Les agriculteurs devront faire plus de place à la biodiversité
Des exploitations agricoles avec davantage de haies, bosquets, mares ou bandes enherbées le long des cours d’eau… L’an prochain, les agriculteurs français devront consacrer 4 % de leurs terrains au maintien de surfaces naturelles, au nom de la protection de l’environnement. Une mesure discrètement prise par le gouvernement à la rentrée, qui suscite une levée de boucliers dans le monde agricole.
« C’est une décision strictement administrative, totalement déconnectée des contraintes de gestion des exploitations, déplore Christiane Lambert, vice-présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Certains agriculteurs, notamment des céréaliers ou des viticulteurs qui sont installés sur des terrains rocailleux, vont devoir engager des frais pour replanter des haies et les entretenir. Dans certains cas, leur surface de production sera même amputée. »
« MESURE INDOLORE »
En réalité, la mesure ne change pas grand chose. Depuis l’an dernier, les agriculteurs étaient en effet déjà soumis à l’obligation de consacrer 3 % de leur exploitation à ces surfaces équivalentes topographiques, comme on les appelle dans le jargon (voir fenêtre), en vertu des Bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) adoptées par le ministère de l’agriculture. Le respect de ces 7 contraintes nationales, qui complètent un arsenal de 18 directives et règlements européens, sont les conditions sine qua non au versement d’aides par Bruxelles.
« L’augmentation d’un point de la part de ces surfaces sera indolore pour une grande majorité des agriculteurs, qui se situent déjà au-delà des 3 % et ne verront donc pas leur surface de production amputée. Elle n’affectera en réalité que certaines zones de grandes cultures, notamment les bassins céréaliers du nord de la France, où il ne reste presque plus d’arbres », assure Samuel Féret, coordinateur du groupe PAC 2013, qui fédère 25 organisations agro-environnementales dont WWF et la Confédération paysanne.
L’une de ces associations, Solagro, a réalisé une carte des communes dont les exploitations agricoles présentent moins de 3 % de surfaces équivalentes topographiques (en rouge) et celles qui dépassent l’obligation (dégradés de vert) :
GAIN À MOYEN ET LONG TERMES
« Les grands exploitants sont opposés à des contraintes supplémentaires, mais à moyen et long terme, ils y gagneront, assure pour sa part Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech et spécialiste de la Politique agricole commune (PAC). Ces surfaces écologiques permettent d’augmenter les rendements ou au moins, d’empêcher qu’ils ne diminuent. »
Les bénéfices apportés par ces éléments du paysage s’avèrent nombreux : meilleur stockage de l’eau dans le sol, protection de ces derniers contre l’érosion, limitation des fuites d’intrants (comme l’azote) dans les cours d’eau ou encore abri pour les auxiliaires de cultures, c’est-à-dire les prédateurs qui détruisent les nuisibles sans aucune intervention chimique et les pollinisateurs qui fécondent les plantes cultivées.
VERDISSEMENT DE LA PAC
Si la décision du gouvernement fait grincer des dents dans le milieu agricole, c’est en fait qu’elle préfigure un « verdissement » de la future PAC que rejettent en masse les syndicats. « Il aurait été préférable d’attendre les négociations au niveau européen avant d’augmenter la part de surfaces écologiques en France, regrette Christiane Lambert à la FNSEA. Cela éviterait de perdre en compétitivité et de risquer une distorsion de concurrence au sein de l’Union, alors que les autres pays n’ont pas les mêmes règles. »
« Les protestations des organisations syndicales contre les 4 % d’éléments de paysage dans les champs constituent en réalité une posture idéologique. Ils refusent ce signal positif de la France au moment où ils essaient, via leurs lobbies, de faire baisser le taux de 7 % à 5 % au sein de la future PAC », estime Samuel Féret.
La réforme de la PAC, qui s’appliquera de 2014 à 2020, prévoit en effet une proportion de 7 % des exploitations consacrée aux surfaces à intérêt écologique, soit davantage qu’actuellement en France. Les agriculteurs devront par ailleurs diversifier leurs cultures (au moins trois différentes) et assurer le maintien de pâturages permanents. En jeu : le versement de l’intégralité des aides du premier pilier de la PAC, qui recoupe le soutien aux marchés et les aides au revenu. L’an dernier, près de 10 milliards d’euros ont été versés à ce titre par Bruxelles à la France – sur un total de 42 milliards à l’échelle de l’Union.
A partir de 2014, 30 % de ces aides directes devraient être conditionnées au respect des nouvelles conditions agricoles et environnementales. « Le paiement vert représentera 80 euros sur des aides qui se sont élevées en moyenne à 280 euros par hectare l’an dernier. Un agriculteur qui ne respecte pas les conditions, et notamment les surfaces écologiques, ne recevra plus que 200 euros par hectare », calcule Samuel Féret. De quoi forcer l’intégration de la biodiversité dans les champs.
source http://www.lemonde.fr/