Dépendance : le SOS des familles
Aucun gouvernement ne s’est attaqué la dépendance, sujet explosif parce qu’il touche à l’humain. En témoignent ces doléances des familles sur les petites maltraitances dont sont victimes des personnes ayant perdu toute autonomie.
C’est souvent dur pour les familles de se résigner à placer un proche dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Les réactions sont donc épidermiques quand elles constatent de flagrants dysfonctionnements dont leurs proches, déjà fragiles, font les frais.
Petit florilège de témoignages recueillis auprès de familles savoyardes. Les prénoms ont été changés par souci d’anonymat.
Les râleurs laissés de côté
Madeleine et Jacqueline ont leur père placé en Ehpad depuis 2011. Un monsieur au caractère fort, volontiers râleur. « S’il dit ne pas vouloir manger ou sortir de son lit, le personnel bat immédiatement en retraite, bien content d’échapper à la ‘’corvée”. Du coup, notre père ne mange pas de la journée et reste au lit du matin au soir. Il a perdu toute sa masse musculaire et n’est plus en état de marcher. Son état se dégrade à une vitesse folle alors qu’il faudrait au contraire l’obliger à s’alimenter et à faire de l’exercice ! »
Mauvaise ambiance
Les familles l’assurent : l’ambiance est parfois délétère dans les Ehpad. « Les personnes âgées aiment parler de leurs passions. Mais celles-ci n’intéressent pas tout le monde. Alors certains se crient dessus, s’insultent. Pire que dans une cour de récréation. Quant aux animations, souvent répétitives, elles finissent par lasser les résidents qui n’y participent plus », témoigne Violette, dont la mère est en Ehpad depuis quatre ans.
Des carottes pas cuites
Autre souci : la nourriture. Paule assure que sa mère ne mange rien dans son Ehpad. Non qu’elle n’a pas faim, mais les aliments sont trop durs ! « Les légumes sont cuits “al dente”, pour aller plus vite j’imagine. Mais on oublie que les personnes âgées n’ont plus de dents pour croquer ou mâcher ! Alors ils laissent tout dans l’assiette. Le personnel croit que les pensionnaires n’ont pas faim et du coup, leur sert des portions de plus en plus congrues. Des masses de nourriture sont ainsi jetées quotidiennement, c’est un vrai gaspillage. Mais le plus grave c’est que les vieux, mal nourris, dépérissent plus vite ».
Ça colle par terre
L’hygiène est une source d’énervement permanent pour les familles. « Dans la chambre de mon père, il y a toujours quelque chose qui colle par terre. Je ne supporte pas alors je lave moi-même », s’énerve Jacqueline.
Violette, elle, dénonce la fréquence des lavages corporels. « Ma mère est lavée une fois tous les 15 jours, selon le règlement en vigueur. Quand il y a eu le gros épisode de neige, la moitié du personnel soignant n’est pas venue travailler. Le jour de lavage a donc sauté, renvoyé aux 15 jours suivants ! Quand je me suis plaint à la direction de l’établissement, on m’a répondu : « Faut pas en faire une histoire, de toute façon ils ne bougent pas, alors ils ne transpirent pas. C’est scandaleux ! »
Les familles assurent aussi que le nombre de « changes » est défini par jour. Si un résident a atteint son quota journalier, il reste dans son change sale…
La sonnette loin du fauteuil
Paule s’étonnait un jour de ne pas recevoir l’appel quotidien de sa mère. « Quand je suis passée le soir, ma mère était dans son fauteuil. Grabataire, elle ne peut se mouvoir seule. Le téléphone et la sonnette d’alerte étaient près du lit. Ma mère ne pouvait attraper ni l’un ni l’autre. Et personne n’était passée la voir. Quand j’ai fait la remarque, on m’a dit : ‘’Mais si elle ne sonne pas, on n’a pas de raison de passer dans la chambre !’’ Heureusement qu’elle n’a pas eu de malaise, elle n’aurait pu avertir personne », s’étrangle-t-elle.
Erreur de médicaments
Violette enrage : « Le personnel se trompe régulièrement dans l’attribution des médicaments. Ma mère, qui a toute sa tête, s’en est rendu compte. Mais si un résident meurt des suites de ces erreurs, on dira qu’il est mort de vieillesse. C’est insupportable de ne pas pouvoir faire confiance au système… »
Pas assez de fauteuils roulants
La pénurie de matériel semble criante dans les Ehpad. « Après le repas, les vieux restent dans la salle à manger, à moitié endormis et avachis, dans des positions indignes. On nous dit qu’il n’y a pas assez de fauteuils roulants pour les remonter dans leur chambre. Pareil pour les sortir se promener. Quand j’ai râlé, on m’a répondu que je n’avais qu’à en acheter un. Vous savez combien ça coûte ? Je n’ai pas les moyens ! », se désespère Paule.
Les exemples sont encore légion. Et les familles ont l’impression de ne pas être entendues dans leurs doléances. « On ne veut pas jeter l’opprobre sur le personnel soignant. On sait bien qu’il manque de moyens et de formation. Mais la souffrance des résidents et de leurs familles est telle que cela confine à de la maltraitance. Car on oublie que derrière les équilibres financiers à tenir, c’est la fin de personnes humaines en détresse qu’on précipite ».
Muriel BERNARD