L’UE et le FMI ont demandé à l’Etat grec de faire évacuer ses îles de moins de 150 habitants
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Selon la presse grecque de ce week-end, les émissaires de l’Union européenne et du Fonds monétaire international auraient proposé au gouvernement grec de « déplacer les habitants des îles comptant moins de 150 habitants vers des lieux plus accessibles ». Une proposition reprise publiquement par Kostas Mousouroulis, le ministre grec des Affaires maritimes. Le pays possède en effet une myriade d’îles, dont beaucoup sont proches des côtes turques. Vingt-deux d’entre elles sont habitées par moins de 150 habitants. Leur fonctionnement, selon le ministre, aurait un « coût trop élevé pour l’État ».
Cette annonce a provoqué un tel tollé dans le pays que Kostas Mousouroulis a été contraint de revenir sur ses propos, affirmant qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Dans la foulée, le gouvernement dans son ensemble s’est empressé de démentir l’information. Mais nombre d’experts doutent d’une simple gaffe du gouvernement et croient plutôt à un ballon d’essai pour que l’idée fasse son chemin. À l’image de Manolis Glézos, le député de la Syriza, le parti de la gauche radicale : « Oslo ne peut pas donner le prix Nobel de la paix à une Union européenne qui demande l’évacuation d’un certain nombre d’îles. »
Déportation
Même démentie, cette hypothèse fait débat. Christos Christopoulos, avocat d’affaires, reste sceptique sur la concrétisation du projet, mais s’interroge : « Que dirait-on en France si l’on déplaçait les sept habitants du village de Châteauvieux-les-Fossés dans le Doubs ou ceux d’Aulan dans la Drôme ? Cette déportation de gens de leur lieu d’habitation, même au prétexte de non-rentabilité, réveille les traumatismes du passé pour les Grecs. De plus, cela est juridiquement inadmissible et, enfin, cela engendrerait de sérieux risques pour la sécurité nationale », affirme-t-il.
Christos Christopoulos fait référence au déplacement de la population grecque d’Asie Mineure, où elle était installée depuis la nuit des temps. Après la défaite des troupes grecques, lâchées par les alliés face à Atatürk en 1922, le traité de Lausanne, un an plus tard, obligeait à un « échange de population ». Près de deux millions de Grecs avaient alors dû quitter ce qui avait toujours été leur patrie pour s’installer en Grèce, qui comptait moins de cinq millions d’habitants à l’époque.
Austérité
Néanmoins, l’évacuation des îles de moins de 150 habitants aiderait-elle à résorber la dette grecque ? « On peut certainement comparer cela à l’évacuation de populations rurales d’Inde, de Chine ou du Brésil qui sont dépossédées de leurs terres au profit de l’agrobusiness, des complexes touristiques ou d’industries », commente Stathis Kouvelakis, maître de conférences au King’s College de Londres. « La vente d’îles inhabitées ne vise pas simplement à économiser les dépenses engendrées par le maintien sur place des communautés îliennes. Le géographe britannique David Harvey a, pour sa part, imaginé l’expression accumulation par dépossession pour désigner ces processus de privatisation sauvage », ajoute-t-il. Les fonds marins grecs sont en effet de plus en plus convoités. De surcroît, la Grèce pourrait devenir en 2016 le premier producteur aurifère d’Europe, tant son potentiel minier est important.
Il y a quelques semaines, la presse grecque dévoilait le catalogue de 47 îles et îlots choisis par le gouvernement de coalition dans le but d’être cédés à des investisseurs privés. Des baux de 30, 40 ou 50 ans pour des montants allant de 3 à 45 millions sont suggérés. Cette idée, énoncée en 2010 par un député allemand, avait alors soulevé une indignation générale. Cette fois, les Grecs, abattus par la rigueur, semblent trop tétanisés pour réagir alors que le taux de chômage touche plus de 25 % de la population active et que la récession continue de sévir pour la sixième année consécutive. La semaine prochaine, Antonis Samaras, le Premier ministre, doit annoncer une nouvelle cure d’austérité pour économiser 13,5 milliards d’euros et recevoir en contrepartie le versement de 31,5 milliards d’euros par ses créanciers publics. Un blanc-seing indispensable au pays pour éviter la faillite
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