VIVANT – LA JUSTICE PENCHE POUR MONSANTO, QUI A ATTAQUÉ UN AGRICULTEUR POUR VIOLATION DE BREVETS
C’est un fermier aux cheveux blancs de 75 ans. Il cultive du soja, du maïs et du blé dans l’Indiana, dans le Midwest américain, sur près de 120 hectares. Il dit qu’il « n’est même pas assez gros pour recevoir le nom d’agriculteur », relate le New York Times. Depuis 2007, il est poursuivi par Monsanto pour avoir cultivé des graines issues de la technologie de la firme, sans les lui avoir achetées directement.
Mardi 19 février, son affaire est passée devant la Cour suprême, à Washington. Les juges ont laissé entendre qu’ils penchaient pour les arguments de Monsanto, qui réclame plus de 84 000 dollars au fermier. Lui a déjà déboursé 31 000 dollars de frais de justice, sans compter le temps qu’il a passé à faire des recherches sur l’ordinateur de la bibliothèque, faute d’en posséder un.
Tout commence en 1999, quand Vernon Hugh Bowman achète des semences de soja de seconde génération (issue d’une récolte, et non achetées directement à Monsanto) dans un silo à grains, pour faire des économies. Il les utilise pour une culture intermédiaire, avant de conserver les graines issues de cette récolte.
Pour l’agriculteur, il ne viole donc pas la clause qui le lie à Monsanto, et lui interdit de conserver et replanter les graines issues d’une récolte qui est elle-même directement issue des semences achetées à la firme. Ce contrat l’oblige à mettre la main à la poche pour acheter de nouvelles graines chaque année – ce qu’il continue à faire pour sa récolte principale.
Les semences en question contiennent un gène de Roundup Ready, qui rend les plants résistants au Roundup, un herbicide qui, aspergé sur les champs, peut donc tuer à loisir toutes les autres plantes en épargnant le soja. D’après le New York Times, ces semences pèsent désormais pour 90 % des cultures de soja aux Etats-Unis.
Pas étonnant, donc, qu’elles se retrouvent dans le silo à grain où M. Bowman achète ses graines. Sauf que Monsanto, qui « a la réputation de protéger vigoureusement sa propriété intellectuelle », comme l’écrit le New York Times, s’est aperçu que le fermier avait une production supérieure à celle que les semences achetées pouvaient générer.
Il faut dire que la firme envoie des inspecteurs vérifier leurs produits dans les champs, et a obtenu de fermiers américains plus de 23 millions de dollars de dommages et intérêts en 2012, dans 142 procès pour violation de brevet.
Lire l’éclairage : « La guérilla judiciaire des géants des semences contre les fermiers américains »
Dans ce procès, le gouvernement américain est venu défendre Monsanto. La firme peut aussi s’assurer du soutien d’universités, de laboratoires, de l’Association américaine du soja, ou encore de BSA-The Software Alliance, qui représente des sociétés comme Apple et Microsoft, craignant, elles, pour le piratage de leurs logiciels, d’après le New York Times. C’est dire si les forces sont équilibrées. Et si les enjeux du procès dépassent largement le cas particulier de Vernon Hugh Bowman.
Au point que Monsanto a créé un site, L’Innovation en jeu, sur sa bataille contre le fermier de l’Indiana. L’enjeu, donc, étant de « savoir si les brevets sur les semences, ou sur toute chose qui peut se répliquer, s’étendent au-delà de la première génération du produit », explique le quotidien américain. C’est donc la loi sur le brevet dans toute sa complexité qui déterminera l’issue de ce procès, avec des applications dans les domaines des biotechnologies, mais aussi de la médecine, de l’informatique, des sciences de l’environnement, etc..
Pour Monsanto, une victoire de M. Bowman « dévasterait l’innovation en biotechnologies ». « Il est peu probable que les investisseurs réalisent de tels investissements s’ils ne peuvent empêcher les acquéreurs d’organismes vivants contenant leurs inventions de les utiliser pour en produire des copies illimitées », argumente la firme. Qui reproche donc à M. Bowman d’en avoir produit « des copies », en ayant fait pousser les graines achetées dans le silo. Sauf qu’en matière de plantes, on peut difficilement parler de « copie », car derrière ce terme repose tout simplement le principe de la reproduction du vivant.
Les critiques des biotechnologies pensent de leur côté qu’une victoire de M. Bowman affaiblirait la mainmise de Monsanto et des autres firmes agrochimiques sur les agriculteurs. Mainmise qui a eu pour conséquence la hausse des prix des semences et la disparition des variétés à haut rendement non créées génétiquement, rapporte le NYT. L’avocat de M. Bowman assure aussi que son client est dans « une situation désespérée », quand la défaite de Monsanto ne déstabiliserait pas outre-mesure ses affaires mondiales.