CURIOSITY – Que cherche-t-on vraiment sur Mars ?
L’astrophysicien Francis Rocard éclaire les objectifs et les enjeux de l’exploration de la planète rouge.
Le 6 août dernier, un nouveau robot terrien baptisé Curiosity a posé ses roues sur Mars. Véritable laboratoire rassemblant des techniques de pointe, il a coûté pas moins de deux milliards d’euros. Mais que cherche-t-il vraiment sur cette fameuse planète rouge ? De quoi est-il capable ? Quelles seront les prochaines étapes de l’exploration de Mars ? L’astrophysicien Francis Rocard, responsable du programme d’exploration du système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes), vous dit tout… ou presque.
Le Point.fr Pourquoi Mars intéresse-t-elle autant les scientifiques ?
Francis Rocard : Elle est la plus facile d’accès pour tenter de répondre à la question : sommes-nous seuls dans l’Univers ? Tout simplement parce que c’est la seule planète du système solaire avec la Terre où de l’eau liquide a coulé en abondance, en surface. Or, la présence de cette eau liquide est une condition absolument nécessaire à l’apparition et au développement du vivant. Il y a d’autres endroits où nous avons la quasi-certitude qu’il y a de l’eau liquide, en profondeur, notamment sur le satellite Europe de Jupiter ou encore sur le satellite Encelade de Saturne, mais leur exploration serait beaucoup plus difficile.
Quelle est la probabilité que la vie ait pu se développer ailleurs que sur Terre ?
On ne peut pas faire de probabilités sur quelque chose que l’on ne connaît pas. Toutefois, en 1995, on ne connaissait qu’une seule planète en orbite autour d’une autre étoile que le Soleil. Et on en compte désormais 840. La science évolue constamment. Cela multiplie les possibilités, même s’il semble qu’aucune des planètes détectées jusqu’ici ne soit potentiellement habitable. Reste donc le fait qu’il y ait quelques centaines de milliards d’étoiles dans notre galaxie, ce qui nous laisse finalement pas mal de chances.
Comment peut-on prouver que la vie s’est développée sur Mars ?
La Nasa a trois slogans qui résument sa stratégie d’exploration de Mars : « follow the water » (chercher l’eau), « follow the carbon » (chercher le carbone), « follow the life » (chercher la vie). Cette méthode a été mise en avant, il y a 10 ou 15 ans, afin d’éviter de refaire la même erreur que dans les années soixante-dix lorsque la mission Viking avait voulu rechercher directement la vie sans y parvenir.
À présent, je crois que l’on peut dire que la première étape qui était de bien comprendre la problématique de l’eau sur Mars est pratiquement achevée. Dans les années 70, on a découvert la présence d’écoulements fluides très anciens sur Mars et, beaucoup plus récemment, en 2005, grâce au Français Jean-Pierre Bibring, l’existence d’argiles qui montre que des roches d’origine volcanique ont été altérées par de l’eau présente en surface. On a donc la preuve que Mars a été chaude et humide au début de sa formation, en gros durant les 700 premiers millions d’années de son existence, et que, pendant cette période, les conditions étaient favorables à la présence de liquides, et donc à l’émergence du vivant.
Alors, à présent, que cherche-t-on ?
Nous entrons de plain-pied dans l’étape numéro deux : « follow the carbon ». Car, avant de s’intéresser à la problématique de la vie, on a besoin d’avoir des preuves qu’une chimie organique complexe a bien eu lieu sur Mars. Ce que nous cherchons donc, avec Curiosity, ce sont des molécules organiques, de préférence complexes. C’est-à-dire des chaînes carbonées (longues chaînes d’atomes de carbone) avec autour, accrochés, des atomes d’hydrogène, d’oxygène, d’azote, de phosphore, etc. Aujourd’hui, la seule forme de carbone que nous connaissons sur Mars est le gaz carbonique (CO2). Or, cela ne nous intéresse pas, car le CO2 est une impasse dans le processus de complexification des molécules organiques. En effet, quand vous fabriquez du CO2, vous avez une molécule extrêmement solide, un carbone oxydé, qui n’évolue plus.
N’a-t-on pas aussi détecté du méthane (CH4) sur Mars ?
C’est encore très controversé, mais Curiosity nous donnera peut-être la réponse. Si confirmation il y a, cela pourrait signifier deux choses distinctes. Première hypothèse, la plus probable, le méthane provient d’une simple réaction chimique, appelée serpentinisation, qui se produit, à haute température, en présence de CO2 et d’eau. Ce qui signifierait qu’il existe encore dans le sous-sol de Mars des régions chaudes en profondeur, chauffées par d’anciens volcans en sommeil. Seconde hypothèse, la plus audacieuse, ce méthane serait le signe de la présence de bactéries méthanogènes du type de celles que l’on trouve dans l’oesophage des vaches. Mais ce ne sont, à ce stade, que des spéculations.
Que peut-on véritablement attendre de la mission Curiosity ?
Le robot va pour la toute première fois explorer et analyser un site argileux martien, des couches sédimentaires à la base du mont Sharp situé dans le cratère Gale. Or, on considère que les argiles sont le Graal qu’il faut suivre pour espérer trouver des traces de carbone. Tout simplement parce que ces roches sédimentaires sont les plus intéressantes en termes de conditions d’environnement dans lesquelles elles se sont formées, c’est-à-dire en présence de liquides en abondance, ni trop acides ni trop basiques. Curiosity devrait atteindre ces argiles au premier semestre 2013, fera alors des prélèvements grâce à une foreuse et analysera à l’aide d’un outil baptisé SAM (Sample Analysis at Mars), conçu pour pouvoir détecter les fameuses molécules organiques complexes que nous recherchons. Il peut mesurer la masse de ces molécules, en déduire leur composition chimique et faire des mesures de rapports isotopiques de manière à déterminer si elles sont le fruit d’un processus biologique ou minéralogique. Par ailleurs, si le robot trouve des acides aminés qui sont considérés comme les briques de base de la vie sur Terre, on aura fait un grand pas ! Même si cela ne prouvera pas encore que la vie est apparue sur Mars…
Quelles seront alors les prochaines étapes ?
Si le cratère Gale s’avère très prometteur, si on y trouve de nombreuses molécules complexes, la Nasa pourrait décider d’organiser, dans les années 2025, une mission de retour d’échantillons de ces argiles. Car, pour avoir des preuves définitives sur le vivant, il faudra impérativement se donner les moyens de ramener des échantillons afin de les étudier sur Terre. Tout l’enjeu est de ramener les bons échantillons, peut-être grâce au travail que va fournir Curiosity.
Ce que vous recherchez, ce sont bien les traces d’une vie passée ?
Plutôt, oui, restons modestes, il s’agirait d’une vie passée datant de l’époque où les argiles se sont formées, il y a quatre milliards d’années. Toutefois, la vie pourrait très bien avoir résisté dans le sous-sol de Mars, surtout si l’on trouve du méthane qui pourrait indiquer la présence de sources chaudes d’eau liquide en profondeur. En revanche, nous savons, depuis la mission Viking de 1976, que la surface de Mars est trois fois stérile : parce qu’il se produit dans le sol un processus d’oxydation très puissant, parce que, en l’absence de couche d’ozone, les UV les plus violents stérilisent n’importe quelle bactérie et, enfin, du fait de l’absence de liquides.
Peut-on imaginer qu’il s’agisse d’une forme de vie très différente de la nôtre ?
La question est complexe. Aujourd’hui, personne n’imagine de vie sans eau liquide. Déjà, parce qu’on ne trouve pas de vivant dans du solide (car, s’il y a contact entre des molécules, il n’y a pas de mouvement), pas plus que dans du gaz (où les contacts entre molécules sont très occasionnels). Or, le liquide, à la fois potentiellement le plus courant dans l’Univers et le moins exigeant en termes de température, c’est l’eau ! De plus, c’est un puissant dissolvant qui a tendance à dissoudre les matériaux. Personne n’imagine non plus sérieusement de vie sans le carbone, notamment parce qu’il est tétravalent, ce qui signifie qu’il a la possibilité de former quatre liaisons avec d’autres atomes et permet une chimie complexe, utilisant les trois dimensions de l’espace. Maintenant, de là à dire qu’on trouvera la même vie que la nôtre, rien n’est moins sûr. Est-ce que la vie que l’on va trouver, si on la trouve, est basée sur notre ADN, c’est justement la grande question.
Quelles pourraient être les conséquences d’une telle découverte ?
Cela changera très profondément la vision que l’homme aura de l’Univers, au même titre que lorsque Copernic, en 1543, a affirmé que le Soleil était le centre de l’Univers et que la Terre tournait autour de lui. Si on trouve une autre vie dans l’Univers, cela va relativiser un peu plus notre présence sur Terre. Et, suivant que cette vie sera rigoureusement la même que la nôtre ou pas, je pense que l’on va basculer dans deux mondes différents. Si nous trouvons une vie qui n’est pas basée sur l’ADN, nous aboutirons à la conclusion que la vie apparaît dans l’Univers sous des formes différentes en fonction des conditions d’environnement du milieu. Si la vie que l’on trouve est basée sur notre ADN, avant de conclure que notre vie est universelle, on aura en revanche une nouvelle énigme à résoudre. Parce qu’elle pourrait tout à fait provenir d’un lieu particulier et avoir été disséminée à la faveur d’un impact d’astéroïde qui aurait expulsé des cailloux chargés de bactéries dans le milieu interplanétaire. Cela ne prouvera ni que notre forme de vie est universelle ni qu’il n’en existe pas d’autres très différentes ailleurs. Il faudra alors chercher encore plus loin dans l’Univers…
source : http://www.lepoint.fr/science/curiosity-que-cherche-t-on-vraiment-sur-mars-29-10-2012-1522556_25.php