LA MONTÉE EN PUISSANCE TRANQUILLE DES NÉO-NAZIS GRECS
Windshift : » Non, nous ne sommes pas en 1938. Mais nous y allons. Nous y courons. Tout droit. »
Kalamata, le 16 septembre 2012.
C’est dans la quiétude des dimanche matin passés à siroter un café frappé au bord de mer avec des amis que certaines énigmes trouvent des solutions que l’on préférerait ignorer. Petite ville de province, Kalamata est l’agglomération la plus importante de la Province de Messénie, au Sud Ouest du Péloponnèse – une cité calme, endormie sous les rayons écrasants du soleil de l’été malgré l’ombre imposante de la chaîne montagneuse du Taygète, sa majestueuse voisine.
(…)
Et pourtant, Kalamata a elle aussi ses problèmes dus à la crise qui frappe la Grèce depuis plus de deux ans : des groupes de mendiants à chaque carrefour, le plus souvent des immigrés illégaux venus d’Asie et d’Afrique et laissés à la dérive après avoir franchi la porte d’entrée de l’Europe. Enfin, disons plutôt que Kalamata avait elle aussi ce genre de problème. Durant l’hiver, un miracle étrange s’est produit : il n’y a plus de mendiants aux carrefours, plus d’immigrés clandestins vendant des CDs piratés à la sauvette, ou des cacailles dignes du pire bazar de banlieue.
Il n’y a plus personne. D’abord, naïvement, on se dit que l’État grec a enfin décidé de gérer le problème de l’immigration clandestine, et de s’occuper de tous ces pauvres gens laissés à la merci très charitable des mafias prêtes à leur tendre une main secourable, le tout pour un prix modique. Et puis, au détour d’un article de l’un des journaux régionaux, la vérité se révèle. Noire comme une nuit de la fin des années 1930. Non, ce n’est pas la police qui est intervenue pour rassembler les immigrés et permettre aux services compétents de lancer des procédures d’expulsion. Non, ce n’est pas l’État grec qui a décidé d’enfin assumer ses responsabilités.
C’est Aube Dorée. Chrissi Avgi en grec, ce groupement qui est plus une milice paramilitaire qu’un parti politique. Son idéologie est clairement affichée, sans le moindre complexe ou la moindre dissimulation : ouvertement raciste, xénophobe, Aube Dorée revendique son attachement à l’idéologie nazie, arborant des photos d’Adolphe Hitler, dont elle qualifie le jour de la mort comme étant affreusement triste, et une svastika à peine stylisée comme emblème.
C’est Aube Dorée qui a nettoyé les carrefours de Kalamata, qui a organisé les bastonnades, ratonnades et passages à tabac nécessaires pour chasser de la ville des pauvres gens sans ressources et sans défense – pour nettoyer les rues comme on le ferait pour de la vermine. Ce sont les milices d’Aube Dorée qui se sont substituées à la police et à l’État grec en toute impunité, et qui revendiquent ouvertement leurs exploits dans les journaux.
Malheureusement, l’histoire ne s’arrête pas là. Durant l’été, les lecteurs attentifs ont pu lire les récits des pogroms organisés par Aube Dorée dans les banlieues défavorisées d’Athènes. Lire un article est une chose. Entendre directement le récit de crimes encouragés – suscités par la police grecque – près de vous est tout autre chose.
Un soir à Kalamata, cette bourgade endormie du fin fond du Péloponnèse, une Grecque aperçoit un homme de couleur dans son jardin. Inquiète, elle téléphone à la police. La réponse de la maréchaussée est rapide, et très claire : non, la police n’enverra aucun de ses officiers sur place, cependant, la dame peut appeler Aube Dorée, qui viendra faire le nécessaire. Serviable, le policier à l’autre bout du fil donne à la dame le numéro de téléphone à composer pour obtenir l’assistance des milices du parti Néo-nazi.
Choquée, la femme raccroche, mais se refuse à obtempérer. Elle attend. Toujours inquiète, elle finit par retéléphoner à la police. Même réaction : qu’elle appelle donc Aube Dorée, et son problème sera réglé. Non, la police n’interviendra pas : elle affirme ne pas en avoir les moyens. A nouveau, la femme raccroche. Il n’est pas question pour elle de demander aux Néo-nazis de venir.
Pourtant, quelques minutes plus tard, les milices d’Aube Dorée déboulent. Il n’y a plus personne dans le jardin de la femme. Mais, à quelques dizaines de mètres là, se trouve une maison occupée par un Pakistanais. En quelques minutes, les gorilles en uniformes paramilitaires l’encerclent.
Puis ils y boutent le feu.
Fin de l’histoire.
Nous ne sommes pas en 1938. Nous ne sommes pas en Allemagne. Nous sommes en 2012, en Grèce, un pays connu pour sa douceur de vivre et l’hospitalité de ses habitants. Un pays ruiné par une gestion corrompue, et surtout par les volontés absurdes de gouvernements étrangers et de banquiers centraux qui n’ont aucune idée, aucune conscience du monstre qu’ils sont en train de réveiller et de nourrir, encore et encore, avec chaque mesure d’austérité inique et inefficace qu’ils imposent par la force à un pays exsangue.
Lors des élections de mai 2012, les Néo-nazis d’Aube Dorée récoltèrent 8 % des suffrages. En juin, leur score était de 7 %, suffisamment pour envoyer 21 députés au parlement grec, institution démocratique qu’ils attaquent tous les jours, expliquant fièrement et sans la moindre ambiguïté, qu’ils mèneront le combat dans la rue avec leurs troupes d’assaut dès qu’ils seront prêts.
Les derniers sondages placent Aube Dorée à plus de 10 %, devant le PASOK. Chaque coup assené à la Grèce, chaque mesure inique imposée de l’extérieur, en notre nom, nous qui sommes Européens et avions basé notre Europe sur le serment du « plus jamais ça », chaque exigence d’austérité aveugle qui vise toujours les mêmes couches de la population et arrache aux gens simples le peu qu’il leur reste, les pousse plus avant dans l’étreinte noire d’Aube Dorée.
Le mécanisme est d’une simplicité terrible, et déjà bien connu de toute personne ayant quelques notions d’histoire : détruire un pays de l’extérieur en employant des méthodes de colonisation économique à peine voilée, détruire ses services publics, soins de santé, éducation et autres, tout en laissant en place les administrations et les gouvernements corrompus qui sont à la base du problème, conduit au délitement complet de l’état de droit.
Tout s’effrite, et la démocratie se craquelle, puis tombe, morceau par morceau, comme un papier peint pourri. La police et l’armée, riches en nostalgiques de la sinistre dictature d’extrême-droite des Colonels et où les Néo-nazis font leurs plus hauts scores électoraux, profitent des circonstances pour simplement laisser aller un peu plus, et pousser une population déboussolée, sans perspective d’avenir, à la recherche désespérée de sécurité, dans les bras d’Aube Dorée.
Aujourd’hui, des Néo-nazis constituent le troisième parti grec, devant le parti social- démocrate historique.
Non, nous ne sommes pas en 1938. Mais nous y allons. Nous y courons. Tout droit.
Source : http://globalpresse.wordpress.com/2012/09/17/la-montee-en-puissance-tranquille-des-neo-nazis-grecs/