QUE FAIRE CONTRE MONSANTO ? + GILLES-ERIC SÉRALINI : « LE RÉSEAU MAFIEUX DES OGM »
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Il est le chevalier blanc aux rats difformes. Ce chercheur et professeur en biologie moléculaire à l’université de Caen, est devenu l’emblème de la lutte anti-OGM.
Les multiples tumeurs qu’ont développées ses rats de laboratoire sont, selon ses travaux, la preuve des effets toxiques d’un maïs OGM alimentaire très largement utilisé, le NK603 et d’un pesticide, le Roundup, tous deux produits par la firme géante Monsanto.
La publication de ses recherches, suivie de la publication d’un livre de vulgarisation « Tous cobayes », et d’un film éponyme, ont provoqué un choc dans l’opinion. Et une contre-attaque terrible de Monsanto et des pros OGM.
Aujourd’hui, il ressort son livre pour répondre à ses détracteurs. Il nous détaille un véritable « réseau mafieux organisé pour le dénigrer ».
Pourquoi ressortir votre livre alors que vous aviez déjà répondu publiquement aux attaques contre vos travaux ?
Gilles-Eric Séralini : Même si j’ai répliqué aux attaques diffamatoires, même si j’ai été auditionné à l’Assemblée nationale pour faire entendre ma voix, il me fallait mettre par écrit, en parallèle à mes travaux, toutes les méthodes utilisées par Monsanto pour attaquer des résultats qui les gênent, pour dénigrer mes recherches et m’atteindre.
Dans mon « droit de réponse » couché sur papier, je démontre que la firme s’appuie sciemment sur des bases faussées pour assurer que nos rats « traités » avec ce maïs OGM NK603 et avec le pesticide associé Roundup ne développent pas plus de tumeurs que les rats de l’échantillon témoin.
Pouvez-vous préciser pourquoi ces bases sont faussées ?
G-E S. : Eh bien, tout simplement parce ce que cet échantillon témoin est lui-même, et depuis longtemps, exposé aux pesticides et que les croquettes consommées par les rats ne sont pas bio mais sont contaminées par les OGM. Ils mangent des résidus d’OGM depuis l966 au moins, les pesticides sont présents depuis les années 1930. Je leur ai mis sous le nez ces éléments en séance contradictoire au Parlement.
Lorsqu’on sait cela, on comprend que les rats témoins ont en fait les mêmes caractéristiques que nos rats traités.
Au bout du compte, au-delà même du procédé utilisé contre mes travaux, cela remet en cause l’ensemble des recherches basées sur ces échantillons de rongeurs. On a construit dans le monde entier des études faussées, notamment pour affirmer l’absence de toxicité des OGM. Et Monsanto ne veut pas communiquer les données biologiques sur les échantillons de rats témoins.
Avec ce type de modèle « infecté », on a bâti un comparateur unique sur le modèle de la pensée unique. Et nos résultats sont parfaitement valides. 90 à 100 % des rats « traités » ont développé des tumeurs. Vous imaginez les milliers de produits dangereux pour notre santé qui se sont vus ainsi délivrer des certificats d’innocuité ?
Vous évoquez une véritable stratégie pour vous « abattre » organisée par Monsanto. N’est-ce pas aller loin dans la thèse du complot ?
G-E S. : Attention, ne vous trompez pas. Il ne s’agit pas de moi. Je ne crains pas pour ma réputation. Il s’agit de défendre des intérêts industriels énormes et la violence terrible des attaques est à la mesure de ces intérêts.
Moi je mets en avant, avec mes collègues, des dangers majeurs de santé publique. Dans ce contexte, j’ai l’habitude des controverses mais j’attaque systématiquement quand je suis diffamé comme lorsque Claude Allègre parle de « travail falsifié » à propos de mon étude.
Les méthodes utilisées contre mes recherches sont bien au-delà du simple débat scientifique. J’ai mis au jour un véritable réseau mafieux. Par exemple, un chercheur ex-salarié de Monsanto, Richard E . Goodman, d’éditeur associé, est devenu responsable des articles sur les biotechnologies et les OGM dans la revue Food and Chemical Toxicology, qui a publié mon étude en septembre 2012. Il a donc la haute main désormais sur ce que peut « sortir » la revue.
Cela va encore plus loin. Mes données biographiques sur Wikipédia sont systématiquement « révisées » avec des éléments pour me dénigrer par un autre lobbyiste lié à l’industrie biotechnologique. Autour de Monsanto, du secteur lié à la firme, gravite des chercheurs, des experts écoutés qui ont participé à l’offensive pour défendre les OGM et nous attaquer.
Vous allez plus loin en dénonçant les collusions de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa)…
G-E S. : Oui, l’Efsa, qui a invalidé mes résultats, comporte dans son organigramme nombre des scientifiques qui ont travaillé pour Monsanto, ses satellites, son agence de biotechnologie Ilsi. Et son ancienne présidente, Diana Banati, vient d’ailleurs de démissionner pour prendre des responsabilités au sein de l’Ilsi. L’indépendance de cette structure, la validité de ses avis sur les produits est, elle aussi, faussée.
Vos adversaires vous reprochent de ne pas avoir la modération d’un scientifique, de vouloir promouvoir vos recherches…
G-E S. : J’ai respecté totalement la règle. Mon étude sur les tumeurs provoquées par les OGM et le Roundup a été acceptée par la revue scientifique avant que le livre, qui rend accessible les recherches et le film qui s’en inspire, ne sortent.
Jamais une recherche avec de tels enjeux pour la population, pour nos enfants, n’avait bénéficié d’autant de crédits. C’était une nécessité citoyenne d’en restituer la teneur au grand public. Le rôle du chercheur est de dire ce qu’il trouve. C’est mon seul militantisme. Je ne défends pas de cause politique ni de groupe. Tout ce qui se dit en ce sens est une manière de détourner le grand public du vrai débat.
Mais ne travaillez-vous pas pour des entreprises comme Auchan ou Seven Pharma ?
G-E S. : Je ne suis pas payé par ces entreprises, ces groupes, je teste leurs produits. Mon indépendance est totale.
Après votre première étude, vous venez de dénoncer des faits encore plus graves dans une recherche sur la « face cachée des pesticides ». Pouvez-vous détailler cela ?
G-E S. : Eh bien, avec Robin Mesnage, avec qui je travaille à Caen, nous avons constaté que le composé le plus toxique des pesticides de type Roundup n’est pas le glyphosate, la substance couramment évaluée dans l’eau du robinet, mais le POE-15. Or, cet adjuvant est classé par Monsanto inerte et secret. Ses effets n’étaient jusque-là, de ce fait, jamais étudiés. Nous avons acheté des pesticides dans le commerce, nous avons pu identifier les composants, dont ce fameux POE-15.
Pour en connaître les effets, nous avons pu mener des recherches sur des lignées de cellules humaines conservées en laboratoire puis les confirmer sur des cellules de placenta et de cordon ombilical. Elles montrent une toxicité 10 000 fois supérieure à celle du glyphosate pour ces cellules, avec notamment la possibilité de graves dérèglements hépatiques et rénaux.
On est là, comme pour les mesures faites à partir d’un échantillon témoin « infecté » face à un processus d’évaluation totalement à revoir car il n’étudiait pas ce « poison caché ». Il y a une sous-estimation systématique, encore une fois, de données majeures pour la santé publique.
Quelle est votre solution pour une vraie transparence des évaluations en santé publique ?
G-E S. : Je plaide pour des expertises contradictoires immédiates, à la manière de ce qui se fait en justice. Les processus qui existent aujourd’hui ne garantissent pas la sécurité alimentaire. Les processus sont trop atteints par les conflits d’intérêts.
Estimez-vous aujourd’hui que les universités peuvent mener des recherches indépendantes ?
G-E S. : J’ai les plus grandes craintes sur la loi dite « LRU » sur les libertés et responsabilités des universités. Elle permet notamment de faire rentrer des industriels au conseil d’administration des universités.
Nous ne sommes pas encore au niveau des Américains mais nous sommes en train de nous vendre à l’industrie. Les jeunes chercheurs, s’ils sont aidés par les entreprises, vont ensuite les intégrer et, en gardant leur réseau au sein des labos universitaires, bâtir une sphère d’influence pour leurs boîtes.
Vous ne vous sentez pas un peu seul dans votre combat, face à la pieuvre que vous décrivez ?
G-E S. : Franchement, je ne me suis jamais senti seul. Même si, au niveau français, j’ai subi dans le microcosme des attaques instrumentalisées par Monsanto, j’ai avec moi tout un réseau de 300 chercheurs qui me soutiennent au niveau européen, au sein de l’Ensser, des scientifiques engagés pour une responsabilité sociale et environnementale. J’ai aussi de mon côté l’Union of Concerned Scientists et tous ses chercheurs en Amérique du Nord.
Je suis invité dans une trentaine de pays et soutenu par 130 associations. Ce n’est pas le combat d’un homme solitaire. Demain, je serai au Parlement européen pour expliquer aux députés les compromissions de l’Efsa. Tout un réseau se lève face aux industriels qui sont capables de tout.
Un article de Philippe Larue, publié par laprovence.com et relayé par SOS-planete