Paysans des villes, la tentation du retour à la terre (videos)
Paysans des villes, la tentation du retour à la terre
Ils étaient chimiste, coiffeuse ou agent immobilier… ils élèvent désormais des vaches, des cochons et des chèvres. On les appelle les « hors cadre familial ». Face au déclin démographique de la population paysanne, ces jeunes agriculteurs assurent la survie de nombreuses petites exploitations. Nous sommes partis à leur rencontre dans le Gers, les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Atlantiques.
Dans une ferme du Gers. © Antonin Sabot / LeMonde.fr
« Il y a cinq ans, je n’avais encore jamais vu de cochon. » Les bottes ancrées dans la boue, Nicolas Soisson déverse un mélange de petit lait et de céréales dans les mangeoires. Un grognement tonitruant traverse l’air humide de l’hiver gersois. En bas de la pente, six énormes porcs de 200 kilos s’élancent, traversent leur parcelle à vive allure et plongent le groin dans la mixture.
Rien ne prédestinait cet ingénieur en chimie de 36 ans, parisien, fils de médecins généralistes, à se retrouver un jour à la tête d’une exploitation agricole. Après des études de chimie à Montpellier, un doctorat à Belfast et un post-doctorat à Baltimore, Nicolas Soisson travaillait il y a encore six ans dans un laboratoire pharmaceutique au Mans. Il gagnait 30 000 euros par an. Sa femme Véronique, ingénieur comme lui, faisait carrière dans les cartes à puces.
A l’aube de leurs 30 ans, la vie des deux ingénieurs bascule. Le couple, qui vient d’avoir une petite fille, s’interroge. Leur réussite sonne creux. Leur vie de famille s’étiole dans les trajets quotidiens. Le couple a un nouveau projet de vie : il produira désormais du fromage de vache bio et élèvera des cochons.
Nicolas Soisson apporte à manger à ses porcs dans son exploitation de Troncens, dans le Gers. © Antonin Sabot / LeMonde.fr
LES « HORS CADRE FAMILIAL »
La reconversion inattendue de ce jeune couple dépasse le simple cadre de l’aventure humaine. Nicolas appartient à une catégorie de nouveaux paysans devenue cruciale pour la survie de nombreuses petites exploitations : on les appelle les « hors cadre familial ». Ces jeunes agriculteurs, qui ne reprennent pas l’exploitation de leurs parents, ont souvent vécu en ville, travaillé comme employés, et n’ont pour certains qu’un lien très lointain avec le travail de la terre (1).
Pendant huit ans, Angélique Abadie-Couture a coupé, coloré, permanenté des chevelures dans différents salons de coiffure. Cette jeune mère de famille était alors loin de s’imaginer qu’elle se retrouverait un beau matin de février agenouillée dans la paille à tenir la pince du vétérinaire appelé en urgence pour pratiquer une césarienne sur une de ses chèvres.
Angélique Abadie-Couture donne du foin à ses chèvres à Ossun, dans les Hautes-Pyrénées. © Antonin Sabot / LeMonde.fr
De son passé de coiffeuse, cette jeune agricultrice de 28 ans ne retient qu’une vague impression d’ennui : « Je n’étais pas épanouie. Je ne faisais qu’attendre les week-end. » En 2008, elle décide de rompre son dernier CDI. Elle passe le brevet professionnel responsable d’exploitation agricole (BPREA), une formation necéssaire pour bénéficier des aides à l’installation, puis suit un stage chez un chevrier. En février 2009, elle vide son livret A (1 500 euros) pour acheter 28 chevrettes d’un mois et deux boucs, vend sa Peugeot 206 pour construire sa première salle de traite et emprunte 80 000 euros pour financer les bâtiments et la fromagerie.
Trois ans après son installation, la jeune mère de famille continue de dépendre des revenus de son mari, les 35 heures ne sont qu’un lointain souvenir et elle n’a plus ni week-end ni vacances. « Mais je suis plus libre aujourd’hui. J’ai la satisfaction de maîtriser toutes les étapes de mon projet, de la traite à la vente des fromages au marché ou sur mon site Internet« .
UN RÉSERVOIR STRATÉGIQUE
Si le nombre d’installations d’agriculteurs a chuté de moitié au cours des quinze dernières années (voir graphique), la part des « hors cadre familial » n’a, elle, cessé de progresser. Ces nouveaux paysans représentent aujourd’hui le quart des quelque 10 000 installations annuelles de jeunes agriculteurs, dont ils constituent un réservoir stratégique.
La chute de la natalité et l’absence de vocations dans les familles paysannes ne permettent plus de freiner le déclin de la population agricole : en Midi-Pyrénées, 60 % des exploitations sont dirigées par des agriculteurs de plus de 60 ans, parmi lesquels seuls 32 % ont un successeur. « Même si tous les enfants d’agriculteurs s’installaient, il n’y en aurait pas assez pour reprendre toutes les exploitations », résume-t-on à la chambre régionale d’agriculture.
Evolution du nombre d’installations aidées en midi-Pyrénées de 1991 à 2011
Seuls deux départs en retraite sur trois sont aujourd’hui compensés par de nouvelles installations. Les exploitations sans repreneur partent à l' »agrandissement », rachetées par de plus grandes, et participent à l’uniformisation des campagnes et de la production. Entre 2000 et 2010, 26 % des exploitations ont ainsi disparu du paysage français. C’est ce qui a failli arriver l’an dernier à la parcelle de Jacques Balesta, 77 ans, qui s’apprêtait à partir en retraite sans repreneur après des années de recherche infructueuse.
C’est finalement un agent immobilier venu de la ville, Nicolas Maleigh, qui reprendra son exploitation dans les Pyrénées-Atlantiques. Le jeune homme a alors 31 ans, « le moment d’être autonome ». Il plaque son emploi et pose ses valises entre Urdos et le plateau de Lhers. Il repense entièrement l’exploitation pour se lancer dans une niche : le lait de jument et d’ânesse biologique. Il le fournit à des laboratoires de cosmétiques et vend lui-même ses gellules, réputées pour soigner les problèmes de peau, sur les marchés. Comme Angélique, Nicolas a une approche globale de son projet, qui s’est traduite par la création d’un atelier de transformation et d’un site Internet pour la vente directe. Après quelques mois d’activité, il est encore en observation, mais pense que son premier exercice sera équilibré.
Les juments de Nicolas Maleigh en estive dans les Pyrénées.
Malgré les difficultés inhérentes aux métiers de la terre, le taux d’abandon des jeunes agriculteurs, tous profils confondus, demeure raisonnable comparés à d’autres secteurs. Cinq ans après leur installation, 88 % des jeunes agriculteurs bénéficiant d’une aide ont pérennisé leur projet (le taux de réussite est cependant quatre fois moindre pour les installations non aidées, qui représentent près de 40 % des projets).
UNE « VISION INNOVANTE » DE L’AGRICULTURE
Dans une étude de juin 2011 sur la diversité du monde agricole, le ministère de l’agriculture s’est intéressé aux singularités de cette nouvelle population, qui pourrait constituer 30 % des agriculteurs en 2020. « De par leur passé, les hors cadre familial font plus que véhiculer des visions innovantes du monde de l’agriculture : ils le transforment de l’intérieur, constate le rapport. Ils s’établissent sur des surfaces moyennes plus petites, s’orientent vers des niches de production, comme l’agriculture biologique, et assurent souvent eux-mêmes la transformation et la vente directe. »
Christophe Masson à côté d’un de ses bœufs mirandais dans son exploitation à Beaumarchés, dans le Gers. © Antonin Sabot / LeMonde.fr
A la différence des repreneurs d’exploitations conventionnelles, héritiers de décennies d’agriculture intensive, ces nouveaux paysans sont souvent porteurs d’une vision très personnelle de leur nouveau métier. Passés par la ville, ils ont été consommateurs avant d’être producteurs. De son expérience citadine, Christophe Masson, technicien des hôpitaux militaires pendant dix ans à Toulon, a ainsi gardé une profonde aversion pour la malbouffe et une approche « environnementaliste » du travail de la terre.
A 38 ans, ce citadin a décidé de s’installer sur les terres de son grand-père maternel, celles où il passait ses week-end enfant, dans le Gers. « On a repris un désert agricole », résume-t-il. Le jeune homme se lance dans l’élevage de races locales (vaches mirandaises, porcs noirs de Bigorre, oies de Toulouse, poules noires de Gascogne…) menacées de disparition par le développement de l’agriculture intensive. A travers une approche agro-écologique, il recrée l’écosystème de son grand-père, mais se défend de toute tentation passéiste.
Membre du réseau « slow food« , il incarne une vision de l’agriculture à taille humaine, centrée sur la qualité de la viande, le bien-être animal et la préservation de l’environnement. Ses 25 vaches paissent sur pas moins de 50 hectares de prairie, une anomalie dans le paysage gersois, qui fut un des premiers à moderniser son agriculture. « Quand on est passé par la ville et qu’on voit la merde qu’on y mange, on ne peut pas avoir envie de la produire », résume-t-il.
(1) Selon les premiers résultats d’une étude sur les installations « hors cadre familial » à paraître cette année, un « hors cadre » sur deux n’a aucun lien avec le monde agricole, « ni parents, ni grand-parents, ni oncles ». Leur nombre serait par ailleurs en hausse depuis quelques années. Cette étude est pilotée par le syndicat des Jeunes agriculteurs, la Chambre d’agriculture et le Réseau rural français.
par Soren Seelow
http://crise.blog.lemonde.fr/2013/02/22/paysans-des-villes-la-tentation-du-retour-a-la-terre/