Etats-Unis-Chine, la nouvelle guerre du Pacifique
D’ici à 2020, les États-Unis devraient redéployer 60 % de leurs forces navales dans la région. Une stratégie d’endiguement de laChine tant militaire qu’économique dans une zone qui recèle des richesses en pêche et en hydrocarbures.
L’amendement est passé inaperçu. Le 29 novembre, dans le cadre de l’examen du budget de la défense, le Sénat américain votait à l’unanimité un soutien au Japon en pleine crise diplomatique entre Pékin et Tokyo autour des îles Senkaku-Diaoyu, en mer de Chine méridionale. Selon le texte, Washington exprime sa « reconnaissance de l’administration japonaise sur les îles » nationalisées courant septembre par Tokyo. En prenant clairement parti, les États-Unis dévoilent une partie de leurs ambitions dans le Pacifique, qui dépassent la simple question de ces huit îles dont la superficie n’excède pas 7 km2.
La zone concernée s’étend en fait sur 3,5 millions de km2, de Taïwan à Singapour, et constitue une considérable réserve de pêche, d’hydrocarbures – entre 20 et 200 millions de barils de pétrole quand les réserves saoudiennes sont estimées à 260 millions de barils – et une voie maritime essentielle pour deux tiers des importations chinoises. Toute la zone, théâtre régulier d’incidents, fait l’objet d’un contentieux territorial entre la deuxième puissance mondiale, le Vietnam, Brunei, la Malaisie, les Philippines et Taïwan.
60% des forces navales
C’est précisément en cet endroit du globe que les États-Unis ont choisi de redéployer 60 % de leurs forces navales d’ici à 2020; l’armée américaine est d’ores et déjà la première puissance militaire en Asie-Pacifique. Les conflits locaux autour des zones maritimes permettent à Washington de trouver de nouveaux points d’ancrage, notamment dans le détroit de Malacca, qui sert de voie d’acheminement du pétrole du Moyen-Orient vers l’Asie. Dévoilée en janvier dernier, cette politique de redéploiement permet également de garder un œil vigilant sur la Corée du Nord. Ce mois-ci, les États-Unis et le Japon devraient pousser plus avant la coopération en renégociant les accords de défense qui les lient.
Porte-avions US contre marine chinoise
La «Look East Policy» du président Obama, traduction politique du recentrage stratégique vers l’Asie, là où « sera écrite une grande partie de l’histoire du XXIe siècle », à en croire Richard N. Haass, président du Council on Foreign Relations, prend appui sur les alliés traditionnels que sont le Japon, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, l’Australie ou la Corée du Sud afin de faire contrepoids à la montée en puissance de la marine chinoise. En novembre, le dernier congrès du Parti communiste chinois s’est ainsi fixé comme objectif de développer sa flotte de porte-avions et sa capacité de production d’armes. Hu Wenming, président de groupe de construction de bâtiments aéronavals, a indiqué que son pays était fin prêt à construire un plus grand nombre de « bases aériennes en mer ».
Le but reste de « maintenir son influence dans les eaux côtières et les détroits, qui sont contrôlés actuellement par la flotte américaine. Les États-Unis ont misé sur le renforcement de leur présence dans la région du Pacifique, l’argumentant par la garantie de la sécurité dans cette région. Les porte-avions chinois sont une réponse à ces projets américains », précise le major-général Vladimir Dvorkine. De nouveaux projets militaires pourraient voir le jour lors de la prochaine session de l’Assemblée populaire nationale, au printemps prochain.
Guerre commerciale
En difficulté, l’économie américaine trouve également dans la région Asie-Pacifique d’importants débouchés, comme le note encore Richard N. Haass : « Compte tenu de la taille de ses populations et de ses économies à forte croissance, il est difficile d’exagérer son importance économique. Les entreprises américaines exportent chaque année pour plus de 300 milliards de dollars de biens et services vers les pays de la région. En même temps, les pays asiatiques sont les récipiendaires d’investissements cruciaux pour l’économie américaine. (…) Le maintien de la stabilité régionale est donc essentiel à la prospérité économique américaine. » Afin de stimuler le commerce américain dans la région, les États-Unis ont été à l’initiative d’un traité multilatéral instaurant la première zone de libre-échange globale entre les pays de la zone Asie-Pacifique, représentant 35 % du PIB mondial (contre 26 % pour l’Union européenne).
Ce partenariat transpacifique, qui exclut Pékin, vise clairement à contrer l’accord commercial élaboré par la Chine qui intégrerait le Japon et la Corée du Sud. « L’ascension de la Chine n’a pas seulement remodelé les villes et les économies asiatiques: elle a redessiné la carte géostratégique. Pour ne citer qu’un exemple, la moitié des tonnages marchands passe désormais par la mer de Chine méridionale », déplorait William J. Burns, le secrétaire d’État adjoint, en novembre 2011. De fait, Pékin a permis aux pays asiatiques d’échapper partiellement à la crise en important massivement le fruit de leur production. Si la domination chinoise irrite dans la région, elle est également incontournable et aucun pays ne tient réellement à se mettre l’empire du Milieu à dos.
Derrière cette logique de blocs économiques concurrents, la guerre yuan-dollar apparaît en creux. Depuis juin, la Chine et le Japon effectuent leurs échanges commerciaux avec leur monnaie respective sans passer par le roi dollar. « Si la deuxième et la troisième économie mondiale s’entendent sur la question de la monnaie, le reste de l’Asie sera obligé de suivre. Ce qui est forcément pour déplaire aux États-Unis », explique l’économiste Ding Yifan, de l’Institute of World Development de Pékin. « Rappelons qu’en 2010, le laboratoire d’idées Rand Corporation publiait un rapport dans lequel il expliquait que le meilleur moyen de contenir l’expansion de la Chine était de provoquer des frictions dans son voisinage et de passer des alliances avec les pays de la zone. Pourtant, aujourd’hui, ni le Japon ni la Chine ne souhaitent que la situation ne dégénère autour de la question des îles Diaoyu. Les enjeux économiques sont trop importants. »
source:http://www.humanite.fr/culture/511766