Le Sénat reste un obstacle à franchir pour l’exécutif

Dix-neuf contre, vingt pour. À une voix près, la commission des affaires économiques du Sénat a rejeté mardi la proposition de loi socialiste sur la tarification progressive de l’énergie.

La  proposition de loi sur l’énergie prévoyait d’élargir les tarifs sociaux à 4,2 millions de ménages qui n’en bénéficient pas, de généraliser la trêve hivernale pour les coupures d’énergie et de mettre en place un bonus-malus sur la facture d’énergie des consommateurs (cliquer ici pour plus d’explications).

Mais il s’agit aussi d’un texte environnemental. Comportant des amendements destinés à faciliter l’implantation de l’éolien sur le territoire, il devait marquer la première étape de la transition énergétique made in François Hollande.

À vrai dire, ce n’est pas vraiment une surprise. Déposé début septembre par François Brottes, le président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, ce texte jugé par beaucoup complexe et mal ficelé commence à ressembler à un serpent de mer parlementaire.

Mais ce rejet, premier vrai accroc au Sénat depuis le début du quinquennat, rappelle aussi une réalité politique cruciale, trop souvent occultée par l’idée que le Sénat a basculé à gauche en novembre 2011: au contraire de l’Assemblée, le PS n’y est pas majoritaire à lui seul. Il doit donc composer à chaque fois avec ses alliés radicaux, écologistes ou communistes. « Dans cette configuration, chaque groupe minoritaire de gauche est charnière », explique un proche du ministère des relations avec le Parlement, Alain Vidalies.

Dans les prochains mois, ce type de couacs risque de se multiplier, au risque d’aggraver l’impression d’une majorité traversée de divisions.

Les écologistes soutiennent ce texte le doigt sur la couture du pantalon. Mais pour le groupe communiste, le texte est inacceptable. Les sénateurs du Front de gauche s’arc-boutent en effet sur le statu quo actuel de la politique tarifaire, même si elle comporte des inégalités indéniables. Ils estiment que le « bonus-malus s’apparente à une taxe qui ne respecte pas le principe de proportionnalité de l’impôt et des ressources de chacun, en faisant peser une large partie des malus sur les familles qui n’ont pas toujours les moyens de procéder aux travaux d’isolation de leur habitation ». Et martèlent que le texte entraînera la « déréglementation de l’implantation des éoliennes ».

À l’Assemblée, les députés Front de gauche ont voté contre la proposition de loi, se plaignant même de l’irruption au dernier moment des amendements sur l’éolien. Depuis une semaine, sénateurs socialistes et communistes étaient donc entrés dans une intense phase de négociation. « On avait déployé des efforts pour trouver un texte qui puisse leur convenir, affirme Jean-Jacques Mirassou, porte-parole du groupe PS au Sénat. Le texte avait été reconfiguré, il était plus simple, plus opérationnel. » « On pensait que ça allait s’arranger, c’est d’ailleurs ce que les communistes nous avaient dit », s’étonne un proche de François Rebsamen.

Pourtant, mardi, les communistes ont maintenu leur motion d’exception d’irrecevabilité en commission. La droite et le centre ont voté avec eux. Une « collusion » de « gens qui ne défendent pas le même intérêt », déplore Mirassou. Pour le sénateur socialiste, les communistes sont victimes d’un « raidissement idéologique ». « Il étaient déterminés à ne pas voter ce texte, dit-il. Ils poursuivent l’illusion d’un grand service de production et de distribution d’énergie à l’échelle nationale dans le giron des pouvoirs publics, et n’ont rien voulu entendre. » Difficile aussi de ne pas voir l’ombre de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim derrière l’opposition de principe des communistes à l’instauration d’une tarification progressive.

Cette crispation est de bien mauvais augure pour le grand débat sur la transition énergétique qui doit commencer dès novembre. Et dans l’entourage de François Rebsamen, cette « épouvantable manifestation de mauvaise humeur » passe en tout cas très mal. « Cette motion, déposée par le groupe communiste, signe d’une manière claire sa détermination à faire barrage au texte du rapporteur malgré les multiples tentatives de dialogue qu’il avait déployées », a réagi le groupe PS du Sénat dans un communiqué.

« Dommage que le Sénat n’ait pas voulu prendre le temps du débat », commentait mardi soir François Brottes, élu socialiste (Isère), auteur et rapporteur de la loi à l’Assemblée.

Et maintenant ?

« C’est terminé au Sénat », déplore l’entourage de François Rebsamen. La semaine prochaine, le vote négatif devrait être confirmé en séance publique, sans scrutin. L’examen du texte s’arrêtera automatiquement. Et le texte reviendra à l’Assemblée sans vote sénatorial. Il devrait alors faire l’objet d’une nouvelle lecture par les députés. « On aura perdu un temps fou… », déplore Jean-Jacques Mirassou. À l’avenir, ce genre d’accrocs risque même de devenir une habitude. « Ça peut partir en live sur beaucoup de textes », s’inquiète Jean-Jacques Mirassou.

D’ici quinze jours, les sénateurs devront en effet se prononcer sur le budget 2013.  S’ils s’abstiennent comme leurs collèges de l’Assemblée l’ont fait ce mardi, le budget pourrait ne pas être adopté au Palais du Luxembourg.

Source : http://www.mediapart.fr/journal/fil-dactualites/231012/le-senat-reste-un-obstacle-franchir-pour-lexecutif