Allemagne: Merkel veut encore développer les ventes d’armes
Devant une centaine de personnalités du monde de la défense et de l’armement, réunies à Strausberg, dans la banlieue de Berlin, Angela Merkel a expliqué qu’à l’avenir son pays comptait intégrer plus fortement les exportations d’armements ainsi que la coopération militaire dans sa doctrine de sécurité.
C’est l’opposition du côté de l’opinion allemande ! Évidemment, le sanglant passé allemand conditionne toujours fortement les convictions des citoyens outre-Rhin. Ils sont plus de 70 % à vouloir le retour des troupes stationnées en Afghanistan et 75 % à être opposés à la vente de Leopard 2 à l’Arabie saoudite. Quoi qu’il en soit, Angela Merkel a fait son choix et n’entend pas désarmer. À Strausberg, devant les généraux allemands, elle a aussi annoncé que son gouvernement était prêt à participer à une mission de maintien de la paix au Mali au côté de la France.
Si la France ne s’embarrasse pas beaucoup de considérations éthiques, l’Allemagne ne fait pas mieux, comme le prouvent les propos sidérants tenus en septembre par le ministre allemand de la défense, Thomas de Maizière : « Se contenter de dire que les droits de l’homme sont le seul critère de choix possible est insuffisant », expliquait-il en réponse aux nombreuses critiques sur la position de plus en plus ouverte de Berlin en faveur de la vente d’armes lourdes à des « pays non démocratiques ».
Pour lui, le renforcement du régime wahhabite d’Arabie saoudite avec « des moyens adaptés » est tout simplement une option « imaginable et raisonnable » qui peut « influencer positivement la stabilité au Proche-Orient » et est « nécessaire pour un pays exportateur comme l’Allemagne ». Il est significatif de voir que, dans les discours du ministre et les documents officiels, on ne parle plus, depuis peu, de politique d’exportation « restrictive », mais « responsable » !
« Sur ce sujet, Angela Merkel a peur des réactions des Allemands. C’est un sujet sur lequel elle ne peut que perdre des voix », commente un analyste proche du parti conservateur. « Toutes ces nouvelles déclarations sont aussi faites dans la perspective des prochaines élections au Bundestag. Angela Merkel sait que la grande majorité des Allemands est hostile aux exportations d’armes. Il semble donc qu’elle justifie ses décisions par anticipation, comme pour construire une sorte de mur pare-feu avant la campagne électorale », estime M. van Aaken qui, avec ses alliés, fait tout pour que ce sujet brûlant devienne un thème électoral de premier plan : « Pour l’instant, il ne faut pas rêver. Ce ne sera pas un sujet central de la campagne. La droite a mis un couvercle dessus. Et les directions nationales du SPD et des écologistes ne semblent pas prêtes à mobiliser », précise-t-il.
C’est avec le social-démocrate Gerhard Schröder et l’écologiste Joschka Fischer que l’armée allemande, en bombardant la Serbie en 1999, est retournée au combat pour la première fois depuis 1945. C’est aussi sous le mandat de Schröder, en 2001 en Afghanistan, que la Bundeswehr a envoyé son premier gros contingent de soldats dans une opération internationale de « maintien de la paix » dans un pays lointain qui ne menaçait pas l’Allemagne.
Enfin, c’est le « massacre de Kunduz », en Afghanistan – 140 morts à la suite d’un bombardement ordonné en septembre 2009 par un colonel allemand –, qui a obligé les politiques allemands, non pas à retirer leurs soldats de ce pays, mais à avoir le courage d’aller au bout de leur logique de retour sur la scène « militaro-diplomatique » internationale. Quelques semaines après cette bavure, le ministre de la défense de l’époque, Karl Theodor zu Guttenberg, prenait le taureau par les cornes et admettait publiquement que les soldats allemands en Afghanistan étaient impliqués dans une guerre. Dédouanée, la toujours prudente Angela Merkel jugeait alors le moment opportun de dire la vérité à ses concitoyens.
Merkel prête à soutenir une intervention au Mali
Cela explique aussi la position quasi paranoïaque des gouvernements allemands dès que l’on parle d’exportations d’armes et d’engagement militaire à l’étranger. Ainsi, lors de son dernier voyage en Indonésie, en juillet dernier, la chancellerie fédérale avait garanti que de tel sujets ne seraient pas abordés avec le président Susilo Bambang Yudhoyono.
Mais ce dernier, ravi de la rencontre, dévoilait à la presse, devant une Angela Merkel à la mine déconfite, que le traité de l’accord de coopération signé entre les deux pays comprenait un important volet militaire. Il ne dissimulait pas non plus son intention d’acheter quelques centaines de chars et de transports blindés allemands !
Ce serait la première mission allemande sur le sol africain (hors présence au large de la Somalie). Ce qui fera aussi oublier la défection allemande lors du conflit libyen.
Angela Merkel a aussi souligné que, malgré ses limites, l’Allemagne n’avait aucune intention de réduire ses capacités militaires et ce, même si la coopération avec l’UE et l’OTAN s’intensifiait : « Un pays comme l’Allemagne, en tant que première économie d’Europe, avec ses ressources humaines et matérielles, doit maintenir un large spectre de capacités », a-t-elle précisé, bien dans son nouveau rôle de « marchande de canons ».
Troisième exportateur mondial devant la France
Vendre des armes dans le monde entier, tout à la fois pour soutenir l’industrie nationale et garantir le maintien des capacités de défense, mais aussi pour renforcer son poids diplomatique… L’Allemagne n’est évidemment pas la seule à vouloir développer cette stratégie qui est fortement conditionnée par la situation budgétaire en Europe et les prix croissants de systèmes d’armement toujours plus sophistiqués. En effet, si l’on part du principe que l’Allemagne, ou la France, a un rôle diplomatique et militaire à jouer dans le monde et doit entretenir des armées modernes et opérationnelles, on s’aperçoit bien vite qu’il n’est plus possible de le faire dans la situation économique et budgétaire actuelle.
Le temps où les industriels de l’armement comme Dassault ou Rheinmetall pouvaient vivre des commandes nationales est révolu. Rheinmetall Defence est actuellement en train de restructurer une partie de ses usines et négocie un plan social. Pour Dassault, on se rappelle que l’ex-ministre de la défense, Gérard Longuet, avait annoncé l’arrêt de la production du Rafale, si l’entreprise ne remportait pas le contrat indien. Même si les deux fabricants ne sont pas à plaindre, il est clair que les armées et les marchés nationaux européens rétrécissent à vue d’œil. La crise de l’euro ne fait qu’accélérer le processus.
Face à cela, l’alternative est simple. Soit on crée une défense et une industrie d’armement européennes dignes de ce nom, ce qui suppose une mise en commun des moyens, un partage des technologies, un abandon de souveraineté mais aussi une autre conception de l’honneur national. Et pour l’instant, les pays européens ne semblent pas s’y résoudre. Soit on choisit d’avoir recours aux marchés internationaux pour soutenir son industrie. Cette seconde option est « séduisante » à plus d’un titre. Les grands pays européens peuvent ainsi utiliser les ventes d’armes à des fins diplomatiques, éviter de trop grandes réformes internes et préserver un peu plus d’emplois sur le sol national.
C’est ce que fait l’Allemagne avec un certain succès. En 2011, le pays est devenu 3e exportateur mondial d’armement devant la France, grâce à une progression de 50 % de ses exportations. Mais cette solution est aussi la plus meurtrière puisqu’elle favorise la prolifération des armes dans des régions en crise : « La livraison d’armes plutôt que l’envoi de soldats pour stabiliser une région est fatale. Car naturellement, les armes ne disparaissent pas en fumée une fois que les conflits sont stabilisés », souligne Omid Nouripour, porte-parole du groupe parlementaire écologiste.
Et sur le plan industriel, l’option est tout aussi douteuse. Aucun pays acheteur ne signe un contrat sans s’assurer un important transfert de technologie : « C’est ce qui se passe avec les porte-hélicoptères Mistral que la France a vendus à la Russie », fait remarquer Christian Mölling. Sur les deux vaisseaux vendus, le second sera entièrement assemblé en Russie. Tout comme une partie des Rafale que Dassault devrait finalement vendre à l’Inde.
« Pour le monde de la défense, cette nouvelle orientation n’est pas totalement surprenante. Elle en a déjà parlé l’année dernière. Mais il est vrai que ses mots sont plus précis. Avec la vente de chars à l’Arabie saoudite en toile de fond, on peut considérer qu’un nouveau pas a été franchi », estime le chercheur Christian Mölling, spécialiste du monde de l’armement à l’Institut allemand pour la politique étrangère et la sécurité (SWP), un des principaux think-tank publics allemands sur la question.
Pour Jan van Aaken, de Die Linke, ce discours marque à la fois un soutien apporté à l’industrie allemande mais aussi un renforcement de l’utilisation des livraisons d’armements comme moyen de la politique étrangère : « Quand en 2009, l’Allemagne a livré 600 fusils d’assaut flambant neufs à Moubarak, ce n’était pas pour gagner un million d’euros de plus mais bien pour apporter un soutien diplomatique », précise-t-il.
À Berlin, une correspondance de Thomas Schnee
Vendredi, quelques centaines de militants pacifistes ont manifesté dans trois villes d’Allemagne, Fribourg, Heidelberg et Düsseldorf, aux cris de « Stoppez les ventes d’armes ! » et de « Il faut enchaîner le Léopard ». À Düsseldorf, une cinquantaine de manifestants ont symboliquement bloqué le siège de la société Rheinmetall, l’un des leaders mondiaux de l’armement terrestre. Le « produit-phare » de l’entreprise est le Leopard 2, l’un des chars d’assaut les plus modernes du monde.
Ce petit « bijou » d’une soixantaine de tonnes, bourré de technologie high-tech made in Germany, est capable d’une attaque en rase campagne à près de 90 km/heure, mais aussi d’évoluer dans un contexte de guérilla urbaine. Ce qui intéresse plus d’un régime.
« Nous nous réunissons pour protester contre la vente de 270 Leopard 2 à l’Arabie saoudite, un régime autoritaire qui a récemment aidé Bahreïn à réprimer des manifestations pendant le printemps arabe. Mais nous venons aussi pour condamner les nouvelles déclarations d’Angela Merkel qui montrent que l’Allemagne a l’intention, plus qu’avant, d’utiliser les livraisons d’armes comme instrument de sa politique étrangère », explique Jan van Aaken, porte-parole du groupe parlementaire de Die Linke (gauche radicale) au Bundestag pour les questions d’armement.
Outre les représentants d’une dizaine d’associations pacifistes et de Die Linke, la petite manifestation réunissait aussi des syndicalistes de la Confédération des syndicats allemands (DGB) et du syndicat des services Verdi. Aucun représentant officiel des partis écologiste et social-démocrate n’avait fait le déplacement. Officiellement pacifiste, l’IG Metall, le plus puissant syndicat allemand, n’était pas non plus présent. Pas étonnant, c’est aussi le syndicat en charge des industries de l’armement. Ces protestations s’intègrent dans la campagne « Aufschrei. Stoppt den Waffenhandel ! » présidée par l’ancienne patronne des Églises protestantes d’Allemagne, la très populaire Margot Käßmann. Elles surviennent quelques jours après un discours remarqué de la chancelière Angela Merkel au congrès annuel de la Bundeswehr, l’armée allemande.
« Il est dans notre intérêt d’aider nos partenaires à établir ou à maintenir de manière efficace la sécurité et la paix dans leurs régions », a-t-elle déclaré. Et pour elle, les livraisons d’armes font clairement partie de cette aide : « Ceux qui se sentent responsables du maintien de la paix, mais ne peuvent pas jouer un rôle actif dans toutes les régions du monde, sont appelés à aider leurs partenaires dignes de confiance à prendre cette tâche à leur compte », a ajouté la chancelière. Pour elle, les partenaires dignes de confiance sont nombreux puisqu’elle a nommé les pays de l’Union africaine, ceux de la Ligue des pays arabes et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Pas moins !
Source : http://www.mediapart.fr/journal/international/271012/allemagne-merkel-veut-developper-encore-les-ventes-darmes