Des infirmiers à bloc: manque de personnel spécialisé en salles d’opération
Une plainte de l’Ordre national des infirmiers contre cinq hôpitaux, dont un dans le Haut-Rhin, employant en salle d’opération des agents non habilités, montre la difficulté des établissements de santé à trouver du personnel qualifié. Pourtant, à l’école régionale spécialisée de Colmar, chargée de former des infirmiers de bloc, 75 % des places restent vides.
Des brancardiers installant des patients sur la table d’opération, des secrétaires faisant office d’aides opératoires : voici certains des faits dénoncés par l’Union nationale des associations d’infirmiers de bloc opératoire (Unaibode). Sa présidente, la Colmarienne Brigitte Ludwig, figure parmi les premiers à avoir tiré la sonnette d’alarme. À la suite de signalements, l’Ordre national des infirmiers est allé jusqu’à déposer plainte contre cinq hôpitaux pour « mise en danger d’autrui » et « exercice illégal de la profession d’infirmier ».
18 mois de formation en plus pour quelques dizaines d’euros par mois
Un bloc chirurgical est un monde très particulier dans l’hôpital, pas seulement en raison des règles d’aseptie strictes qui doivent y régner. Autour du chirurgien, seuls devraient évoluer des infirmiers diplômés d’État, ou des intervenants bénéficiant d’une validation des acquis de l’expérience, exclusion faite des aides-soignants ou agents des services hospitaliers non formés. Mieux, « dans un bloc idéal », tous les personnels présents devraient avoir suivi une spécialisation pour être admis parmi les Ibode, infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État.
Problème, dans une profession déjà en tension en milieu hospitalier, les Ibode font eux-mêmes figure d’espèce rare. On en compte à peine 6 400 pour toute la France, sur un total de 515 000 infirmiers. Tous les Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) n’en forment pas. En Alsace, une seule école est habilitée à valider cette qualification précise (*). Elle est située à Colmar, en connexion avec les hospices civils, et figure parmi les plus anciennes de France : elle a été créée en 1972.
L’état de ses effectifs explique la difficulté de répondre aux besoins des hôpitaux : l’école d’Ibode de Colmar pourrait recevoir 80 élèves simultanément, en deux promotions. Or, en première année ils sont 13. En seconde 7. Soit le quart des capacités de l’école.
La longueur du cursus n’est pas étrangère à cet état de fait : 18 mois, en une ou plusieurs sessions. « La plupart de ces spécialisations se font en formation continue », explique Marie Froesch, formatrice. Et pour cause : après le diplôme infirmier acquis en trois ans, deux années d’exercice sont requises. L’effort s’avère dès lors conséquent pour des salariés souvent installés dans la vie et chargés de famille, venant aussi bien du Sundgau que de Haguenau ou de Saint-Dié. Quant à leurs employeurs, ils doivent faire une croix durant de longs mois sur des éléments souvent précieux.
En plus d’avoir réussi un concours qualifié de « sélectif », les inscrits à l’école régionale d’infirmiers en bloc opératoire ont intérêt à faire preuve d’« une motivation très forte », certains disent même héroïque, pour poursuivre une formation exigeante.
Paradoxalement, explique-t-on dans cette école décidément pas comme les autres, les vocations ne manqueraient pas : « Ce sont plutôt les établissements et les financements qui ne suivent pas ». Pour faire régulièrement le tour des blocs opératoires de la région, qui sont autant de terrains de stages, Marie Froesch est persuadée que le vivier de candidatures existe : « Des gens qui veulent acquérir une expertise en bloc opératoire, il y en a ». Avis confirmé par la présidente nationale de l’Unaibode, de retour d’un colloque à Paris : « Ce métier, avec ses responsabilités, intéresse les jeunes, ils viennent nous voir ».
La gratification en retour est bien maigre, en regard des efforts personnels à fournir. Surtout pour un travail à risques, l’erreur pouvant avoir des conséquences lourdes. La prime mensuelle pour les Ibode ne dépasse pas quelques dizaines d’euros.
Dans sa plainte, l’Ordre national des infirmiers ne vise pas forcément des personnels en soutien direct du chirurgien ou en contact avec le champ opératoire. Mais des « circulants » : cette fonction, réservée normalement à un infirmier diplômé, consiste à gérer l’environnement de l’équipe chirurgicale, qu’il s’agisse de fournir du matériel stérilisé, d’évacuer des tissus prélevés pour les transmettre aux laboratoires, etc. Un rôle un peu en retrait quoique stratégique, pour lequel certains établissements de santé son visiblement tentés de trouver des solutions à leur manière.
Il y a déjà quelques années, se souvient Brigitte Ludwig, une autorisation d’exercice avait été accordée à des personnes employées jusque-là sans qualification dans l’environnement des chirurgiens, « mais nous regrettons qu’un flou perdure ».
Il faut dire que, selon la présidente de l’Unaibode, il n’y aurait que 42 % d’Ibode dans les blocs opératoires. Et même si bien des hôpitaux seraient résolus à en accueillir davantage, les difficultés de recrutement demeureront. Plutôt que de jeter la pierre aux hôpitaux, les syndicats se tournent donc vers l’autorité publique. Comme on le souligne à l’école régionale de Colmar, on se trouve là « au bout d’une logique ». Certains dénoncent même un dysfonctionnement de l’État.
(*) L’IFSI des hôpitaux universitaires de Strasbourg forme pour sa part des infirmiers anesthésistes, qui ne sont pas concernés par cette polémique sur les intervenants en bloc chirurgical.
source: DNA