Vous reprendrez bien un peu de steak d’herbe ?

Gjalt De Haan est exploitant agricole dans la Frise, province du nord des Pays-Bas. Il emploie 35 personnes pour faucher l’herbe, entretenir les bords des fossés et faire fermenter la biomasse. Au tout début de ce siècle, Gjalt De Haan a remarqué que les années fertiles engendraient un gigantesque surplus d’herbe : environ 1,5 million de tonnes. L’agriculteur s’est alors demandé s’il était possible d’utiliser cette ressource pour fabriquer des produits à forte valeur ajoutée : des fibres pour le carton, de meilleurs aliments pour les porcs… et pourquoi pas des produits alimentaires pour les êtres humains ?

Du pur délire ? Pas du tout. Sept ans plus tard, des chercheurs de la société Nizo Food Research, à Ede, s’apprêtent à explorer de nouvelles pistes. Ils isolent notamment des protéines intéressantes comme la RuBisCO, une enzyme contribuant au processus de photosynthèse chez les plantes, pour les appliquer à l’alimentation humaine. “Nous disposons de la technologie nécessaire pour isoler les protéines de l’herbe et les utiliser dans des soupes, des sauces ou des desserts”, précise le chercheur Bart Smit. “Si nous parvenons à agglutiner la protéine et à lui donner une texture de viande, il n’est pas inconcevable que l’on puisse produire un jour un steak d’herbe”, ajoute René Floris, qui travaille également chez Nizo Food Research.
Tout a commencé par un test réalisé par Gjalt De Haan en 2006, avec entre autres des chercheurs de l’université de Wageningen et Courage, une plateforme d’innovation pour l’élevage de vaches laitières, dans la petite ville frisonne de Grouw. Si l’être humain ne peut pas consommer d’herbe, c’est parce que son système digestif n’est pas en mesure de décomposer correctement ces fibres végétales. Les acides aminés présents dans l’herbe ne peuvent donc pas être libérés pour contribuer par exemple à la construction des muscles. Un phénomène d’autant plus frustrant que les acides aminés contenus dans l’herbe sont parfaits pour les êtres humains. “Il y a un certain nombre d’acides aminés que nous ne pouvons pas fabriquer nous-mêmes. L’herbe les contient tous”, explique Johan Sanders, professeur d’agrotechnologie et de sciences de l’alimentation à l’université de Wageningen.

Après avoir broyé de grandes quantités d’herbe, Johan Sanders et ses collaborateurs ont commencé à travailler sur le jus de protéine obtenu. Ils sont parvenus à augmenter la quantité de protéine récupérée. La RuBisCO peut ainsi faire d’un porc un herbivore. L’animal, omnivore comme les êtres humains, est lui aussi incapable de digérer les fibres de l’herbe. Si le porc était nourri à l’aide d’une telle protéine raffinée, il y trouverait une excellente source d’acides aminés.

“La composition en acides aminés de la RuBisCO est nettement meilleure que celle de la protéine du maïs et n’a rien à envier à celle du soja, qui est souvent un ingrédient de base de l’alimentation porcine”, ajoute Johan Sanders. Une substitution pourrait avoir une incidence majeure sur l’importation de germes de soja en provenance du Brésil, dont la culture est encore souvent associée à la destruction de la forêt tropicale. “Il y a dans notre pays assez d’herbe pour remplacer la protéine des germes de soja par la protéine de l’herbe, qui suffirait à alimenter en totalité les 12 millions de cochons des Pays-Bas, explique Johan Sanders. Et il resterait assez à brouter pour nos 4 millions de vaches.”

Enfin, il y a le cas des êtres humains. “La protéine RuBisCO est plus nourrissante que le soja et se digère mieux sous forme de gélifiant dans les desserts, d’agent de texture dans les mousses et de stabilisateur d’émulsions dans les soupes”, reprend René Floris. La protéine de soja, que l’on utilise pour ces applications, doit souvent être complétée par des additifs. “Mais la protéine de l’herbe, la RuBisCO, fait le travail sans aucune aide.” Les prés verdoyants seront-ils bientôt fauchés pour produire des steaks d’herbe ? Les terrains de sport et les étendues d’herbe dans les parcs serviront-ils à fabriquer des yaourts compacts et versera-t-on le produit de la tonte de votre jardin dans la mousse au chocolat ? Pas du jour au lendemain, pense Hans Van Trijp, professeur de marketing et spécialiste du comportement des consommateurs à Wageningen. “Mais la RuBisCO va certainement gagner du terrain.”