Ici, on ne prie plus

On ne connaît pas leur nombre. Personne, ni l’Eglise ni les institutions culturelles, n’a pensé à les recenser. Mais ils sont probablement des milliers, du nord au sud de l’Italie, ces lieux de culte déconsacrés vendus au mieux offrant. Ici on en a fait un bar, là une maison de campagne ; ici un atelier d’artiste, là un garage ; ailleurs un siège de banque, une salle de réception, une bibliothèque. Il semble y planer encore comme un parfum d’encens, comme si, la messe finie, l’esprit (saint ?) des lieux flottait entre les murs.

Signe supplémentaire de l’appauvrissement de l’Eglise et de la sécularisation d’un pays où la religion catholique fait tout pour maintenir sa part de marché ? Peut-être. Mais ce n’est pas cet aspect de la question qui a poussé le photographe milanais Andrea Di Martino, 46 ans, à planter son appareil à l’entrée de chacune de ces églises. Cadrage identique comme pour une photo d’identité : l’effet est à chaque fois saisissant et poétique, comme « la rencontre d’un parapluie et d’une machine à coudre ».

« J’ai commencé ce travail, intitulé « La messe est finie », il y a quatre ans, raconte-t-il. D’abord un peu par hasard en Lombardie, puis dans d’autres endroits d’Italie où je devais me rendre en reportage. Par la suite, mes recherches se sont faites plus systématiques. C’est devenu une idée fixe. J’ai cherché des églises déconsacrées un peu partout sur les sites des agences immobilières qui les mettent en vente. Grâce au bouche-à-oreille, on m’a fait découvrir d’autres lieux encore. Le but désormais est de couvrir tout le territoire italien pour les besoins d’un livre qui sortira en 2013. Certes, on peut faire une « lecture politique » de mon travail, y voir une illustration du déclin de l’Eglise, mais mon intérêt est d’abord architectural. » La preuve : le photographe revient de Chine, où il a travaillé sur l' »importation », aux alentours de Shanghaï, de véritables morceaux de paysages européens (une tour Eiffel, un quartier de Londres, un canal d’Amsterdam). Dépaysement assuré.

HASARD ET NÉCESSITÉ

Dans les églises, le décalage est le même. Chaque photo fonctionne comme une sorte de coq-à-l’âne. Cette Audi noire dans une abside, ce rayonnage de livres au pied d’une colonne, que font-ils là ? Et ces chaises en plastique comme dans une salle des fêtes de province ? Qui les y a mises ? Qui a conçu ces « installations » ? Personne. Simplement le hasard et la nécessité. Le destin des lieux n’est pas acquis de toute éternité, eussent-ils été, comme dans le cas des églises, construits pour s’y préparer.

La déconsécration des églises italiennes n’est pas un phénomène nouveau. La campagne de Napoléon qui se cassa le nez sur les Etats pontificaux, puis l’unité de l’Italie ont mis sur la touche de nombreux lieux de culte. Par vengeance, dans un cas, par incapacité à les entretenir dans l’autre. Transformées d’abord en casernes et en hangars, elles ressurgissent désormais dans les petites annonces. Comptez quand même plus de 1 million d’euros pour les plus belles et les mieux entretenues…

Voir le portfolio : Des lieux plus si saints…

Philippe Ridet/Photos Andrea Di Martino

source: http://www.lemonde.fr/style/article/2012/11/23/ici-on-ne-prie-plus_1794292_1575563.html