Le fichage de huit millions d’enfants britanniques
On ne dira jamais assez à quel point Orwell fut visionnaire dans sa dénonciation du totalitarisme latent dans un pays qui avait en horreur les cartes nationales d’identité et où les bobbies déambulaient dans les rues sans arme. Il y a près de soixante-cinq ans, il instruisit le procès du stalinisme et du nazisme avec 1984, mais il prit bien soin de situer l’action en Angleterre, pays appartenant à un continent soumis à une implacable dictature.
Le capitalisme financier, c’est l’écrasement définitif des pauvres (et des moins pauvres) par les riches, dans le cadre d’un État fort, très régalien, archi-fliqué. Les caméras de vidéo, omniprésentes dans Londres (et ailleurs), n’ont pas empêché les cinquante-six morts et les sept cent blessés, victimes des poseurs de bombes islamistes en 2005. Elles n’étaient pas là pour cela. Le monde de Big Brother est un monde de conditionnement, où l’on doit prouver à tout instant que l’on est innocent, et s’interroger sur sa propre culpabilité. Un enfant fiché comprendra très vite qu’il n’est pas censé être libre.
Selon le Sunday Times (par ailleurs plutôt acquis au chien de garde du capitalisme anglais Cameron), la compagnie privée Capita (http://www.schoolsimprovement.net/warning-over-secret-capita…) vient de créer une base géante pour fliquer les enfants. Capita intervient dans 22 000 écoles au Royaume-Uni (pas en Écosse qui a un système d’éducation autonome) à qui elle fournit de l’information et classe celle que les établissements possèdent déjà. Grâce aux logiciels de Capita, les écoles ont, en temps réel, une vue très précise et très diversifiée sur les emplois du temps des élèves et des professeurs, sur l’état de leurs finances, des feuilles de paie, des carrières, de l’évaluation pédagogique, de l’avancement des projets. Et aussi sur leur adresse, leurs photos, les absences ou l’absentéisme. Ces données peuvent être conservées sans limites de temps. Apparemment, les parents n’ont pas été informés de ce progrès dans le fichage.
Et pendant ce temps-là (tout se tient), le gouvernement de Sa Majesté vient de nommer un ancien de Goldman Sachs à la tête de la Banque d’Angleterre (http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/11/26/un-ancien-…). Il parait qu’il connaît très bien le français. C’est donc un homme de grande qualité. On respire.