Ignorer les alertes scientifiques et les signes avant-coureurs a de lourdes conséquences
Les nouvelles technologies ont parfois eu des effets extrêmement nocifs, toutefois les signes avant-coureurs ont bien souvent été étouffés ou ignorés. Le second volume des « Signaux précoces et leçons tardives » de l’Agence Européenne de l’Environnement (AEE) examine des cas spécifiques pour lesquels les signaux d’alarmes ont été ignorés, provoquant dans certain cas la mort, la maladie et la destruction de l’environnement.
Le premier volume des Signaux précoces et leçons tardives, (Late Lessons from Early Warnings), publié en 2001, était un rapport novateur détaillant l’histoire des technologies ayant par la suite été jugées dangereuses. Ce nouveau volume de 750 pages comprend 20 nouvelles études de cas, et a également de profondes implications pour la politique, la science et la société.
Parmi ces études de cas se retrouvent les analyses de l’empoisonnement au mercure industriel, les problèmes de fertilité causés par lespesticides, les perturbateurs endocriniens présents dans les plastiques, et les produits pharmaceutiques modifiant les écosystèmes. Le rapport examine également les signes avant-coureurs provenant des technologies utilisées à l’heure actuelle, parmi lesquelles les téléphones portables, les organismes génétiquement modifiés et les nanotechnologies.
Les études de cas historiques montrent que les avertissements ont été ignorés ou écartés jusqu’à ce que les dommages pour la santé et l’environnement ne deviennent inéluctables. Dans certains cas, les entreprises ont privilégié les profits à court terme au détriment de la sécurité du public, en cachant ou en ignorant l’existence de risques potentiels. Dans d’autres cas, les scientifiques ont minimisé les risques, parfois sous la pression de groupes d’intérêts. Ces leçons pourraient nous aider à éviter des conséquences néfastes provoquées par les nouvelles technologies.
Le monde a évolué depuis la publication du premier volume des Signaux précoces. Les technologies sont désormais approuvées plus vite que par le passé, et sont souvent adoptées rapidement dans le monde entier. Cela signifie, selon le rapport, une possibilité de propagation rapide et accrue des risques, dépassant la capacité de la société à comprendre, reconnaître et réagir à temps pour éviter les conséquences néfastes.
Le rapport recommande une plus large utilisation du « principe de précaution » afin de réduire les risques potentiels des technologies et produits chimiques novateurs insuffisamment testés. Il affirme que l’incertitude scientifique ne justifie en aucun cas l’inaction lorsqu’il existe des preuves plausibles de dommages potentiellement graves.
Privilégier le principe de précaution est presque toujours bénéfique comme en témoigne l’analyse de 88 cas de prétendues « fausses alertes » : seules 4 n’étaient effectivement pas justifiées selon les auteurs du rapport.
Quelques exemples d’alertes ignorées
Le plomb dans l’essence
Citons par exemple le cas du plomb dans l’essence qui a perduré jusqu’en 2005 en Europe alors que les scientifiques avaient lancé l’alerte 80 ans plus tôt, alors qu’il existait déjà des additifs de substitution et que les effets neurotoxiques du plomb étaient connus depuis l’Antiquité !
Le tabagisme
Le rapport évoque également la manipulation et la désinformation incessantes de l’industrie du tabac qui cherche à tout prix à instaurer le doute dans un prétendu débat sur la toxicité d’un produit complètement inutile, coûteux et désastreux pour la santé. Une stratégie malheureusement gagnante qui inspire bien d’autres industriels peu scrupuleux.
Les pesticides
Un autre exemple significatif est celui des perturbateurs endocriniens qui ont envahi notre quotidien. L’un des premiers est un pesticide, le Dibromochloropropane (DBCP, vendu sous la marque Nemagon), introduit dans l’agriculture américaine en 1955 et utilisé pour lutter contre les nématodes (vers ronds) qui endommagent les cultures d’ananas, de bananes et autres fruits tropicaux. En 1961, des expériences de laboratoire ont montré que le DBCP était dangereux pour les organes reproducteurs mâles, il a pourtant été approuvé et utilisé comme fumigant. En 1977, l’alerte est devenue réalité puisque de nombreux cultivateurs américains étaient devenus stériles, il a alors été interdit dans ce pays. Il n’empêche, ce produit a alors été exporté dans de nombreux autres pays du monde devenant un véritable succès commercial. Depuis les années 90, des centaines de milliers d’ouvriers agricoles souffrent de troubles de la reproduction à cause du DBCP…
Le réchauffement climatique
Le réchauffement climatique en cours a fait l’objet d’une première alerte scientifique datant de 1897 ! Plus d’un siècle plus tard, il est maintenant une réalité incontestable. Là aussi, la désinformation et la manipulation orchestrés par des intérêts économiques à court terme continuent de semer le trouble sur un phénomène planétaire aux conséquences incalculables. Les gouvernements peinent à s’entendre et la fenêtre temporelle qui nous permettait de réduire les gaz à effet de serre est en passe d’expirer. Faute d’avoir fait preuve de courage et d’intelligence collective, l’adaptation sera, désormais, le maître mot des prochaines décennies.
Les téléphones portables
En 2011, l’Organisation Mondiale de la Santé, via le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) classait les champs de radiofréquences électromagnétiques utilisés pour les téléphones portables comme présentant des risques cancérigènes pour l’Homme. Neuf ans plus tôt, le CIRC évaluait de la même manière les champs magnétiques provenant des lignes électriques. Malgré les biais méthodologiques et les difficultés à mettre en évidence un lien entre tumeurs du cerveau et téléphones mobiles, le doute subsiste, mais celui-ci est plutôt exploité par les fabricants de téléphones portables et les médias pour minimiser les risques au lieu d’inciter le public à prendre des précautions d’usage. Lorsque la réalité aura rejoint l’alerte, il sera trop tard.
De nombreuses autres alertes sont étudiées dans ce rapport comme : la mortalité massive des abeilles,l’accident nucléaire de Fukushima, 25 ans après celui de Tchernobyl, les OGM et l’agroécologie, les nanotechnologies…
Recommandations principales du rapport
D’après le rapport, la science devrait prendre en compte la complexité des systèmes environnementaux et biologiques, surtout lorsque de multiples causes peuvent être à l’origine de nombreux effets différents. Il est de plus en plus difficile d’isoler un seul agent et de prouver sa dangerosité au-delà de tout doute possible. Une approche plus holistique, englobant de nombreuses disciplines différentes permettrait également d’améliorer la compréhension et la prévention des dangers potentiels.
Les décideurs politiques devraient réagir aux signaux avant-coureurs plus rapidement, indique le rapport, en particulier dans le cas des technologies émergentes utilisées à grande échelles. Il propose que ceux étant à l’origine de futurs préjudices payent pour les dommages causés.
Toujours selon le rapport, l’évaluation des risques peut également être améliorée en adoptant l’incertitude de façon plus généralisée et en reconnaissant ce qui n’est pas connu. Par exemple, « aucune preuve de danger » a souvent été interprétée à tort comme signifiant « n’étant pas dangereux », alors même que des recherches pertinentes n’étaient pas disponibles.
De nouvelles formes de gouvernance impliquant les citoyens dans les choix effectués en matière d’innovation et d’analyses des risques pourraient également être bénéfiques, affirme le rapport. Cela aiderait à réduire les expositions aux risques et encouragerait des innovations ayant des avantages sociétaux plus importants. Une plus grande interaction entre les entreprises, les gouvernements et les citoyens pourraient favoriser des innovations plus solides et variées avec un coût moindre pour la santé et l’environnement.
Aujourd’hui, plus que jamais, la stimulation insensée d’une société de surconsommation sans aucun avenir implique la mise sur le marché incessante de nouveaux produits alimentaires transformés et de biens de consommation inutiles et dangereux. Le seul objectif : faire du business. Malheureusement, cela à un coût pour la santé humaine et les écosystèmes comme en témoignent les scandales sanitaires, alimentaires et la pollution généralisée de l’environnement.
Les donneurs d’alertes sont ignorés, étouffés, traînés en justice, ridiculisés avec la bénédiction d’un grand nombre de décideurs et médias. Mais ne nous y trompons pas : l’intérêt de quelques uns vaut bien le sacrifice de nombreux consommateurs candides, ne l’oublions jamais dans nos actes d’achats.
Source
Ce que coûte d’ignorer les signes avant-coureurs – L’AEE publie ‘Signaux précoces et leçons tardives, volume 2’ – AEE via notre-planete.info
Merci à Juliette pour l’article