Salaires : qui a gagné, qui a perdu depuis 2000
Un rapport révèle ce qui a changé sur les fiches de paies de la planète depuis 2000. Et s’inquiète de plusieurs évolutions dangereuses.
Les salariés du monde entier récoltent moins les fruits de leur travail et les travailleurs chinois ont rattrapé une partie de leur retard sur le reste du monde. Voilà le bilan d’une décennie d’évolution salariale, selon un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) publié ce vendredi et qui détaille combien ces évolutions changent la face du monde.
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Chine : la fin de l’usine du monde ?
En Chine, les salaires ont plus que triplé depuis le début des années 2000. Dans les grandes villes, la rémunération augmente à des taux annuels à deux chiffres. Dans le même temps, « les salaires moyens mensuels réels ont enregistré une croissance d’à peine un quart » au niveau mondial, et de seulement 5% dans les économies développées.
Les bas salaires, qui ont contribué à faire de la Chine l’« usine du monde » à la fin du siècle dernier, appartiennent peut-être au passé. Interrogé par Terra eco en novembre 2011, l’économiste Elias Mouhoub Mouhoud anticipait même que dans « six à dix ans le différentiel de salaire entre l’Europe et les zones côtières chinoises sera comblé ». Un changement d’ère économique, que l’économiste appelle la « post-mondialisation ».
Délocalisations internes
Toutefois, de nombreux pays en développement n’ont pas connu de telles hausses, notamment les autres pays asiatiques – en dehors de la Chine – comme le montre ce graphique :
Et, malgré les rattrapages, les écarts de salaires restent encore considérables à l’échelle de la planète. Ainsi un travailleur du secteur manufacturier gagne, primes comprises, 1,40 dollar (1,10 euro) de l’heure aux Philippines, contre 5,40 dollars (4,20 euros) au Brésil, 13 dollars (10 euros) en Grèce et 23 dollars (18 euros) aux Etats-Unis. On assiste d’ailleurs à des délocalisations de la Chine vers les Philippines, et même de la Chine côtière vers la Chine intérieure, où les salairesn’ont pas connu de telles augmentations.
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Le travail, de moins en moins bien rémunéré
Jusque dans les années 1990, un accord tacite voulait que les fruits de l’augmentation de la productivité bénéficient à part égale aux revenus du travail et aux revenus du capital. En clair, que salariés et actionnaires se partagent l’augmentation du gâteau. Un graphique publié par l’OIT montre une rupture brutale de cette répartition. La zone bleue représente tout simplement la part du gâteau perdue par les salariés :
Entre 1999 et 2011, l’augmentation de la productivité du travail moyenne dans les économies développées a été plus de deux fois supérieure à celle des salaires moyens. Cette tendance est particulièrement visible en Allemagne, où la productivité du travail a augmenté de presque un quart sur les deux décennies écoulées tandis que les salaires mensuels réels n’ont pas bougé.« Même en Chine, pays où les salaires ont approximativement triplé durant la décennie écoulée, le PIB a augmenté plus rapidement que la masse salariale totale – et la part du travail a donc baissé », note le rapport.
La faute aux dividendes
Le manque à gagner a entièrement été subi par les travailleurs non qualifiés. Le rapport s’appuie sur une étude de l’Institut international d’études sociales (IIES), menée dans dix pays avancés, qui a constaté que, dans les entreprises, la part dédiée aux salaires a baissé de 12% pour les travailleurs peu qualifiés entre 1980 et 2005, alors qu’elle a augmenté de 7 points pour les travailleurs qualifiés.
Cette évolution est principalement due à la hausse de la rémunération du capital, en particulier via les dividendes. Ainsi, les bénéfices des entreprises autres que financières dans les dix pays étudiés par l’IIES ont été de plus en plus consacrés à la rémunération des dividendes, qui représentait 35% des bénéfices en 2007. En France, le total des dividendes est passé de 4% de la masse salariale totale au début des années 1980 à 13% en 2008.
L’économie en pâtit
Cette nouvelle répartition de la valeur ajoutée a de très nombreuses conséquences. Elle a d’abord« une incidence sur ce que les gens considèrent comme équitable », note pudiquement le rapport. En effet, les rémunérations des 10% des salariés les plus riches ont augmenté sans commune mesure avec celles du reste de la population. Tout en bas de l’échelle, les pays en développement comptent « plusieurs millions de salariés qui gagnent moins de 2 dollars (1,50 euro) par jour », et l’on trouve 7% de travailleurs pauvres aux Etats-Unis et 8% en Europe.
Par ailleurs, cette nouvelle répartition réduit forcément le pouvoir d’achat des ménages, ce qui nuit à l’économie alerte le rapport. « La recherche à tout prix d’un avantage fondé sur les coûts de main-d’œuvre pour devenir économiquement compétitif a toutes les chances de décourager l’innovation et la modernisation économiques qui ont constitué des éléments clés de la dynamique de l’économie de marché », s’inquiète même l’OIT. Qui avance plusieurs solutions pour « rééquilibrer » la donne, notamment renforcer les institutions servant à la fixation des salaires, réglementer davantage le secteur financier, revoir la fiscalité du capital, et mettre en œuvre une protection sociale dans les pays en développement.
source : http://www.terraeco.net/Salaires-qui-a-gagne-qui-a-perdu,47273.html