Le paradoxe alimentaire

 Un milliard d'humains meurent de faim. Un autre milliard est en surpoids, en... (Photo: archives AP et Reuters)

Un milliard d’humains meurent de faim. Un autre milliard est en surpoids, en raison d’une mauvaise alimentation. Ce paradoxe a été soulevé par Luc Guyau, président du conseil de l’Organisation des nations unies (ONU) pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), au congrès Nourrir le monde, qui s’est déroulé la semaine dernière à Québec.

«Alors que d’ici 30 ans, nous devons produire près de 70% plus de nourriture, les déséquilibres planétaires sont énormes», a indiqué Luc Guyau, président du conseil de l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), au Congrès mondial des agronomes, à Québec.

Les habitants des pays riches gaspillent 30% de la production alimentaire, jetée aux ordures. Les pays pauvres perdent encore plus de nourriture – jusqu’à 50% -, mais c’est dû aux problèmes de transport et de stockage. Pas aux portions gigantesques et aux achats compulsifs.

Autre paradoxe: le nombre de personnes sous-alimentées stagne, même si depuis la Deuxième Guerre mondiale, la production alimentaire augmente plus vite que la population. «De 8 à 10% plus vite», a précisé Marcel Mazoyer, professeur émérite à AgroParisTech, aussi présent au congrès.

Jusque dans les pays riches, des pauvres sont mal nourris. Trois millions de Canadiens n’ont «pas les moyens de manger correctement», a rappelé Claude Lafleur, chef de la direction de La Coop fédérée.

«Un homme affamé est un homme dangereux»

Ex-agriculteur, Luc Guyau réclame plus de gouvernance mondiale de l’alimentation. «Le temps où chacun pensait que le marché pouvait tout régler est révolu, a-t-il affirmé. L’alimentation ne peut pas se traiter au même rang que les téléphones portables ou les minerais.» L’avenir – et la paix – nécessite plus de régulation. «Un homme affamé est un homme dangereux», a-t-il averti.

«Il n’est pas normal qu’en 2010, la production de blé ait connu 45 fois une opération de marché boursière, a illustré M. Guyau. Il est criminel de jouer avec l’alimentation du monde!»

Ken Ash, directeur des échanges et de l’agriculture à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), est d’avis contraire. «Il faut répondre aux opportunités qui existent sur le marché, a-t-il plaidé. Actuellement, la demande fait monter les prix, alors que les programmes gouvernementaux n’y sont jamais arrivés. Si bien qu’il est peut-être temps de changer nos politiques, d’ouvrir les marchés et de donner la chance aux fermiers compétitifs de partout d’en bénéficier.»

Produire plus et mieux avec moins

Dans l’immédiat, une nouvelle crise est redoutée. Les réserves mondiales de céréales sont suffisantes pour 90 jours seulement. Ce stock était d’à peine 58 jours en 2007-2008, quand ont éclaté les émeutes de la faim en Asie et en Afrique principalement. Pourquoi, dans ce cas, continuer de consacrer 40% des récoltes américaines de maïs pour faire de l’éthanol?

M. Guyau ne s’oppose pas catégoriquement aux biocarburants. «Tout est dans la dose», a-t-il estimé.

Depuis 50 ans, la Terre a nourri quatre milliards d’humains de plus. «Mais chacun sait que le nouveau bond ne pourra pas se faire avec les seules recettes du passé», a rappelé M. Guyau. Pour continuer de nourrir une population en expansion, «nous n’avons pas d’autre choix que d’intensifier les cultures», a-t-il dit.

Il faudrait aussi produire mieux, a dit Marie Ruel, directrice de la division pauvreté, santé et nutrition de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, de Washington. Obésité et dénutrition se côtoient dans les mêmes pays, les mêmes familles, voire les mêmes individus.

Certaines pistes de solution sont originales. L’algoculture – soit la culture des algues – «présente une grande potentialité en matière de production végétale rapide», a suggéré Stéphane Jost, aussi de la FAO. Ne pensez pas qu’aux sushis: les algues peuvent servir de compléments alimentaires, de fourrages, de fertilisants, de biogaz.

Le Québec doit aussi produire mieux, sans se faire d’illusion. «Croire que demain, tous les pays auront tous la souveraineté alimentaire est une utopie, mais chacun doit assurer un minimum de production indigène», a dit M. Guyau. Voilà qui plaira à la première ministre Pauline Marois, qui a promis de faire passer de 33% à 50% la proportion d’aliments du Québec que nous mangeons.

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En chiffres

1,4 MILLIARD de Terriens sont en surpoids

500 MILLIONS sont obèses

950 MILLIONS ont faim

43 MILLIONS d’enfants de moins de 5 ans sont en surpoids ou obèses. En 2020, ils seront 60 millions.

171 MILLIONS d’enfants de moins de 5 ans ont un retard de croissance, en raison de carences nutritionnelles.

Source : OMS, 2010 et Marcel Mazoyer

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POIDS MOYEN D’UN TERRIEN: 62 KG

AMÉRIQUE DU NORD 80 kg

EUROPE 70 kg

ASIE 57,7 kg

AFRIQUE 60 kg

OCÉANIE 74 kg

Si tous les Terriens pesaient 80 kg, comme un Nord-Américain moyen, cela représenterait une hausse de la demande en nourriture équivalente à celle de près d’un milliard de personnes.

Sources : AFP, BMC Public Health

Source : http://www.lapresse.ca/actualites/201209/22/01-4576612-le-paradoxe-alimentaire.php