USA : les milliards de dollars de la campagne présidentielle

Avec plus de deux milliards de dollars (1,6 milliard d’euros) dépensés par les deux candidats à la présidence, et un milliard de dollars engrangés par des organisations extérieures, la campagne présidentielle de 2012 explose tous les records. Cette déferlante de billets verts suit la pente de ces dernières décennies, mais elle est aussi le résultat d’une décision très controversée de la Cour suprême des États-Unis en 2010.Elle a en effet anéanti trois décennies de modestes réformes en autorisant les entreprises, les associations et les riches Américains à contribuer de manière illimitée à des Comités d’action politique (PAC) agissant en parallèle des candidats.

Néanmoins, la plus haute instance judiciaire du pays, tout en libéralisant à l’extrême le financement des campagnes électorales, a insisté pour que l’identité des donateurs ou leur raison sociale soit rendue publique. Autrement dit, comme l’ont écrit un certain nombre de critiques de cette décision : «  Oui à la corruption, mais dans la transparence ».

Lors de la campagne électorale de 2008 par exemple, l’argent rentré dans les caisses des candidats au Congrès provenait pour 12 % seulement de donations inférieures à 200 dollars. D’où l’importance pour le fonctionnement de la démocratie de pouvoir traquer et analyser qui sont les gros contributeurs, leur statut ou leur fonction. Open Secrets, le site internet au nom évocateur du Center for responsive politics, permet d’avoir accès à un certain nombre d’informations importantes sur les donateurs des différents candidats, partis et PAC.

Sachant que les donations directes aux candidats sont plafonnées, en 2012, à 2 500 dollars par individu (et 30 800 dollars pour les donations à un parti politique), il est extrêmement intéressant de pouvoir identifier les « bundlers », ces personnes qui vont « collecter » auprès de leur famille, de leurs amis et de leurs collègues plusieurs fois 2 500 dollars. Les données recueillies par la Federal election commission (FEC), l’organisme gouvernemental chargé de surveiller le financement des campagnes, autorisent cela.

Le Center for responsive politics et d’autres associations mettent ensuite en forme ces éléments. On peut ainsi savoir qui sont les meilleurs bundlers d’Obama ou de Romney. Plus anecdotique, on peut également identifier les personnalités qui ont donné de l’argent à tel ou tel candidat. Voici la liste des célébrités ayant contribué à la campagne d’Obama (oui, Steven Soderbergh est un peu radin comparé à George Clooney) ou à celle de Romney (bien moins populaire à Hollywood, le pauvre).

Si beaucoup d’Américains, y compris des gros donateurs, donnent par conviction politique, nombre d’entre eux le font avant tout pour s’acheter de l’influence. Il est donc capital de pouvoir identifier d’où vient l’argent (quelles entreprises ? quelles industries ?). Là encore, Open Secrets permet de recenser où travaillent les principaux donateurs. On se rend compte que ceux d’Obama proviennent des grandes universités ou de la Silicon Valley, et ceux de Romney des grandes banques d’affaires. De la même manière, on peut identifier les secteurs économiques qui contribuent le plus aux candidats (les retraités et les fonds d’investissements pour Romney, les retraités et les avocats pour Obama).

L'exemple d'un secteur économique décortiqué : les donateurs travaillant dans la finance.

Tout le monde n’accepte pas autant de transparence

Le même type de recherches peut être effectué pour les différents élus au Congrès ou pour les donations directes aux partis politiques, même si la structuration des campagnes et de la loi américaine rend cela un peu moins intéressant. Malheureusement, ces efforts vers plus de transparence, qui ont vu le jour dans les années post-Watergate, sont régulièrement contrariés. La loi (ou plutôt les failles dans la loi) encadrant les PAC permet de nombreux types de contournement.

Ainsi, même si les PAC ont clairement des visées politiques, ils ne sont contraints de publier qu’un minimum d’informations sur leurs donateurs (voici par exemple les plus gros contributeurs de Priorities USA Action, le PAC lié à la campagne d’Obama). Tout en ayant des buts plus flous, ils bénéficient d’un statut proche de ceux des ONG et ne sont pas tenus aux mêmes divulgations. Un PAC qui promouvrait par exemple une baisse des taux d’imposition de 20 % (une position similaire à celle de Romney) peut légalement recevoir des contributions, acheter des espaces publicitaires, organiser des meetings et distribuer des courriers aux électeurs, sans avoir à divulguer quoi que ce soit sur son financement, tout en participant indirectement à la campagne du candidat républicain.

Pareillement, un riche donateur peut, par exemple, décider d’offrir plusieurs millions de dollars à une association à but non lucratif, et cette association peut contribuer à son tour à un PAC, et ainsi n’apparaîtra que le nom de l’association dans les comptes publics du PAC. Une proposition de loi déposée par des sénateurs démocrates au moi de mai 2012 pour obliger à la transparence pour les dons de plus de 10 000 dollars effectués aux PAC, et pour éviter ce genre de contournement, a échoué à sortir de commission en raison de l’opposition des républicains.

Les élus, même démocrates, ne sont pas toujours très enclins à accepter plus de transparence. Alors que toutes les administrations américaines et la quasi-totalité des fonctions gouvernementales sont tenues de publier leurs comptes électroniquement, les sénateurs envoient leurs comptes de campagne à la Commission électorale sur papier (c’est-à-dire des impressions d’ordinateur), à charge pour celle-ci de saisir à nouveau toutes les données sur informatique !

Il n’empêche, outre les multiples données compilées et présentées par le Center for responsive politics et d’autres associations (http://www.followthemoney.orgPolitical money line), les informations recueillies par la Federal electoral commission s’avèrent cruciales pour « suivre l’argent ».

En témoigne cet article du New York Times qui a pu, grâce aux adresses associées à l’identité des donateurs, examiner les contributions politiques en provenance d’un unique immeuble de Manhattan. Et remarquer que ses résidents (très fortunés) donnaient davantage aux républicains qu’aux démocrates, ce qui contrastait avec toutes les élections précédentes.

Comme le regrettent les nombreux militants américains qui se battent contre l’influence démesurée de l’argent dans la politique américaine, « un jour nous nous réveillerons et nous constaterons qu’une dizaine de milliardaires ont acheté l’élection présidentielle ». Leur seul avantage sera d’en connaître l’identité.

Source : http://www.mediapart.fr/journal/international/240912/etats-unis-les-milliards-de-dollars-de-la-campagne

 

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