Hubert Reeves: « Nous sommes très nombreux… dans l’Univers »

« Nous sommes le résultat de ces milliards d’années de réactions chimiques et physiques qui se sont produites dans l’Univers. »

Alors que le robot de la Nasa Curiosity continue d’arpenter Mars à la recherche des traces d’une vie passée, le satellite Planck vient de révéler une image de l’Univers dans sa prime jeunesse. Les missions pour mieux connaitre l’Univers se succèdent et l’Homme repousse les limites de l’imagination pour en percer ses mystères. L’astrophysicien franco-canadien et vulgarisateur scientifique Hubert Reeves est l’Invité du samedi de LaLibre.be. Des exploits scientifiques au réchauffement climatique en passant par les dangers venus du ciel, il nous livre son opinion sur les grandes questions: D’où venons-nous ? Sommes-nous seuls ? Que nous réserve le futur sur Terre ?

Depuis bien longtemps, l’Homme se questionne sur ce qui l’entoure. Comment expliquez-vous son intérêt, et le vôtre, pour le cosmos ?

Je dirais que cela fait partie de la quête des origines. C’est la curiosité naturelle de quelqu’un qui se découvre et se demande d’où il vient. Et pour répondre à ces questions, l’astronomie est particulièrement impliquée car elle nous parle de notre passé.

Quelle est pour vous la plus grande découverte cosmologique qui va dans ce sens, qui pourrait répondre à la question « d’où venons-nous ? » ?

La plus grande découverte récente, du siècle dernier, est que l’Univers a une histoire. Contrairement à ce que l’on a pensé durant des milliers d’années, l’Univers n’a pas toujours existé. Est-ce qu’il existera pour toujours ? On en sait rien. Mais nous savons maintenant qu’il se passe quelque chose, une histoire que nous nommons théorie du Big Bang.

Évolution de l’Univers du Big Bang à nos jours

Quelle est cette histoire ?

C’est celle d’un Univers qui est né très chaud, très dense, très lumineux. Puis il s’est développé, s’est complexifié et s’est refroidi. Il continue d’ailleurs à le faire. Dans cet univers en évolution sont apparues des structures organisées que sont les étoiles, les galaxies, les atomes, les molécules, les êtres vivants et enfin, chacun d’entre nous. C’est donc aussi notre histoire car nous sommes le résultat de ces milliards d’années de réactions chimiques et physiques.

Compte tenu de l’immensité de l’Univers, pensez-vous que nous soyons les seuls êtres doués d’intelligence à nous tourner vers le ciel ?

Nous n’avons aucune preuve allant dans un sens ou dans un autre. C’est une question que nous essayons d’explorer depuis un certain temps et nous n’avons pas vraiment fait de progrès sur ce plan. Mais mon opinion personnelle, c’est que nous sommes très nombreux, qu’il y a énormément de planètes habitées avec de la vie et de l’intelligence. Mais, encore une fois, c’est une conviction et non un savoir scientifique.

Les missions se multiplient dans des directions différentes. Qu’est-ce qui, pour vous, est le plus pertinent à étudier ?

Une des questions qui nous touchent le plus, c’est justement de savoir si nous sommes seuls dans l’Univers. C’est de savoir si quelque part, sur une lointaine planète, il y a des gens qui, eux aussi, se posent des questions. C’est la plus grande inconnue actuellement. Mais pour savoir cela, nous devons étudier l’ensemble, c’est-à-dire aussi bien les étoiles que la formation des planètes. D’où tout l’intérêt également d’envoyer Curiosity sur Mars. Pour savoir s’il y a eu de la vie ou non sur cette planète. Mais pour le moment, c’est encore une question sans réponse.

Le satellite Planck a capturé la lumière émise par l’Univers dans sa prime jeunesse, soit 380.000 ans après le Big Bang. Pourrons-nous un jour remonter encore plus loin dans le temps et jusqu’à quand ?

C’est à peu près la limite que l’on peut atteindre par la voie de la lumière. Mais il existe d’autres façons de remonter encore plus loin dans le temps, c’est ce qu’on appelle les ondes gravitationnelles. Elles ont été émises au moment du Big Bang mais nous ne savons pas encore les détecter. Si nous y parvenions, elles nous apprendraient des choses encore plus anciennes. Nous cherchons également à détecter des sources de neutrinos qui pourraient quant à elles nous donner des informations sur les premières minutes qui ont suivi le Big Bang.

Finalement les mystères de l’Univers ne sont pas si inaccessibles contrairement à ce que l’on pensait un temps… Effectivement, on pensait que le rayonnement fossile était invisible et finalement ce n’est pas le cas. Nous avons de belles images pour le prouver.

Le 21 mars dernier, le satellite européen Planck a dévoilé une image de l’univers tel qu’il était 380.000 ans après le Big Bang. Sa température approchait alors les 3.000°C.

Comment décririez-vous cette dernière image du rayonnement fossile fournie par Planck ?

C’est une image de ce qu’était le ciel 380.000 ans après le Big Bang. Si quelqu’un avait été présent à cette période, et qu’il avait regardé le ciel, il aurait vu quelque chose comme ce que nous voyons sur cette image. Bien sûr, les couleurs sont de fausses couleurs mais les intensités lumineuses sont une vraie représentation de ce qu’était l’Univers à ce moment-là. L’ensemble des petites variations que l’on voit, ce sont les germes de ce qui deviendra après coup des galaxies, des amas de galaxies, etc.

Pour certains, la théorie du Big Bang conforte l’idée d’une création ex-nihilo. C’est d’ailleurs un membre du Clergé, George Lemaitre, qui le premier a émis la théorie de « l’atome primitif ». Selon vous, le principe créateur est-il compatible avec la science ?

Ce sont deux domaines complétement différents. Les observations et les théories comme celles de Lemaître et d’Einstein relèvent du domaine de la science, de ce qui est observable. Mais cela ne nous dit rien sur quelque intention, création, ou divinité. Et d’ailleurs Lemaître avait bien insisté, lorsque le pape Pie XII avait mentionné que l’on avait trouvé le Fiat Lux (Ndlr: la première parole de Dieu lorsqu’il a dit « Que la lumière soit, et la lumière fut »), il lui avait dit de faire attention et de ne pas mélanger science et religion.

En parlant de Dieu, le patron de la Nasa Charles Boden a conseillé à ses concitoyens américains de prier si un astéroïde venait à menacer les États-Unis dans les trois semaines à venir. C’était pour lui un moyen d’interpeller le congrès américain sur cette menace. Trouvez-vous sa déclaration judicieuse ?

Évidemment si vous appreniez qu’un météorite va vous tomber sur la tête demain, vous n’auriez pas grand chose à faire. Et si vous êtes croyant, vous allez prier. Je comprends cette réaction même si je ne suis pas sûr que ça aiderait beaucoup à détourner le météorite. Mais ça, c’est une autre histoire.

Le 15 février dernier, un météore d’une dizaine s’est désintégré dans le ciel de Chelyabinsk, en Russie, faisant près de 1.200 blessés.

 

Le météorite tombé en Russie dernièrement est là pour nous rappeler notre vulnérabilité. La menace est-elle suffisamment prise au sérieux ?

Elle est effectivement prise au sérieux car il y a des programmes que nous appelons les « Spacewatch » grâce auxquels nous répertorions et suivons les orbites de nombreux corps célestes. Pour les gros ce n’est pas trop difficile, le problème concerne les plus petits objets. La preuve, nous n’aurions pas été capables de détecter le météore tombé dans l’Oural récemment, pour un plus gros, cela aurait été possible. Mais ça viendra. Ça fait partie des technologies qui sont en amélioration.

Depuis plus de 10 ans maintenant vous militez pour la défense de l’environnement. Car une autre menace plane sur nous: le réchauffement climatique. Y aurait-il un lien entre l’astronomie et l’écologie ? Entre le fait de connaître l’Univers et de préserver la Terre ?

Comme je le dis souvent, l’astronomie nous parle de notre passé, c’est-à-dire, comment on en est arrivé à être ici. L’écologie nous dit comment y rester dans de bonnes conditions. Il y a donc deux volets, un volet passé qui est la science, et celui qui nous enseigne comment éviter les menaces qui pèsent sur nous.

Au lieu d’envoyer des satellites explorer le ciel, ne faudrait-il pas utiliser cet argent pour sauver notre planète ?

Je crois qu’il faut faire les deux. Ce que nous utilisons pour sauver notre planète, comme ce qui nous sert à étudier le ciel, sont tous deux des développements scientifiques qui profitent à l’industrie elle-même. Tout ce qui monte dans le ciel, c’est un peu de métal, ce qui reste au sol, ce sont les salaires des ingénieurs. Un exemple: lorsque les États-Unis ont voulu aller sur la Lune, ils ont commencé par installer une partie du programme lunaire dans l’État le plus pauvre, qui était alors l’Alabama. Ils en ont ainsi relevé l’économie. Donc ce n’était pas de l’argent perdu. L’argent du spatial, c’est de l’argent qui relance l’économie, qui relance la vie.

Depuis que vous avez décidé de défendre l’environnement, quel constat faites-vous ?

Je penses qu’il y a à la fois une détérioration accrue et une prise de conscience croissante. Sur le plan de l’émission de gaz carbonique, nous savons qu’il est en croissance alors que nous devrions le diminuer de 60 à 80%. Mais on l’augmente de 3% par année. La déforestation continue à travers le monde. Mais dans ce même temps, les prises de conscience et les actions en faveur de la biodiversité et de l’écologie sont de plus en plus présentes. Nous sommes vraiment dans une situation de conflit entre deux grandes forces qui s’opposent et personne ne sait ce que cela donnera.

Aujourd’hui, êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste ?

Je pense qu’il ne faut pas être optimiste ou pessimiste mais plutôt déterminé à faire ce qu’on pense bon de faire et cela quoi qu’il arrive. Et même sachant que, peut-être, ça ne donnera rien.

 

Crédit images: Nasa, ESA, AP

Interview réalisée par Leslie Berdelou

http://www.lalibre.be/societe/sciences-sante/article/806255/hubert-reeves-nous-sommes-tres-nombreux-dans-l-univers.html

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