AUSTERITE: chroniques d’un hiver européen
Une série documentaire sur l’austérité en Europe
ÉPISODE 1 (GRÈCE)
Athènes, de la récession à la dépression
Fin 2011, les Grecs s’apprêtaient à entrer dans la cinquième année de la plus longue récession de l’histoire du capitalisme.
ÉPISODE 2 (GRÈCE)
Athènes, l’engrenage de l’austérité
Une politique économique d’une dangerosité sous-estimée.
ÉPISODE 3 (GRÈCE)
Athènes, la quête d’un ailleurs
Quand l’effondrement d’un monde appelle l’invention d’un nouveau.
GRÈCE, CONCLUSIONS
Les trois premiers épisodes on été enregistrés à Athènes en décembre 2011 et réalisés entre janvier et avril 2012.
En novembre 2012, presque un an plus tard, nous revenons sur la situation pour faire le bilan.
Trois articles successifs proposent de retracer les faits marquants de l’année 2012, de prendre la mesure de la gravité de la situation et de réfléchir à la suite du projet.
L’EXPÉRIENCE GRECQUE A UN PRÉCÉDENT (ET PAS DES MOINDRES)
Similitudes.
La Grèce n’est pas seule…
Imaginons un pays.
Une crise financière sans précédent provenant de Wall Street va déstabiliser son économie. En moins d’un an, le pays plonge en récession et la baisse de la production combinée à l’augmentation du chômage de 9 à 14% de la population active vont gravement détériorer les finances de l’état. Ces finances étaient déjà fragiles à cause d’une dette importante contractée de manière plutôt contestable. Mais la nouvelle montée en flèche de l’endettement due à la crise économique inquiète les autorités qui procèdent à un changement de gouvernement et mettent au pouvoir un conservateur issu de la bourgeoisie, économiste formé à la London School of Economics.
Le gouvernement formé par ce dernier a alors un objectif prioritaire : faire baisser la dette du pays et relancer l’économie. La solution leur semble très simple : l’état va devoir économiser en coupant dans les dépenses et en augmentant les impôts. La souffrance engendrée sur les classes les plus pauvres est vue comme un mal nécessaire pour rétablir des finances « saines ».
Mais la situation politique est très instable, et passer de telles mesures au parlement n’est pas évident. C’est donc par une suite de décrets-loi exceptionnels que quatre plans d’austérité vont être successivement appliqués au pays au cours des deux années suivantes.
La liste des mesures prises est sans fin : baisse de 25% des salaires dans le secteur public, baisses à répétition de toutes les allocations sociales (chômage, famille, assurance maladie), augmentations à répétition de l’impôt sur le revenu, de la TVA, et des taxes sur des produits de consommation comme la cigarette et l’alcool.
Cette cure d’amaigrissement très violente du budget de l’état a des conséquences catastrophiques : l’économie s’écroule et le chômage explose de 14% à 22% en un an alors que la production économique (PIB) chute de 7,7%. La société est en état de choc et les orientations politiques se polarisent vers l’extrême gauche et le parti nazi, ce dernier connaissant subitement un succès fulgurant.
Malgré cette évolution, le gouvernement décide d’intensifier l’austérité, étant convaincu que son échec est dû à l’insuffisances des mesures prises. Un nouveau paquet d’austérité est adopté par décret alors que le chômage est à 22%. Dans une déclaration officielle, le gouvernement annonce « qu’il reste maintenant moins de 100 mètres jusqu’à la cible. »
La suite de l’histoire est connue : un an plus tard, le PIB chute à nouveau de 7,5% et le chômage passe à 28%. La radicalisation politique de la population s’intensifie, menant à l’arrivée au pouvoir en 1933 du parti nazi et d’Adolf Hitler, ce dernier s’étant servi de l’effondrement économique et social du pays comme levier pour sa campagne de propagande.
Car en effet, il n’est pas question ici de la Grèce. Cette description factuelle est celle des dernières années de la république de Weimar entre 1929 et 1933, les années sombres qui ont mené au nazisme et à la deuxième guerre mondiale. Le gouvernement dont il est question ici est celui du chancelier Heinrich Brüning, nommé à cette fonction en 1930 par le président fédéral Paul von Hindenburg. Son entêtement à mener une politique d’austérité extrême a fait imploser l’économie et la société allemande en l’espace de deux ans.
Cette expérience de cure d’austérité et ses conséquences, l’accession du parti nazi au pouvoir menant quelques années plus tard à la deuxième guerre mondiale, ne semble en fin de compte pas avoir été aussi traumatisante que cela. Il faut chercher très profond dans les archives internationales des trois dernières années pour trouver des journalistes ou des personnalités médiatiques faisant référence à ce précédent historique pour aborder la problématique actuelle.
Sous l’effet de l’austérité, le taux de chômage en Grèce est passé de 9,5% en juillet 2009 à 12,5% en juillet 2010, 17,8% en juillet 2011 et 25,1% en juillet 2012.
Simultanément, on sait que le parti néo-nazi grec « aube dorée » est passé de 0,46% des votes aux élections européennes de 2009 à 5,3% aux élections municipales d’Athènes en 2010, puis 6,92% aux élections législatives de Juin 2012, et que 12% des personnes sondées approuvaient l’attitude du parti en mai 2012, part qui atteint les 22% en Septembre 2012.
L’accumulation de ces faits ne cherche en aucun cas à prédire une accession, peu probable, d’un parti néo-nazi au pouvoir d’un pays subissant l’austérité européenne. Les mêmes causes ne peuvent avoir les mêmes effets dans le domaine si aléatoire des comportements sociaux. Ce qui est démontré par contre, c’est que la situation économique et sociale atteinte à l’automne 2012 en Grèce est du même ordre que celle de l’Allemagne en 1933.
Il est alors sidérant et inquiétant de constater que le niveau de préoccupation atteint par les institutions et les politiciens européens ne dépasse pas une sporadique phrase de compassion, pommade cynique servant à faire passer les nouveaux plans d’austérité et de privatisation.
Fin 2010, on a pu s’inquiéter des risques économiques que pourraient amener l’austérité.
Fin 2011, les conséquences dramatiques de ces mesures laissaient espérer une prise de conscience et un virage politique.
Fin 2012, le potentiel destructeur avéré et abouti de cette politique combiné à un aveuglement proportionnel des grands décideurs européens ne laisse plus beaucoup de place à l’optimisme pour les temps à venir.
Le grand traumatisme fondateur qui régit aujourd’hui la politique économique allemande et européenne est la peur de l’inflation et de l’instabilité monétaire. Pourtant, la grande crise d’hyperinflation a eu lieu en Allemagne en 1922-1923, une décennie avant la grande dépression et la montée du nazisme. Dans la conscience collective des décideurs, il semble que l’annulation par l’inflation de toutes les fortunes personnelles d’Allemagne ait un impact bien plus important que la destruction de l’économie et de la société allemande par les politiques d’austérité en 1930-1933.
Quelle explication trouver au fait qu’une erreur si grossière et dramatique soit reproduite 80 ans plus tard exactement à l’identique par l’élite du même pays? La seule différence, de taille, est que cette erreur est aujourd’hui infligée à un autre peuple et non au sien…
On pourra remarquer que le mot « Schuld » en allemand signifie aussi bien « dette » que « faute » ou « culpabilité ». Pour les élites conservatrices germanophones, le fait que les pays surendettés aient « fauté » n’est même plus un rapprochement facile : le concept linguistique est tout simplement équivalent. On peut alors se demander si ce n’est pas un excès d’antique morale religieuse qui pousserait la classe dirigeante allemande à assimiler le « mal nécessaire » de l’austérité à une « punition ».
La question de la responsabilité de ce drame restera probablement longtemps ouverte, mais il y a maintenant urgence à éviter le pire.
Chroniques d’un hiver européen, une série documentaire sur l’austérité en Europe
À regarder sur : http://hivereuropeen.wordpress.com
Novembre 2012
Et comme prolongation, voici un roman qui est tout à fait en phase avec la problématique de l’article (copie depuis notre sélection de liens)
Quoi de neuf, petit homme? , roman de Hans Fallada (titre original : Kleiner Mann, was nun ?)
Ce magnifique roman publié en 1932 en Allemagne conte la belle histoire d’amour d’un jeune couple aux prises avec les tourments économiques de son époque : la dépression sévissant en 1929-1932 en Allemagne. Le quotidien de la crise qu’on y découvre diffère peu des histoires entendues en Grèce aujourd’hui. Le rapprochement inquiétant de ces deux situations, que ce soit au niveau politique ou au niveau du vécu personnel, devrait faire réfléchir certains de nos « décideurs européens». Un classique allemand à lire absolument.
http://www.folio-lesite.fr/Folio/implivre.action?codeProd=A36592
GRÈCE : UN AN DE PLUS ET RIEN DE NOUVEAU
« Jusqu’ici, tout va bien… »
Chômage en Grèce :
-
Année Prévisions de la Troïka en Septembre 2010 : Réalité : 2010 11,80% 14,40% 2011 14,60% 21,20% 2012 14,80% 25,4%*
Croissance économique de la Grèce (PIB) :
-
Année Prévisions de la Troïka en Septembre 2010 : Réalité : 2010 -4,00% -4,90% 2011 -2,60% -7,10% 2012 +1,10% -7,00%**
(* chiffre à la fin Août 2012
**prévision début novembre 2012)
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Cela fait presque un an que les premiers épisodes des Chroniques d’un hiver européen ont été enregistrés à Athènes. C’était en décembre 2011.
Depuis, on pourrait dire que rien n’a changé. Il s’est peut être passé beaucoup de choses mais au bout du compte, rien n’a changé. Cela ne signifie pas que les choses en sont au même point, mais que la chute libre a continué durant toute cette année.
En décembre 2011, les habitants d’Athènes me disaient qu’ils avaient senti un point de bascule vers l’été 2011, moment où tout s’est accéléré et où la décomposition de la société a commencé à vraiment se faire sentir. Dans les témoignages enregistrés dans le documentaire, ils avaient donc ce sentiment depuis 6 mois. Aujourd’hui, on en arrive à un an et demi vécu à cette cadence.
Je n’ai pas pu retourner à Athènes entre temps. Par les contacts que j’ai gardés, je sais juste qu’aujourd’hui, tout est bien pire. Il n’y a plus 17% de chômeurs mais 25%. À la fin 2012, le PIB aura chuté de plus de 20%. C’est pire que la faillite de l’Argentine en 2001 et à peu près l’équivalent de la dépression économique aux Etats Unis et en Allemagne dans les années 30.
Le racisme et la violence ont connu une explosion sans précédent. Les agressions xénophobes se multiplient alors que le gouvernement en place lance des campagnes de « nettoyage » du centre ville d’Athènes, où il est question de rafles en masse d’immigrants légaux et illégaux, pour faire le tri (6000 détenus en un week-end, le 6 Août 2012, dont 1400 ont été « triés » comme « illégaux »). Les suicides « économiques » ou « politiques » se suivent et ne font plus la une des journaux, la misère gagne rapidement du terrain et l’on se prépare à l’hiver en accumulant du bois de chauffage avant que son prix d’achat ne rejoigne par manque de stocks celui du fuel. Sur la durée, peut être finit-on par s’habituer à tout.
Pourtant il s’est passé beaucoup de choses en un an. Le premier grand événement fut la fameuse « réduction de dette » accordée à la Grèce par les banques en Février 2012. Ce grand coup médiatique dont le feuilleton a duré des semaines mettait l’accent sur la bonté des créditeurs privés de la Grèce qui ont au final concédé à annuler 70% des crédits accordés à la Grèce. Et comme l’on s’est réjoui d’une telle générosité!
Juste avant ce plan, en Décembre 2011, la dette de la Grèce équivalait à 170% de son produit intérieur brut (PIB). Comment expliquer qu’après cet élan de bonté célébré par les media, le gouvernement grec annonce en Novembre 2012 que la dette grimpera à 189% du PIB en 2013? C’est à n’y plus rien comprendre… Cette annonce médiatique aurait-elle caché une réalité plus nuancée? On trouvera quelques précisions à cette adresse : http://www.les-crises.fr/retour-sur-le-plan-grec/
Puis arriva le grand événement de l’année : les élections législatives ayant pour but de remplacer le gouvernement de transition non élu de Lucas Papademos. Initialement prévues pour février 2012, elles avaient été repoussées à une date indéterminée. Elles furent enfin annoncées pour le 6 Mai 2012. Le peuple grec qui se sentait dépossédé de son pouvoir démocratique lors de la période Papademos (Novembre 2011- Mai 2012) mit toute son énergie dans ces élections, première occasion d’expression démocratique nationale depuis le début de la crise.
Le feuilleton dura à nouveau deux mois, une deuxième élection ayant dû être organisée le 17 Juin, la première ayant abouti à une impasse où aucun des partis au parlement ne fut capable de créer une coalition pour gouverner. Le duel politique opposa alors le parti conservateur Neo Demokratia (ND) en faveur d’une poursuite des politiques d’austérité à l’union radicale de gauche SYRIZA, favorable a une renégociation totale des conditions de l’aide économique à la Grèce. La question économique était bien sûr centrale dans cette élection, mais on a vu l’irruption violente et malsaine de la question du traitement à réserver aux immigrants illégaux.
L’intention radicale qu’avait SYRIZA de renégocier tous les termes des mécanismes économiques européens en place symbolisait une tentative, réaliste ou non, de remettre en cause les politiques européennes actuelles et de relancer frontalement le débat sur l’austérité à l’échelle européenne. Le parti ND a quant à lui joué sur la peur et l’angoisse d’un cataclysme national si la Grèce osait tenir tête à ses créanciers. Après une campagne extrêmement serrée qui a vu SYRIZA arriver en tête dans la moitié des sondages, le parti ND a fini par l’emporter de peu (29,66% contre 26,89% pour SYRIZA).
Un fait marquant de la campagne fut l’intervention de François Hollande sur la première chaîne de télévision privée de Grèce, trois jours avant le scrutin décisif du 17 Juin. Dans cette interview diffusée en prime time et reprise par une grande partie de la presse, il a a appelé les grecs à voter de manière responsable pour un parti respectant les engagements de la Troïka. Il a donc implicitement appelé les grecs à voter pour le parti de droite conservatrice ND et contre le parti de gauche SYRIZA. En connaissant le respect qu’ont beaucoup de Grecs pour les hommes politiques français, on peut supposer que certains électeurs se sont laissés influencer par cette intervention. Cette ingérence politique est la première de ce type depuis la fin de la dictature en 1974.
Après la victoire du parti ND, l’été s’est passé dans une résignation silencieuse. Le nouveau gouvernement a pris ses marques en promettant au peuple de tenir tête autant que possible à la Troïka dans les nouvelles négociations budgétaires. Mais en pratique, en octobre 2012, la préparation du budget 2013 impose une nouvelle série de mesures d’austérité s’ajoutant à la liste sans fin déjà en place. Au cours des derniers mois, on a pourtant entendu un changement de ton dans les déclarations officielles des représentants de la Troïka : de la compassion, de la compréhension, et parfois même l’aveu d’avoir fait des erreurs. Mais en pratique, il ne semble y avoir absolument aucun changement dans la politique menée en Grèce et ailleurs en Europe.De nouvelles baisses des salaires, baisses des allocations, augmentation du temps de travail, augmentation de l’âge de départ à la retraite : l’acceptation de ce nouveau paquet d’austérité ne sera pas facile. La population est maintenant complètement à bout, autant psychologiquement que physiquement. Sans rapide prise de conscience européenne, le « cobaye » grec risque de très mal réagir.
Pour conclure, voici plus de précisions sur le rappel « historique » des objectifs de la Troïka* présenté en début d’article. Dans ce tableau, on peut comparer la réalité de l’évolution du chômage et de la croissance en Grèce avec les projections que faisait le FMI lors de son premier bilan d’activités en Grèce en septembre 2010. Ces projections de l’évolution de l’économie sont les bases du travail de la Troïka pour l’élaboration des programmes d’austérité. ll est remarquable qu’une marge d’erreur aussi monstrueuse après deux ans de programmes ne remette pas en cause la validité des théories soutenues. Malgré ces résultats expérimentaux catastrophiques, les programmes d’austérité ont gagné lors de cette période le statut de remède indispensable pour la majorité des pays européens : Portugal, Irlande, Espagne, Italie, France…
*(Fonds Monétaire International, Banque Centrale Européenne et Commission Européenne)
Chômage :
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Année Prévisions de la Troïka en Septembre 2010 : Réalité : 2010 11,80% 14,40% 2011 14,60% 21,20% 2012 14,80% 25,4%*
Croissance économique (PIB) :
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Année Prévisions de la Troïka en Septembre 2010 : Réalité : 2010 -4,00% -4,90% 2011 -2,60% -7,10% 2012 +1,10% -7,00%**
* chiffre à la fin Août 2012
**prévision début novembre 2012
Données : IMF Country Report No. 10/286 , Septembre 2010 « Greece: First Review Under the Stand-By Arrangement » ; Eurostat.
UN ABÎME SOCIAL EN EUROPE : AU SUIVANT!
Ou comment le « cas particulier » de la Grèce devient la norme européenne.
En rentrant d’Athènes, j’ai essayé de garder contact avec les personnes qui ont accepté de témoigner pour le documentaire. En six mois, toutes sans exception ont vu leur situation matérielle et psychologique se dégrader. Sur la douzaine de voix que l’on peut entendre dans le documentaire, cinq au moins ont émigré hors de Grèce. La problématique de l’émigration est un véritable compte à rebours. Il faut avoir des moyens pour pouvoir partir. De quoi payer le voyage, une petite épargne pour subsister à l’étranger… Ceux qui ont le courage de ne pas quitter tout de suite la Grèce voient leurs réserves financières fondre et leurs possibilités futures d’émigrer disparaître. Il s’agit d’un dilemme où chaque semaine d’hésitation fait augmenter le risque de ne plus pouvoir s’en sortir.
Mais voilà presque un an que je ne me suis pas rendu en Grèce. Je n’ai plus aucune possibilité de pouvoir rendre compte de l’atmosphère qui y règne. Les mots ne donnent qu’une vague idée de ce que cela signifie que de voir sa vie bouleversée au milieu d’un pays qui sombre. Je l’ai réalisé l’an dernier en vivant trois semaines au milieu de la situation telle qu’elle était à l’époque. Il faut le vivre pour vraiment le comprendre. Un an plus tard, même à moi, cela me parait à nouveau abstrait. Je sais ce qu’il s’y passe mais je ne le ressens que très vaguement, en associant des souvenirs émotionnels de mon séjour passé à des nouvelles factuelles. Seuls les grecs savent exactement ce qu’il en est.
Ceux qui vivent au Portugal ou en Espagne peuvent eux par contre sûrement le comprendre. L’austérité y fait aussi son chemin, toujours plus loin1 . Les derniers mois, en discutant avec des gens ayant de la famille dans un de ces pays, j’ai entendu des échos de ce qu’il s’y passe. On m’a parlé d’amis ou de membres de la famille, de plus en plus nombreux, qui se rapprochent eux aussi de l’impasse. D’un sentiment de fatalité. Du bord du gouffre. Que les prochaines mesures pourraient être fatales…
Avec un petit délai, peut être une année, il se passe exactement la même chose. Le fameux cercle infernal « austérité->baisse de la consommation->augmentation du chômage->baisse de recettes de l’état->augmentation de la dette-> encore plus d’austérité » est aussi à l’oeuvre.
L’efficacité destructrice de ce cercle vicieux est maintenant confirmée par une répétition des exemples : en l’espace d’un an (octobre 2011 à octobre 2012), le chômage est passé de 13,7% à 16,3% au Portugal, de 22,7 à 26,2% en Espagne et de 8,8 à 11,1% en Italie. La croissance s’effondre, la dette gonfle. La Troïka et le gouvernement Merkel fustigent les pays sous austérité de « manque de sérieux » dans l’application des mesures. L’explosion du chômage n’est-elle pourtant pas une preuve tangible que les mesures sont bel et bien mises en place?
Les histoires entendues en Grèce l’hiver dernier peuvent être aujourd’hui racontées dans un nombre infini de variantes. Au Portugal et en Espagne, mais aussi de manière croissante en Italie, en France….
En deux ans et demi, nous avons accumulé assez de preuves que le système européen régi et conditionné par ses dogmes d’influence néo-libérale a perdu toute mesure du danger de son programme économique. Dans l’idéologie néo-libérale, la variable sociale est un élément qui est délibérément et consciencieusement négligé. Non par omission mais par principe théorique. Sauf qu’en raisonnant uniquement en théorie économique on finit par en oublier que cette théorie est directement liée à d’autres facteurs, entre autres la vie de millions d’êtres humains.
On peut donc raisonnablement penser que le système politique actuel n’a tout simplement aucune conscience réelle des conséquences de ses actes. Tant que cet élément ne changera pas, on ne peut pas espérer de remise en cause du programme actuel.
Reste à parler de la Banque centrale européenne (BCE). Cette institution a tous les pouvoirs concernant l’euro. Pourtant, arguant de son statut « apolitique » et « technocratique », elle s’est bornée à ne rien faire en faveur des pays surendettés lorsqu’ils sont entrés en crise. Mais en 2012, deux mesures ont prouvé que la BCE a bel et bien tous les pouvoirs et qu’elle peut en user à sa guise. En Janvier 2012 tout d’abord, alors que les « marchés » étaient une fois de plus en situation critique à cause de la crise européenne, la BCE a créé 1000 milliards d’euros de prêts de longue durée et à taux très bas pour « soutenir » le secteur bancaire (opération LTRO). Puis, en septembre, après deux ans de refus ayant entraîné les plongeons successifs de la Grèce, du Portugal, de l’Irlande et de l’Espagne, la BCE a accepté de racheter si nécessaire en quantité illimitée les dettes de ces pays, rendant ainsi en théorie toute spéculation sur la dette impossible. Ces deux actions montrent bien que malgré le discours officiel, la BCE a en fait tous les pouvoirs. Seulement, elle en use ou non à sa guise et en faveur de qui lui plaît, exerçant par la même une pression politique gigantesque.
Au milieu de cet engrenage infernal, quelle peut finalement être l’utilité d’un projet documentaire tel que les Chroniques d’un hiver européen? Le projet initial souhaitait explorer la psychologie de la crise de pays en pays. Mais les conclusions de la première partie en Grèce sont trop évidentes : nous retrouverons probablement les mêmes drames individuels au Portugal et en Espagne. Est il nécessaire d’accumuler à nouveau des témoignages de dépressions et de tragédies personnelles?
Que faire alors? Une des idées originales du projet était aussi d’enquêter sur les initiatives positives émergeant d’un tel bouleversement sociétal. Malheureusement, il y eut très peu à entendre à ce sujet en suivant le hasard des rencontres. Peut être faudrait-il mettre un peu plus d’énergie à dénicher des initiatives positives qui, nous l’espérons, existent. Et raconter alors ces histoires là.
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1 : Nous n’oublions pas l’Irlande, mais ce pays a au final une trajectoire assez particulière. Il a connu un énorme choc en 2008/2009 mais la dégradation de la situation par les mesures d’austérité, bien qu’existante, semble être pour l’instant beaucoup plus lente. Deux facteurs compensatoires entrent probablement en jeu : d’une part l’Irlande est un partenaire privilégié des États-Unis, pays qui connaît une situation relativement meilleure que celle de l’Europe au cours des deux dernières années et d’autre part, la fameuse et controversée loi d’impôt sur les sociétés (12,5% d’imposition contre 25,7% en moyenne en Europe) donne un avantage certain à l’Irlande pour résister aux dégâts de l’austérité.
Merci à http://hivereuropeen.wordpress.com/ pour leur travail titanesque.