Le massacre des autochtones Wé dans le camp de l’ONU à Nahibly en Côte d’ivoire
Ou comment l’ONU favorise l’impunité et l’épuration ethnique en les cachant sous le tapis.
Depuis le début du conflit en Cote d’ivoire, environ 30.000 personnes autochtones d’ethnie Wé ont été tuées par les forces favorables au Président actuel, selon Comité de sauvegarde du patrimoine foncier Wé. Cette source évalue à 230 tués l’attaque du camps de déplacés de l’ONU de Nahibly par les milices ethniques FRCI et dozos le 20 juillet 2012.
Ce massacre fait suite à ceux de Douékoué carrefour (2011) et Guitrozon (2005) qui avait également ciblé les Wé et qui avaient également eu lieu en présence des forces de l’ONU. Par suite de l’épuration ethnique et de la colonisation de l’ouest ivoirien par des populations originaires des pays au Nord de la Côte d’ivoire, la population étrangère serait passé de 37% lors du recensement de 1998 à 75% selon ce comité. Une partie de la population Wé a fuit au Libéria où se trouvait déjà les descendants de ceux qui avaient fuit la colonisation française. Une autre partie se trouvait dans des camps de déplacés à l’intérieur de leur propre région. L’ONU les encourageait à rentrer dans leurs villages incendiés en réduisant leurs allocations de nourriture mais le rythme des départs était insuffisant du fait de l’insécurité régnant dans les campagnes « sécurisées par les bandes dozos du boucher de Duékoué-carrefour, Amédée Ouéremi.
La FIDH et Amnesty International viennent de publier chacune un rapport qui permet de confirmer les informations données par les sources Wé sur les circonstances du massacre de Nahibly.
Un massacre prévisible
Nul ne pouvait ignorer que les autorités et les milices étaient décidées à fermer les camps puisque le préfet de la ville avait fait des déclarations en ce sens en mars 2012. Le chef militaire de Douékoué, le lieutenant Koné Daouda dit Konda avait abondé dans le même sens : « Nous n’allons pas rester les bras croisés pendant longtemps. Il faut que le site soit fermé pour éviter qu’il ne devienne le nid de malfaiteurs », a-t-il dit. Ces déclarations ont été suivi par l’apparition de problèmes à l’intérieur du camp : « A partir du mois de mars 2012, il y avait eu 14 attaques contre les travailleurs humanitaires dans le camp et, au mois de mai, le HCR a envoyé une lettre aux autorités relevant ces incidents en les informant que la distribution de vivres serait suspendue. Le 22 mai, des acteurs humanitaires ont été menacés par des individus au sein du camp » a déclaré le patron de l’Onuci, Bert Koenders.
Une mission de l’ONU préconise en mai 2012 de renforcer la clôture pour » rendre plus difficile l’accès au camp par un autre lieu que le portail principal. » Heureusement, cette mesure n’a pas été mis en œuvre sans quoi nul n’aurait pu s’échapper lors de l’attaque du camp. La mission est arrivée à la conclusion que « le camp de Nahibly connaissait une situation sécuritaire dégradée par la présence très vraisemblable d’éléments perturbateurs de type bande armée, sans doute composée d’anciens miliciens ou militants gbagboistes de l’ethnie Guéré, dont certains ont été nommément identifiés. » . Plutôt que de chasser les perturbateurs probables nommément identifiés, la mission préconise l’ouverture d’un poste de police ivoirien à l’intérieur du camp, en plus de celui de l’ONU. Cette réponse ne sera pas mise en œuvre par les autorités ivoiriennes selon l’ONU, peut être parce que ces autorités n’ont pas confiance dans la police qui a été partout désarmée.
Selon Amnesty, l’attaque contre le camp » est intervenue dans un contexte de stigmatisation croissante des personnes déplacées de la part aussi bien des autorités politiques et militaires locales que de certaines franges de la population. (…) Un ancien résident du camp a dit à Amnesty International : « Les Dozos et des habitants des villages environnants ne cessaient de nous dire : « C’est à cause de Gbagbo que vous êtes là, on va vous tuer » ».
Plusieurs sources ont également indiqué à Amnesty International que, dans les semaines qui ont précédé l’attaque, il était devenu très courant d’entendre parler de la nécessité de faire « disparaître » le camp de Nahibly. »
Une organisation méthodique
« Le 19 juillet 2012, la veille de l’attaque du camp, se serait tenue à l’hôtel Monhessia (un hôtel désaffecté de Duékoué occupé à l’époque par les FRCI) une réunion entre le Lieutenant Konda, des Dozos et des représentants des jeunes Malinke de la ville. Le même jour, une réunion similaire de Dozos se serait déroulée à Guiglo au maquis Ketin. Ces Dozos de Guiglo « ont été amenés et ramenés ensuite après l’attaque du camp », selon un témoin » rapport FIDH.
Officiellement, c’est un événement fortuit qui a déclenché l’attaque du camp. Un braquage aurait fait 5 morts dans la nuit du 19 au 20 juillet au quartier Kokoman. Les jeunes malinké (allochtones) auraient suivi des traces de sang menant jusqu’au camps pourtant fort éloigné. Ils prirent alors d’assaut le camp à 8 heures devant les caméras et en présence du préfet Benjamin Effoli et du Lieutenant Daouda Koné.
Les 22 militaires et policiers de l’ONU qui gardaient le camp ne tenteront pas grand chose pour les en empêcher.
« Il était évident que nous n’étions pas capables de contrôler cette foule sans leur tirer dessus. Cela aurait presque certainement conduit à une explosion de violence et beaucoup de gens auraient été tués. Bien sûr, c’est ce qui s’est passé à la fin tout de même ». Témoignage d’un officier onusien recueilli par Amnesty International.
L’ONU déclarera plus tard que « La foule de « 500 à 1.000 » personnes qui est descendue sur le camp était un groupe « organisé » , (…), que « l’identité des assaillants faisait toujours l’objet d’une enquête » et que ces événements soulignait la nécessité de la restauration de l’autorité de l’État à travers le pays (AFP 27 juillet 2012). Mais cet événement n’est-il pas une excellente illustration de l’autorité de l’État et de l’immense talent des enquêteurs bredouilles de l’ONU ?
Les militaires et les milices ethniques malinké « dozos » ont procédé aux exécutions dans le camp, aux alentours et plus tard en brousse. « Dans ce chaos, les hommes, qui sont particulièrement ciblés, tentent de fuir. Certains par l’arrière du camp, d’autres par l’entrée principale. Ceux qui tentent de fuir par l’arrière du camp semblent avoir été abattus par les Dozos et peut-être des FRCI qui encerclaient le camp. Un témoin atteste qu’au moins 7 personnes auraient été tuées dans les taillis à l’arrière du camp. L’UNPOL et l’ONUCI ont bien tenté de ratisser la zone après les faits, mais « ils ont essuyé des tirs à ce moment, et n’ont pas pu accéder à la zone pendant les 7 jours qui ont suivi » affirme une source interne. Lorsqu’ils ont pu enfin se rendre à l’arrière du camp, « plus aucun corps n’était présent », déclare, amère, ce témoin des événements.
Pendant ce temps, le sort des hommes qui tentaient de fuir par l’entrée principale du camp n’est pas meilleur : bastonnés et poursuivis, certains sont arrêtés par des éléments des FRCI » FIDH.
Les personnes arrêtés disparaîtront définitivement pour la plus part et une femme subira un viol collectif par les FRCI. De nombreux témoignages font état de cadavres emportés, ce qui enlève tout caractère spontané à l’événement.
Un témoin permettra la découverte d’une dizaine de puits contenant les corps de victimes des massacres. Un seul sera fouillé, il contenait 6 corps. Les autres seront laissé en l’état « pour préserver les preuves ».
La complicité de l’ONU
Lors du massacre de 2011 dans la même ville de Douékoué, les soldats de l’ONU avaient enterrés eux même plus de 800 corps mais compté seulement 150 victimes. Une fois encore à Nahibly, l’ONU a cherché à étouffer la polémique en donnant une estimation ridiculement faible du nombre de victimes. Bien qu’un bataillon de l’ONU stationne dans la ville, la zone du camp avait été « sécurisée » par les FRCI qui venaient de le détruire, empêchant les ONG d’y accéder pour compter les corps. Les lieux de détention n’ont pas été visités, ce qui aurait probablement permis de sauver les personnes arrêtées. Ainsi, Bert Kondoers a pu annoncer 11 morts en tout dont 5 victimes du braquage « déclencheur » du massacre. Les 6 corps trouvés dans le camps étaient des corps difficilement transportables, notamment 3 vieillards brûlés vifs. L’ONU, qui avait identifié les 4000 habitants du camp, n’a pas cherché à répertorier les survivants, les morts et les disparus et le bilan n’a jamais été réévalué. Les déplacés ont été promptement rapatriés dans leurs villages d’origines où leur sécurité n’est pas assurée, sans parler de leurs éventuels témoignages. Selon la FIDH « La disparition à l’issue de l’attaque du camp de Nahibly de plusieurs dizaines de personnes déplacées, ainsi que la confirmation de cas d’exécutions sommaires et extra-judiciaires, laissent donc entrevoir un bilan beaucoup plus lourd que les chiffres officiels. » Les « pro-Gbagbo » évoquent 47 corps identifiés, 213 Wê tués et plus de 1000 disparus lors de l’attaque de Nahibly (Notre Voie 5 août 2012). Sans souscrire à leur évaluation que personne ne semble avoir voulu discuter, il faut reconnaître que le bilan onusien est très éloigné de la réalité et que cet aveuglement est volontaire.
Il y a comme une contradiction interne dans la déclaration de Bert Koenders, responsable de l’ONU en Côte d’ivoire lors de la conférence sur l’impunité de fevrier 2013 lorsqu’il dit « C’est en brisant le cercle vicieux de l’impunité et en promouvant une justice équitable que l’on aboutira à rompre le cercle vicieux de la violence. Je voudrais à cet égard saluer l’engagement de son Excellence Alassane Ouattara, le Président de la République, et de son Gouvernement, et noter l’ensemble des mesures prises et structures mises en place pour lutter contre l’impunité des crimes d’un passé récent. » Car le massacre de Nahibly a été commis avec la participation des autorités ivoiriennes et rien n’a été fait pour en identifier les responsables. En saluant l’action du chef de l’État, Koenders montre qu’il accepte son inaction pour ne pas l’embarrasser. Tout le reste n’est que souhaits pieux et promesses de faire des ronds « vertueux » dans l’eau.
Vacuité du droit
Selon Haut Commissaire aux droits de l’homme, les peuples autochtones, ou peuples indigènes, sont « les descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l’époque où des groupes de population de cultures ou d’origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l’occupation, la colonisation ou d’autres moyens ».
Maintenant qu’il est minoritaire sur sa propre terre, le peuple Wé devrait donc bénéficier de toutes les garanties offertes par la « Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones », notamment en matière de droit à la terre. Mais c’est une foutaise parce que les autochtones réfugiés dans des camps sont massacrés sous les yeux de l’ONU. Ceux qui ne vendent pas leurs terres à n’importe quel prix, c’est qu’ils n’ont plus la volonté de vivre. Dans ces conditions, lorsque Koenders appelle le gouvernement ivoirien a résoudre les conflits fonciers en votant une loi à ce sujet, il ne fait que l’inciter à donner une légalité à la spoliation.