LA MISE À MORT DE LA CAMPAGNE
Par Patrick Mignard
Pour les générations nées au milieu du 20ème siècle – sans parler de celles qui les ont précédées – la campagne est méconnaissable au regard de celle qu’ils ont connue. La campagne est un milieu vivant, indépendant de l’homme, avec ses équilibres fragiles, ses lois… Toutes les espèces vivantes se sont adaptées à la nature, et ont disparu en cas de non adaptation. L’homme lui fait exception, après un temps d’adaptation, il a inversé le rapport et a adapté la nature à ses besoins, ses lois, ses goûts, ses intérêts, ses fantasmes…
L’AGRICULTURE À L’ÉPREUVE DU PROGRÈS
Les choses changent radicalement et relativement rapidement à partir de la fin du 18ème siècle, date à laquelle les découvertes scientifiques permettent peu à peu de développer les technologies et de, non seulement maîtriser les éléments naturels, mais d’en fabriquer de nouveaux. L’industrie qui prend alors une place prépondérante dans l’activité humaine, va peu à peu marginaliser l’activité agricole.
DE L’AGRICULTURE À L’AGROALIMENTAIRE
Les exploitations agricoles vont disparaître à un rythme toujours plus accéléré, les remembrements vont rationaliser l’utilisation de l’espace rural, les remodelages des paysages et l’utilisation massive des engrais et des pesticides vont rentabiliser la terre. Rentabilité, standardisation, normalisation deviennent le credo de la nouvelle agriculture. Tout est sacrifié à ce nouvel impératif. Les bons prétextes ne manquent pas pour justifier une telle évolution, et en particulier celui, utilisé après la 2ème guerre mondiale, de la « crainte de la pénurie » qui aboutira quelques années plus tard à la situation absurde des surplus alimentaires, de la baisse de la qualité et des catastrophes sanitaires (veau aux hormones, poulet à la dioxine, pesticides dans les fruits, « vache folle »… pour ne citer que les plus célèbres).
Toute cette évolution est en fait l’objectif d’une véritable politique tendant – et réussissant – à faire entrer l’agriculture dans le monde du capital. L’objectif est moins de nourrir que de faire de l’argent avec la nourriture. Les normes de production qui s’appliquent ainsi à l’agriculture ont pour objectif de favoriser les grandes concentrations – comme dans l’industrie – et d’éliminer les petits producteurs. Bien sûr ceci n’est jamais avoué, mais fait au nom d’une soi-disant « efficacité » et « sécurité alimentaire »… Alors qu’il est prouvé que l’insécurité alimentaire vient, non pas de l’agriculture traditionnelle mais de l’agriculture industrielle. Produits normalisés, standardisés, aseptisés, recomposés, issus de processus de fabrication dominés par l’industrie chimique et pharmaceutique constituent aujourd’hui ce que l’on appelle l’agro alimentaire. Des produits conditionnés, déshydratés, bourrés de colorants et de conservateurs, pour certains congelés, livrés à la grande distribution pour des consommateurs pressés, sous informés, conditionnés par la publicité.
UNE CAMPAGNE RECOMPOSÉE ET EN DÉCOMPOSITION
C’est probablement en matière d’élevage que les dérives sont les plus graves. Les élevages en batteries, hors sol, avec nourriture industrielle et traitements pharmaceutiques sont devenus la règle… entraînant une baisse considérable de la qualité et des conséquences dramatiques sur l’environnement et la santé. La pollution de l’environnement par les OGM, des sols par les engrais et l’épandage d’insecticides et fongicides complètent le tableau. Les États sont complices de ces dérives, et en sont même les organisateurs, au nom du système marchand dont ils sont les garants. Si l’aspect quantitatif de la production y trouve son compte, il n’en est pas de même de la dimension qualitative. Les scandales et affaires sanitaires qui constellent l’histoire de l’industrie agroalimentaire depuis un demi siècle en donnent une parfaite illustration.
La différence considérable entre le prix/coûts de production et les prix de marché, le rôle parasite des intermédiaires, les politiques inégalitaires de subvention ont fait de notre système d’alimentation une jungle où règne l’inégalité et les incertitudes pour l’avenir. Sans réaction, ce système nous conduit à la catastrophe écologique, économique, sanitaire et sociale.