Chypre : l’Europe craint « un risque systémique »

Le plan de l’UE a été retoqué, la Russie s’en mêle et les épargnants prennent peur. Les ingrédients d’une Bérézina sont réunis. Attention, danger !

Chypriotes et étrangers font la queue devant un distributeur de la banque Laiki, pour retirer leur argent, de crainte que les dépôts ne soient taxés. © HASAN MROUE / AFP

 

La catastrophe viendra-t-elle de là où on ne l’attendait pas ?Chypre, qui représente à peine 0,2 % du PIB de la zone euro, déclenchera-t-elle la réaction en chaîne qui fera se fissurer la monnaie unique ? À Bruxelles, l’inquiétude monte : la petite île constitue « un risque systémique » capable de déstabiliser l’ensemble de la zone euro, reconnaît Jeroen Dijsselbloem, ministre néerlandais des Finances qui préside l’Eurogroupe. « Ça risque de devenir incontrôlable », soupire un proche du dossier.

30 % des encours appartiennent à des étrangers

Car le sauvetage de Chypre est devenu une équation à deux inconnues majeures.

1. Pour la première fois, un Parlement national a rejeté un plan d’aide de l’Europe. Les députés n’ont pas voulu entériner la taxation de tous les comptes bancaires. C’était pourtant le choix du président Anastasiadès, qui, à peine élu, n’a eu pour seule préoccupation que de diminuer le prélèvement sur les comptes de plus de 100 000 euros, quitte à ponctionner l’argent des petits épargnants et alors que 42 % des comptes dans les établissements du pays abritent plus de 500 000 euros, et que 30 % des 70 milliards d’encours bancaires appartiennent à des étrangers, principalement russes et beaucoup à l’origine douteuse.

2. Le poids de la Russie dans le secteur hypertrophié de la finance chypriote (il représente huit fois le PIB annuel national) est un facteur parasite. C’est justement pour éviter une fuite des capitaux russes qu’Anastasiadès a voulu contenir leur taxation. Les dirigeants russes n’ont pas hésité à hurler à la « spoliation » de leurs citoyens et de leurs entreprises. Du coup, Moscou s’immisce dans les affaires de la zone euro. Il y a quelques mois déjà, tel un rappel de la Guerre froide, l’ancien président communiste avait fait appel au « Grand Frère » pour obtenir un prêt de 2,5 milliards d’euros, en espérant éviter de tomber dans les rets de Bruxelles, Berlin et Paris. En début de semaine, son successeur y a envoyé son ministre des Finances pour tenter d’échanger une aide contre un accès à des gisements de gaz prometteurs. En vain. « Les Russes ont eu neuf mois pour négocier un tel deal. S’ils ne l’ont pas bouclé, c’est soit qu’ils n’en veulent pas, soit qu’ils jouent le pourrissement pour emporter une plus grosse part du gâteau », commente un expert.

« Pas question que le contribuable européen paye »

La situation est donc bloquée. Chypre annonce pour aujourd’hui un plan B dont on ne connaît pas encore la couleur. L’Eurogroupe et le FMI campent sur leurs positions de ne pouvoir prêter que 10 milliards sur les 17 dont l’île a besoin. « Au-delà, on fait bondir la dette du pays de 100 % à 200 %. Chypre ne pourra pas rembourser. On dira adieu à notre argent. Pas question que le contribuable européen paye la facture des gros risques pris par les banques chypriotes pour rémunérer les comptes courants à 5 % », lâche un diplomate très remonté…, mais qui feint d’oublier que les établissements du pays ont aussi été plombés par la restructuration forcée par l’Eurogroupe de la dette grecque, qui leur a fait perdre beaucoup d’argent.

Ce matin, l’agence de notation Fitch prévient que le maintien d’une taxe sur les comptes bancaires augmenterait le risque de contagion dans la zone euro. À Bruxelles, on s’active déjà en coulisse pour coordonner avec les autorités chypriotes la réouverture des banques du pays, repoussées à mardi, en l’attente d’un plan ferme. Car selon la Banque centrale de Chypre, 7 à 11 milliards d’euros sont en attente de transfert, bloqués par la fermeture. Soit 10 à 15 % des encours. C’est énorme. Chypre devrait donc mettre en place une restriction des mouvements des capitaux pour éviter leur fuite. Ce qui est autorisé par les traités européens « pour des raisons d’intérêt général ».

Parallèlement, il faut penser à réorganiser les deux plus grosses banques du pays, Laiki et Bank of Cyprus, qui sont en très mauvais état. « Elles sont complètement pourries », commente-t-on de source européenne.

La Russie vent debout contre ce plan

Enfin, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso s’est entretenu de Chypre avec le Premier ministre russe Dmitri Medvedev. Une rencontre à Moscou prévue de longue date, mais qui a pris tout son sel avec la situation actuelle. Le Russe n’a pas mâché ses mots, estimant que« toutes les erreurs possibles » avaient été commises lors de la préparation du plan d’aide à Chypre. Auparavant, il avait menacé de revoir la part de l’euro dans les réserves russes si le règlement de la crise financière à Chypre, proposé par l’Union européenne (UE), lésait les intérêts russes.

Jeudi matin, les discussions se poursuivaient entre partis politiques à Chypre, sans envisager de prélèvement sur les dépôts, et sans garantie sur une date pour l’adoption du plan B encore dans les limbes. Mais l’horloge tourne et la patience de la BCE est à bout. Dans un communiqué, elle s’engage à maintenir la fourniture de liquidités d’urgence pour Chypre jusqu’à lundi. Après, cela « ne pourra être envisagé que si un programme UE/FMI est mis en place pour assurer la solvabilité des banques concernées. » Tic-tac, tic-tac…

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