Budget 2013 et rigueur à tous les étages
« Un budget de combat », « contre la crise », « pour le redressement dans la justice ». Les responsables socialistes ont salué avec les mêmes éléments de langage le budget 2013 adopté vendredi en conseil des ministres. Pas question de « rigueur » dans leur bouche, encore moins d’austérité. L’addition du budget 2013 est pourtant une des plus salées de l’histoire récente.
« Le plus gros effort fiscal depuis trente ans », glisse l’exécutif – même si la France s’était serré la ceinture dans des proportions comparables en 1996, sous la droite, avant le passage à l’euro. Le gouvernement entend économiser 40 milliards d’euros l’an prochain. Il reste (officiellement en tout cas) accroché à l’objectif de 3 % du déficit public fin 2013. Et souhaite atteindre un « déficit structurel » (hors conjoncture) de 0,5 % dès 2015. Exactement ce que prévoit le traité de stabilité que les parlementaires devraient ratifier la semaine prochaine.
D’où un effort inouï pour y parvenir : 10 milliards d’économie pour l’État, 10 milliards pour les ménages – surtout les plus aisés, 10 milliards pour les entreprises – surtout les plus grandes. Sans compter les mesures déjà votées en juillet, et de nouvelles économies pour la Sécurité sociale, dont le budget sera présenté lundi.
Avec cette règle des « 3 fois 10 », le gouvernement entend montrer que l’effort est également réparti. Il insiste aussi sur le fait que les classes populaires et les PME seront épargnées. Pour l’essentiel, c’est vrai. Pas question de matraquer les plus modestes alors que la consommation cale, insiste le ministère des finances. Dans cet océan de rigueur, l’exécutif cherche même à tracer quelques perspectives. Si l’heure est aux « efforts extrêmement significatif », demain, « en fin de quinquennat », il sera peut-être possible de « stabiliser », voire de « baisser les impôts », susurre Bercy. « C’est la deuxième étape, qu’on espère plus détendue. » Vœu pieux ? Pour y parvenir, il faudra de la croissance. Or de nombreux économistes estiment que l’hypothèse de 0,8 % sur laquelle le gouvernement a bâti le budget est trop ambitieuse. Et que cette montagne d’économies pourrait même contracter encore plus l’activité…
Les classes populaires épargnées ?
François Hollande avait promis une « grande réforme fiscale ». La voilà donc. En moins spectaculaire, puisque le gouvernement ne semble guère décidé à opérer la fusion CSG-impôt sur le revenu qui aurait parachevé le dispositif.
Reste que la progressivité de l’impôt sur le revenu – le plus juste, mais très facile à contourner pour les plus hauts revenus – est, avec ce budget, largement améliorée. Les revenus du capital « seront taxés comme les revenus du travail », proclame le compte-rendu du conseil des ministres. « Seront ainsi soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu et non plus à un prélèvement forfaitaire les intérêts, dividendes et plus-values mobilières. Les ménages disposant d’un patrimoine modeste bénéficieront de cette mesure, qui alourdira en revanche l’impôt payé par les plus aisés. » Économie attendue : trois milliards d’euros.
La tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu à 45 % est confirmée – elle ne concernera que 50 000 contribuables, promet Bercy. Le quotient familial est réduit (« moins de 2,5 ‰ des foyers fiscaux » seraient impactés), de même que le plafond de niches fiscales pour les particuliers. L’ISF revient peu ou prou à son ancien barème, avant l’allégement Sarkozy (+ 1 milliard). Symbolique (elle ne concerne que 1 500 personnes et ne rapportera que 210 millions d’euros par an), limitée aux revenus 2012 et 2013, mais très politique (François Hollande est persuadé qu’elle lui a permis de gagner la présidentielle), la taxe à 75 % pour les revenus professionnels supérieurs à 1 million d’euros est confirmée. Elle prendra en compte la CSG et la CRDS, ce qui en atténue en réalité le taux. Ironie de l’histoire, une sorte de bouclier fiscal est rétablie pour qu’un contribuable ne puisse dépasser les trois quarts de son revenu, un seuil jugé confiscatoire.
Tout sur le dos des riches ? « 9 foyers fiscaux sur 10 ne sont pas concernés par ces mesures », martèle l’exécutif. Une affirmation un peu rapide.
Car d’autres mesures antérieures, elles, subsistent. Comme le gel du barème de l’impôt sur le revenu instauré par le précédent gouvernement. Certes, une décote permettra d’éviter que les non-imposables le deviennent à cause de cette mesure, comme ce fut le cas l’an dernier pour 400 000 foyers fiscaux. Mais elle ne concerne que les deux premiers déciles. « Le gel du barème de l’impôt sur le revenu (IR) touchera durement ceux qui atteignent tout juste la tranche des 30 % (à partir de 27 000 euros de revenu imposable – ndlr), autrement dit les classes moyennes… », estime dans Le Monde le président (UMP) de la commission des finances, Gilles Carrez.
Par ailleurs, le Parlement a voté en juillet la fin des exonérations fiscales et sociales sur les heures supplémentaires, très coûteuses et contreproductives en période de crise, mais qui soutenaient le pouvoir d’achat de nombreux ouvriers ou employés.
« L’alourdissement annoncé des cotisations retraite et maladie des artisans et commerçants, prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), affectera, lui aussi, des catégories modestes de la population », met en garde Gilles Carrez. Les taxes sur le tabac et la bière vont augmenter. Par ailleurs, la redevance télé sera augmentée l’an prochain de 2 euros. Une hausse qui, par définition, touche tous les ménages équipés d’un téléviseur.
Par ailleurs, les cotisations sociales des auto-entrepreneurs, dont beaucoup ont de petits revenus, sont alignées sur celles des travailleurs indépendants. Ce qui revient à vider ce régime, lancé en fanfare par Nicolas Sarkozy, d’une grande partie de sa substance…
Enfin, si Jean-Marc Ayrault a exclu jeudi toute hausse de TVA ou de CSG cette année, cela risque de ne pas être le cas l’an prochain. Le gouvernement souhaite alléger le coût du travail pour créer un « choc d’offre » et modifier le financement de la protection sociale. Premières mesures attendues fin octobre.
Les grandes entreprises mises à contribution
Avec 7 milliards de niches fiscales rabotées et 3 milliards d’impositions nouvelles ou anticipées, les grandes entreprises vont financer l’intégralité de l’effort demandé au monde économique. « Les PME ne sont pas touchées, on préserve ce moteur de la croissance », explique Bercy. Qui, un temps, a pourtant envisagé de les mettre davantage à contribution…
L’essentiel des mesures consiste à réduire la possibilité offerte aux grandes entreprises de réduire leur impôt sur les sociétés. La déductibilité des intérêts d’emprunt sera limitée à 85 % en 2013, et à 75 % en 2014 (+ 4 milliards pour cette seule mesure). La “niche Copé” (exonération des plus-values en cas de cession de filiales) sera largement rabotée. La possibilité de réduire son bénéfice en intégrant les déficits passés aussi. Les assurances seront surtaxées. De façon attendue, le Medef a dénoncé vendredi des « risques majeurs pour le financement de l’économie et la croissance des entreprises ».
L’Etat et les collectivités au régime sec
Avec 10 milliards d’économies, « l’État donne l’exemple », jure le député PS Thomas Thevenoud, membre de la commission des finances. Les ministères vont réduire leurs dépenses de près de 3 milliards d’euros. Les économies seront aussi réalisées sur les dépenses d’intervention, rabotées de deux milliards. Plus d’un milliard d’euros d’investissements est remis en cause. Les 556 opérateurs de l’État (des établissements aussi différents que les Agences régionales de santé, l’ONF, le Musée du Louvre, Météo France, la Cinémathèque ou les parcs nationaux) sont également mis à contribution. Et si leur dotation est gelée en 2013, les collectivités locales vont devoir se serrer la ceinture ensuite : elles toucheront 750 millions d’euros de moins par an en 2014 puis en 2015. L’exécutif promet d’ajuster les coupes en fonction des besoins et dans la concertation, à rebours de la méthode mise en œuvre avec la RGPP.
Jugés prioritaires, l’éducation, l’intérieur et la justice bénéficient de 11 000 postes en plus et de coupes budgétaires limitées. Mais pour d’autres, c’est une sévère rigueur qui se profile.
À lui seul, le ministère de la défense réalise un cinquième des efforts de l’État (plus de 2 milliards d’euros d’économie, et 7 000 postes supprimés sur 12 300 dans l’ensemble des ministères). Bien souvent, les administrations vont devoir réduire leurs dépenses de fonctionnement (– 5 % en moyenne), réorganiser leurs achats, poursuivre la rationalisation et diminuer des effectifs. L’Intérieur va « réexaminer » son réseau de sous-préfectures. Le Service d’information au gouvernement (SIG) va voir ses crédits réduits de 5 %. La dotation de l’audiovisuel public va être tronquée de 1,6 %. Les crédits de fonctionnement de la DATAR sont rognés de 7 %. Le Quai d’Orsay va vendre des résidences d’ambassade à l’étranger. Les fédérations sportives sont mises à la diète (– 9 %). Les contrats d’autonomie sont supprimés. Lancés en 2008 par la ministre Fadela Amara dans le cadre du plan “Espoirs Banlieues , ces contrats aidés n’ont jamais fait leurs preuves.
Plusieurs grands projets culturels non financés sont abandonnés, comme Lascaux IV, la Maison de l’Histoire de France ou le musée de la photo à Paris. Les subventions de plusieurs musées ou établissements culturels vont être diminuées. Des projets d’infrastructure de transports lancés dans le cadre du Grenelle de l’environnement (canal Seine-Nord, lignes TGV) paraissent compromis. Les dotations des hôpitaux augmentent, mais pas suffisamment pour couvrir les charges, alertent de leur côté les directeurs d’hôpitaux. Et à l’agriculture, l’exonération de cotisations patronales pour les saisonniers agricoles, qui génère des effets d’aubaine d’après Bercy, sera limitée à 1,5 Smic.
Education nationale, justice : deux ministères « prioritaires »
Priorité des priorités, l’éducation nationale est l’un des rares postes à échapper à l’austérité générale. Le budget passe de 62,21 milliards au PLF 2012 à 64,01 milliards pour cette année, soit +2,92 %. Avec une augmentation prévue d’ici 2015 de 6,93 %.
Avec 43 000 recrutements d’enseignants prévus pour 2013, soit plus du triple des recrutements de 2012, la rue de Grenelle met les bouchées doubles pour remettre des moyens humains dans l’éducation. Derrière ce chiffre impressionnant – qui pose de façon brutale la question de la crise des vocations –, 22 100 postes correspondent aux remplacements des départs en retraite et qui, budgétairement parlant, ne correspondent à aucune création de poste. Ce sont donc 21 350 postes qui seront ouverts lors d’une deuxième session de concours organisée en juin. Ils représentent 11 476 ETP (équivalent temps plein) puisque ces personnels recrutés seront pour moitié en formation dans les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
À cela s’ajoutent 500 créations de postes de non-enseignants : auxiliaires de vie scolaire, médico-social, administratifs. Les 6 000 emplois d’avenir professeur, proposés à ceux qui se destinent au métier d’enseignant, coûteront 31 millions d’euros. Soucieux de ne pas trop apparaître comme les enfants gâtés du gouvernement, les conseillers de Vincent Peillon rappellent que le budget de fonctionnement du ministère sera lui soumis au même régime que les autres : – 5 %.
« Avec 7,7 milliards d’euros, le budget de la justice augmente de 4,3 % en 2013 », s’est pour sa part félicitée la garde des Sceaux Christiane Taubira. « Le président de la République et le premier ministre ont confirmé la justice comme une priorité. »
Quelque 1 500 emplois seront créés sur trois ans, dont 500 en 2013, a annoncé la ministre. Ainsi, 205 créations d’emplois iront dès l’an prochain à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui a beaucoup souffert ces dernières années, et dont le budget augmentera de 2,4 %. Pour se ménager quelques facilités budgétaires, Christiane Taubira a annoncé l’abandon de plusieurs partenariats publics privés (PPP), non financés ou trop ruineux – certains ayant un « coût 5 à 6 fois supérieur » par rapport à des marchés publics. Seuls les projets les plus avancés (des prisons essentiellement) seront maintenus. L’objectif étant d’achever le quinquennat avec 63 000 places dignes de ce nom contre 57 000 théoriques aujourd’hui. Le budget de l’administration pénitentiaire augmente de 6 % dès 2013. Enfin, 142 emplois seront créés pour les services judiciaires, et les crédits de l’aide aux victimes et l’accès au droit seront augmentés de 16 %.
Budget de « combat »… mais ambitions oubliées
Visiblement, certains projets évoqués pendant la campagne présidentielle se sont perdus dans les couloirs de Bercy. Ou ont été reportés à plus tard.
C’est le cas de la fusion CSG-impôt sur le revenu. Proposé par l’économiste Thomas Piketty début 2011, ce nouvel impôt a le mérite d’être extrêmement progressif, et donc beaucoup plus juste. Cette idée avait alors fait beaucoup d’émules dans les rangs socialistes. Le projet du PS, voté par les militants au printemps 2011, l’avait repris à son compte. (Lire l’enquête de Laurent Mauduit publiée cet été.) Le parti avait même fait sienne la formule de « révolution fiscale » défendue par Piketty. François Hollande lui-même s’était montré enthousiaste. Jusqu’à en revendiquer la paternité. Mais depuis, l’idée n’a pas refait surface. Et le ministre du budget, Jérôme Cahuzac, l’a renvoyée aux calendes grecques.
Autre cheval de bataille de la gauche qui ne trouve pas de traduction dans ce projet de loi de finances : la suppression des niches fiscales liées à l’outre-mer. Selon la Cour des comptes, la seule niche Girardin votée en 2003 et destinée à relancer l’investissement productif outre-mer, a en particulier généré de nombreux effets d’aubaine et coûté très cher à l’État (7 milliards d’euros entre 2007 et 2011), sans apport réel pour les Domiens… et tout en bénéficiant aux contribuables les plus aisés. Elle « devrait être supprimée », estimait encore la Cour des comptes en février dernier, qui préconisait alors de la « remplacer par des interventions directes permettant, si besoin est, d’apporter les mêmes aides aux économies d’outre-mer pour un coût budgétaire sensiblement moindre ». Mais jeudi, Jean-Marc Ayrault a exclu sa remise en cause. Et Bercy indique que, pour l’heure, le dossier n’est pas d’actualité.
La hausse de la TVA dans la restauration, qui coûte chaque année 2,5 milliards par an à l’État, n’est pas davantage évoquée. Le candidat Hollande avait annoncé durant la campagne qu’en cas de victoire, il procéderait à un ré-examen de la TVA réduite dans la restauration. Baissée en 2009 de 19,6 à 5,5 % par Nicolas Sarkozy, elle avait été augmentée à 7 % en janvier 2012, dans le cadre d’un des plans de rigueur du gouvernement Fillon. Hollande avait même indiqué qu’il pourrait la supprimer au cas où les « contreparties », en termes d’emplois notamment, n’étaient pas au rendez-vous. Cet été, le rapporteur général du budget, le député PS Christian Eckert, a mis les pieds dans le plat et évoqué sa « suppression ».
Fin octobre, le député de Saône-et-Loire, Thomas Thevenoud, devrait remettre un rapport sur le sujet. Mais d’ores et déjà, après une trentaine d’auditions, ses premières conclusions sont sévères. « Cette mesure était purement politique. Le coût par emploi est très important. » Le député affirme qu’une hausse de la TVA « est loin d’être enterrée, bien au contraire ». Dans les ministères, plusieurs hypothèses, du statu quo à un retour à 19,6 %, toutes les hypothèses sont envisagées.
Pour l’heure, Matignon n’a pas encore tranché. Si c’était un feu vert, Thomas Thevenoud verrait bien l’Assemblée voter un éventuel ajustement à la fin de l’année, ou bien début 2013, dans le cadre d’une éventuelle loi de finances sur la compétitivité.
Source : http://www.mediapart.fr/journal/france/280912/budget-2013-rigueur-tous-les-etages