faudrait maximiser le « pic de masse osseuse » dans l’enfance et l’adolescence [en consommant des laitages] pour se mettre à l’abri de l’ostéoporose n’a jamais été prouvée.
Les laitages et la santé osseuse à l’âge adulte
Les recommandations nutritionnelles officielles préconisent de consommer à l’âge adulte 3 à 4 laitages par jour pour prévenir les fractures de l’âge avancé. Or ce type de préconisation n’est soutenu ni par les études de population, ni par les données épidémiologiques, ni par les données cliniques.
Les études écologiques nous apprennent que les populations qui consomment le plus de lait de vache et d’autres laitages connaissent des taux d’ostéoporose et de fractures du col du fémur parmi les plus élevés au monde. Ce « paradoxe du calcium » pour reprendre les termes de l’Organisation mondiale de la santé [25] est mis par l’industrie laitière sur le compte de caractéristiques génétiques différentes, mais une telle tendance existe dans toutes les populations génétiquement homogènes qui ont augmenté leur consommation de laitages, comme c’est le cas à Hong-Kong [26].
Les études épidémiologiques et cliniques menées sur le sujet ont, elles, fait l’objet de 6 grandes analyses qualitatives. Toutes [27] [28] [29] [30] [31], sauf une, ont conclu que le calcium laitier ne donne pas des os plus solides à l’âge adulte. La seule analyse ayant trouvé des vertus aux laitages a été signée par un chercheur travaillant pour l’industrie laitière américaine [32].
Les bénéfices des laitages
Vidailhet et al. écrivent que la consommation de laitages est associée à une réduction du risque de surcharge pondérale sur la foi d’un article de Michael Zemel, un chercheur de l’université du Tennesse à Knoxville qui a reçu un financement important de l’industrie laitière américaine pour conduire des travaux sur ce sujet [33].
Que dit réellement la littérature ? Les données publiées ont fait l’objet depuis 2003 de quatre grandes analyses qualitatives portant sur plus de 20 études. Aucune de ces analyses – la dernière datant de mai 2008 – n’a trouvé que les laitages ou le calcium font maigrir [34] [35] [36] [37].
En conclusion, les données disponibles ne permettent pas de dire que la consommation de laitages est associée à une perte de poids.
Vidailhet et coll. écrivent également que la consommation de lait ou de produits laitiers a des effets positifs sur le syndrome métabolique, sur la foi d’un article de synthèse écrit par deux chercheurs du Centre fédéral de recherches laitières de Kiel (Allemagne), un organisme au service de l’industrie laitière allemande et financé par elle –facteur potentiel de biais. En réalité, si des études épidémiologiques ont bien trouvé une association inverse entre la consommation de laitages et le risque de syndrome métabolique, d’autres ont montré l’inverse [38] [39] [40]. Les laitages, en particulier le lait et les yaourts ont un index insulinémique élevé, un facteur connu dans l’étiologie de l’insulino-résistance et du diabète de type II [41]. Ce qui conduit aujourd’hui des chercheurs à demander qu’il soit fait usage de « prudence dans les recommandations qui visent à inciter les adultes à consommer plus de laitages, en particulier ceux qui ont un risque de résistance à l’insuline.» [42]
Vidailhet et coll. écrivent également que la consommation de laitages protège du cancer du côlon. Cette protection est généralement admise mais le lien entre laitages et cancer colorectal est de plus en plus délicat à interpréter en raison de résultats contradictoires récents [43]. Dans leur rapport de 2007, les experts du Fonds mondial de recherches sur le cancer estiment que le lait protège probablement, mais que le fromage et les aliments contenant des graisses d’origine animale (comme les laitages) pourraient au contraire favoriser ce type de cancer [44].
Vidailhet et coll. estiment aussi que les laitages pourraient prévenir le cancer du sein sur la base des résultats d’une étude prospective française [45]. Cependant, l’analyse des résultats de l’ensemble des études de ce type ne trouve pas de relation significative entre le régime alimentaire et le risque de cancer du sein [46].
Les recommandations en faveur des laitages doivent être révisées
Les laitages sont d’introduction très récente dans l’histoire alimentaire de notre espèce. Ils sont absents du régime qu’ont suivi nos ancêtres pendant plus de sept millions d’années, ne faisant leur apparition que dans certains foyers de la population il y a environ dix mille ans, au néolithique [47]. Ainsi, malgré l’absence totale de laitages dans son alimentation, l’espèce humaine a joui d’une excellente santé osseuse jusqu’à la fin du paléolithique supérieur. Les premiers signes de stress et de maladies des os, qu’il s’agisse du rachitisme, de l’ostéomalacie ou de l’ostéoporose sont relevés au néolithique, dans les populations qui se livrent à l’agriculture et l’élevage [48]. Preuve de l’introduction très récente des laitages et de leur acceptation encore délicate : on estime que les trois quarts de la population de la planète ne tolèrent pas le lactose après le sevrage (40% de la population française, surtout au sud de la Loire) [49].
Il n’existe en l’état actuel des connaissances aucune preuve que ces aliments d’introduction récente sont indispensables à la santé osseuse de l’espèce humaine pas plus qu’il n’existe de preuves qu’en consommant 3 à 4 laitages par jour du berceau au cercueil, la population française se mettra à l’abri de l’ostéoporose. Continuer, en dépit des données disponibles, de présenter les laitages comme des aliments incontournables, qui règleront les problèmes de santé osseuse, présente le risque de détourner l’attention du public et des professionnels de santé d’autres moyens de prévenir les fractures, d’ailleurs absents de l’éditorial de Vidailhet et coll., comme l’exercice physique régulier, la diminution du sel alimentaire, la consommation accrue de fruits et légumes, la limitation des protéines animales, le statut en vitamine D et l’exposition régulière et modérée au soleil, l’arrêt du tabac.
Vidailhet et coll. semblent s’offusquer du fait que des recommandations officielles (concernant les laitages) soient contestées. Pourtant, le caractère officiel d’un avis ou d’une recommandation ne lui confère pas le statut de vérité démontrée. Il y a encore quelques décennies, les autorités sanitaires et les pédiatres conseillaient aux mamans de coucher leur bébé sur le ventre en dépit des données cliniques suggérant que c’était une erreur ; jusqu’en juillet 2007, la vaccination contre le BCG est restée obligatoire pour tous les enfants entrant en collectivité malgré les dizaines d’études montrant que cette stratégie était inefficace et malgré les décisions d’y renoncer prises des années plus tôt par d’autres pays, etc…
Les recommandations actuelles concernant les laitages n’étant pas soutenues par des preuves suffisantes, elles sont amenées à être de plus en plus souvent remises en question par la communauté scientifique et médicale et à rejoindre la liste des avis et conseils officiels inutiles, voire néfastes, donc abandonnés.
Sachant par ailleurs qu’à ce niveau de consommation ces aliments contribuent grandement à la consommation de graisses saturées et trans et de sucre chez l’enfant [50] ; qu’ils sont soupçonnés de favoriser l’acné à l’adolescence [51] ; qu’ils sont associés chez l’adulte à un risque accru de cancers agressifs de la prostate [52] et dans un moindre mesure à un risque de cancer du poumon (beurre), de cancer colorectal (graisses d’origine animale) [53], de maladie de Parkinson [54] et de lymphome non-hodgkinien [55].
Les autorités sanitaires devraient entendre la demande des très nombreux chercheurs qui réclament une révision des recommandations sur les laitages, au premier rang desquels figurent ceux de la plus importante et la plus célèbre équipe de recherche en nutrition au monde – l’Ecole de santé publique de Harvard [56]. Ces recommandations devraient refléter plus fidèlement l’état des connaissances : les laitages ont certes – si on les tolère – toute leur place dans notre alimentation, mais ils devraient être consommés avec modération (probablement moins de deux portions par jour), et un régime équilibré, sans laitages, ne pose pas de risque particulier pour la santé osseuse.
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Source: lanutrition.fr