Le coût environnemental et social des tablettes électroniques et smartphones

La dématérialisation[1] est souvent présentée comme la solution à la déforestation, à la destruction des milieux, etc. parce qu’elle permet de remplacer le support papier par des supports numériques. Pourtant, ces supports numériques sont eux bien matériels, et leur fabrication entraîne souvent l’abattage d’arbres ou la dégradation des écosystèmes sur les lieux d’exploitation des matières premières. Il apparaît donc comme légitime de s’interroger sur l’empreinte écologique du high-tech, ses modes de production et la manière dont on le consomme.

L’exploitation d’étain à Bangka : une activité désastreuse pour l’homme et l’environnement

L’ONG de défense de l’environnement Les Amis de la Terre a enquêté durant plusieurs mois sur l’île de Bangka en Indonésie où se trouvent des exploitations de mines d’étain. Elle a publié en novembre 2012 un rapport intitulé « Mining for smartphones : le véritable coût de l’étain ». L’association condamne les pressions croissantes qui s’exercent sur les ressources mondiales de métaux, notamment celles d’étain, matériau qui entre dans la composition de nombreux produits high-tech et notamment des smartphones[2].

L’exploitation des mines à Bangka a causé des dégâts environnementaux importants : 65% des forêts et plus de 70% des récifs coralliens auraient été affectés, selon Pie Ginting, directeur de campagne des Amis de la Terre Indonésie, et l’accès à l’eau potable est devenu problématique sur l’île, à cause de la contamination des rivières par les déchets miniers.

Les Amis de la Terre se mobilisent donc pour que les grandes entreprises assurent une production responsable à tous les niveaux de la chaîne, et ne s’appuient pas sur des exploitations dangereuses pour les populations locales. L’ONG demande à l’Union Européenne que des réglementations soient mises en place pour obliger les entreprises à rendre publique la liste des ressources qu’elles utilisent pour la fabrication de leurs produits, ainsi que les impacts environnementaux et sociaux qui y sont associés.

Multiplication des produits high-tech et raccourcissement de leur durée de vie : une mauvaise configuration pour l’avenir

L’exemple de Bangka interroge l’utilité de ces technologies, considérant leurs impacts environnementaux. Chaque mois de nouveaux équipements électroniques sortent sur le marché, s’ajoutant à la gamme des traditionnels télévisions et téléphones : tablettes, smartphones, écrans plats, cadres numériques… La miniaturisation exige des matériaux rares (coltan, lithium, étain…) dont l’exploitation entraîne déforestation, destruction, massacre d’animaux et pollution durable d’écosystèmes.

À cela s’ajoute le problème de l’obsolescence dite « programmée » des objets : rarement réparés – parce que c’est impossible (batterie soudée, etc.), trop complexe ou parce que ça ne vaut pas le coup économiquement – ils sont généralement délaissés au profit de nouveaux produits prétendument plus performants. Or, la filière recyclage du high-tech n’est pour ainsi dire pas au point. Ces modes de production et de consommation génèrent donc un gaspillage de ressources, une quantité importante de déchets qui ne sont ni valorisés ni réutilisés, et une augmentation des pressions sur les ressources rares alors qu’il s’est vendu en 2011, 93 millions de smartphones pour Samsung et 95 millions pour Apple.

Heureusement, des alternatives existent pour ne pas encourager la logique consumériste, un luxe que nous ne pouvons aujourd’hui plus nous permettre. En matière de produits high-tech, la sobriété devrait être privilégiée, dans la mesure où la fabrication de ces produits entraîne des dégâts critiques. Il est toutefois difficile pour le consommateur de faire les bons choix : en témoigne la sortie de l’i-Phone 5, dont le chargeur est incompatible avec tous les produits Apple précédents. Malgré tout, la réparation (lorsqu’elle est possible), le don et la revente permettent de donner une seconde vie à nos objets et ainsi de réduire notre empreinte écologique. Sans oublier de nous interroger sur la pertinence de l’acte d’achat : en avons-nous vraiment besoin ?

Même les écoles s’équipent de tablettes numériques

Le développement rapide et massif des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) a radicalement modifié nos sociétés. Le quotidien ne cesse de changer au gré des nouveaux produits qui font leur apparition sur le marché. Le bouleversement introduit par la démocratisation d’Internet en est la preuve évidente. La société évolue donc avec ses technologies, et après les entreprises, les industries, les médecins, l’administration, etc. ce sont les écoles qui se dotent de matériel dernier cri.

Ainsi, le monde de l’éducation a longtemps été agité par la question du bienfondé de l’évolution de l’école vers le numérique. Dernier débat en date, celui d’équiper chaque élève d’un iPad (tiens, tiens…) pour faciliter l’apprentissage. Selon son fabriquant, Apple, qui a organisé en janvier dernier une conférence intitulée « Reinventing Textbooks[3] », des manuels interactifs (avec photo, vidéo, audio…) permettraient une meilleure pédagogie et donc une meilleure qualité d’enseignement. Plusieurs études menées sur l’efficacité des tablettes seraient arrivées à la conclusion que les enfants apprennent mieux sur les supports numériques, car ils offrent un enseignement plus personnalisé.

Pourtant, nombreux sont les enseignants ou les parents d’élèves qui s’interrogent sur l’utilité des tablettes à l’école. Pourquoi démocratiser un équipement individuel aussi coûteux alors que les suppressions de poste se sont multipliées ces dernières années, surchargeant les classes et privant beaucoup d’élèves d’un suivi pédagogique adéquat ? L’iPad est initialement conçu avec beaucoup de fonctions récréatives qui pourraient distraire l’élève si elles ne sont pas bloquées. La tablette est-elle un gadget ou un véritable support pédagogique ? L’équipement en iPad est-il le résultat d’un lobbying bien organisé ou une opportunité pour l’éducation ? L’utilisation prolongée de tablettes à des fins d’apprentissage induit des risques pour la vue des élèves, bien que ce point fasse débat chez les ophtalmologistes. Il demeure que les enfants et adolescents d’aujourd’hui sont en permanence sur-connectés et sur-stimulés par des informations venant de toutes parts (Internet, télévision, téléphone portable et maintenant tablettes). Il est donc légitime de s’interroger sur la nécessité d’introduire un nouvel écran à l’école.

Enfin, d’un point de vue économique, l’enseignement numérique reste pour l’heure bien plus cher que l’enseignement « classique », puisqu’une tablette coûte environ 500 euros. Le glissement de l’école vers le numérique comporte donc le risque d’une éducation à deux vitesses, entre ceux qui pourraient se payer une tablette et ceux qui ne pourraient pas. Qui plus est, les produits sont obsolètes au bout de seulement quelques années : comment l’école pourra-t-elle assumer de tels coûts économiques, mais aussi environnementaux, alors qu’elle est censée éduquer les enfants au respect de l’environnement ? Se pose également la question de la formation des enseignants, indispensable pour assurer une utilisation optimale des nouvelles technologies.

De plus, les établissements scolaires se dotent de plus en plus de Tableaux Numériques Interactifs (TNI) et les enfants de boîtiers électroniques pour remplacer une simple ardoise : est-il vraiment nécessaire d’y rajouter des iPad, que beaucoup pourraient bien se voir offrir à Noël, et probablement pas dans une optique pédagogique ? Le risque de doublon et de confusion sur le rôle de la tablette est à prendre en compte.

Notes

  1. La dématérialisation est la transformation de supports d’informations matériels (souvent des documents papier) en fichiers informatiques.
  2. Téléphone mobile disposant aussi des fonctions d’un assistant numérique personnel. Il est doté d’un écran tactile et/ou d’un clavier azerty, et permet notamment de naviguer sur Internet, de consulter son courrier électronique, etc.
  3. Littéralement, réinventer les manuels scolaires.

Sources

Commentaires sont clos