Mes cheveux contre un repas de Noël

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A l’approche des fêtes de fin d’année, de plus en plus de femmes se séparent de leurs cheveux qui vont alimenter un marché en pleine expansion.

A quelques jours de Noël, une femme marche d’un air résigné dans une grande avenue de Sofia. Elle s’appelle Tatiana et serre avec amour dans les poches de son manteau deux nattes, la sienne et celle de sa fille. Un peu plus tard Tatiana, qui est née en Russie, rencontre Ivan qui, lui, est originaire d’Ukraine. Le destin les a réunis dans un petit salon de coiffure du quartier dortoir de Mladost (« jeunesse ») pour effectuer cette transaction inhabituelle. Ivan l’Ukrainien achète des cheveux bulgares en gros ; avec deux compères, natifs comme lui de Mykolaïv [sur la mer Noire], il écume les villes et paie comptant pour des nattes coupées. « Bonjour, j’ai ça pour vous », lui dit d’une voix tremblante Tatiana. Ivan s’empare du sachet en plastique qui renferme la natte. D’un geste expert, il brosse les cheveux, sort son centimètre avant de poser l’objet sur la balance. « 17 leva » (8,50 euros), tranche-t-il. Tatiana accuse le coup. Elle espérait en tirer un peu plus. « J’avais dix-sept ans lorsque je me suis séparée de cette natte, confie Tatiana. Je voulais la garder comme souvenir des plus belles années de ma vie. Je vivais alors dans les environs de Moscou et mes parents étaient vivants. J’avais beaucoup d’amis … Cette natte est témoin de tant de bonheur », poursuit-elle.

Malgré le prix bas, elle accepte la transaction. Elle plonge aussi avec espoir sa main dans l’autre poche et sort un autre sachet. Il renferme la natte de sa fille, plus grande et blonde. Vaut-elle davantage ? Ivan secoue la tête. Il y a trop de noeuds dans les cheveux, il ne la prendra pas. « 17 leva, ça va quand même améliorer l’ordinaire pour Noël », soupire Tatiana en sortant de la boutique. Retraitée depuis un an, elle a vécu quarante ans en Bulgarie, où elle a travaillé presque toute sa vie dans une compagnie d’Etat.

« En une dizaine de jours, j’ai fait le tour des grandes villes bulgares, raconte Ivan. A Roussé [dans le nord du pays, sur le Danube], on a fait les meilleures affaires : presque deux kilos de cheveux ! Le pire, c’était à Vratsa [nord-ouest]. Là, on avait des dizaines de personnes qui voulaient vendre leurs cheveux, mais ils étaient trop courts. Ils se coupaient les cheveux et venaient me demander deux léva en échange. Mais qu’est-ce que je vais faire de ces cheveux trop courts ? » C’est la troisième fois qu’Ivan vient en Bulgarie ; la plupart de ses clients sont des femmes qui viennent lui proposer leur natte de jeunesse. Mais certaines se font couper les cheveux pour l’occasion. Toutes veulent gagner quelques sous de plus à l’approche des fêtes de fin d’année.

Ivan offre 150 leva pour un kilo de cheveux à condition qu’ils dépassent les 35 cm. Une chevelure de plus de 50 cm peut atteindre les 350 leva le kilo. Le visage illuminé par un sourire, Maria Stavreva sort du salon de coiffure. Elle vient de vendre la natte de sa petite-fille pour 35 leva. » Je l’aimais bien, mais ma petite fille est déjà grande, témoigne-t-elle. Et sa natte moisissait dans la garde-robe, alors que là elle va nous permettre d’acheter quelque chose pour les fêtes. » La séparation a été beaucoup plus dure pour Nadejda, une infirmière de 58 ans. Cette femme a longuement hésité avant de franchir le pas de la boutique d’Ivan. D’une main mal assurée, elle a sorti la natte qu’elle portait jusqu’à ses trente ans. « Il y a tellement de joie, tellement de souvenirs dans ces cheveux… Mais avec les couleurs d’aujourd’hui, je pourrais me refaire une telle coiffure, sans la longueur s’entend ! » tente-t-elle de plaisanter. En échange, elle reçoit 22 leva qu’elle range conscienscieusement dans le sachet en plastique qui abritait jusqu’alors sa natte châtain.

Tous ces cheveux prendront le chemin des pays riches, où cette marchandise pas comme les autres est de plus en recherchée pour la fabrication de perruques et les extensions capillaires. Selon les spécialistes, les cheveux bruns (surtout en provenance d’Inde et de Chine) abondent sur le marché, mais les blonds et les autres couleurs claires sont relativement rares. Or ce sont les plus recherchés parce qu’ils permettent d’être teints aux couleurs naturelles des clientes. Le plus grand marché est les Etats-Unis où des dizaines de milliers de salons de coiffure se sont lancés dans l’extension des cheveux. Selon la compagnie italienne Great Leghths, principal importateur dans le pays, il s’agit d’un marché de 250 millions de dollars annuels. Une autre compagnie italienne, Belli Capelli, achète tous les ans des cheveux en Russie pour 16 millions de dollars.

Le marché de cheveux n’est pas nouveau et il suit les évolutions économiques de l’Occident depuis les années 1960. Mais les femmes blondes désireuses de vendre leurs cheveux deviennent de plus en plus rares, y compris dans les pays de l’Est , jadis considérés comme un eldorado pour les acheteurs en gros. Ivan raconte par exemple que chez lui, en Ukraine, il devient de plus en plus difficile de s’approvisionner en cheveux blonds et longs. D’où ses fréquents séjours en Bulgarie et en Roumanie. « Nous avons aussi des intermédiaires locaux, essentiellement des Roms de Sliven (dans le centre de la Bulgarie), mais les cheveux qu’ils nous proposent sont le plus souvent très sombres, et cela ne nous intéresse pas. Pour lui, la perle rare, ce serait de longs cheveux blancs, qu’il s’engage à racheter « à prix d’or ».

Source : http://www.courrierinternational.com/article/2011/12/16/mes-cheveux-contre-un-repas-de-noel via http://au-bout-de-la-route.blogspot.fr/2011/12/cheveux-contre-repas-de-noel.html#more

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