Rouler à l’huile de friture: mythe ou réalité ?
Les adeptes de l’huile vantent ses mérites écologiques et économiques, les contradicteurs précisent que c’est non seulement intedit, mais surtout dangereux. Alors, rouler à l’huile de friture, est-ce possible ?
Faire un geste pour l’environnement tout en faisant des économies sur votre plein de gasoil, ça vous tente ? Une association pense avoir trouvé la solution : rouler à l’huile de friture. Devant les fluctuations des prix du pétrole, ce carburant alternatif jugé plus écologique que l’huile de colza ou le bioéthanol (il est fabriqué à partir d’un déchet) conquiert peu à peu des particuliers et des professionnels de la France entière. Oléron, Toulon, Nantes, Lyon, Paris, Marseille… les associations militantes se sont organisées pour récolter les huiles usagées des restaurants et les recycler. Roule ma frite par exemple, basée à Marseille et créée en 2005 a été la première à se lancer. Depuis, le mouvement a fait tâche d’huile.
« On a démarché les restaurateurs, à qui la loi impose la collecte des huiles usagées: on les récupère », détaille Grégory Gendre, de l’association Roule ma frite Oléron. L’an dernier, 18.000 tonnes ont ainsi été récupérées. L’huile est ensuite décantée plusieurs semaines dans des cuves, puis filtrée plusieurs fois. Elle est revendue 70 centimes le litre aux adhérents qui l’utilisent directement dans leur réservoir.
« On peut rouler avec un mélange de 70% de gasoil et 30% d’huiles usagées sans avoir besoin de modifier son moteur », poursuit Grégory Gendre. En revanche, rouler 100% à l’huile nécessite le plus souvent d’installer une bicarburation sur le moteur. Une opération qui coûte de 200 à 800 euros suivant son degré de connaissance en mécanique. Avec de sévères restrictions, notamment en hiver: la viscosité de l’huile peut empêcher le moteur de bien tourner, l’apport doit donc être au maximum de 10%.
Mais rouler à l’huile de friture, c’est écolo, répond-on du côté des associations. La combustion de ces huiles dans le moteur ne génèrerait aucun gaz à effet de serre. « Certes la combustion dans le moteur rejette du CO2, mais il avait déjà été capté par la plante lors de sa croissance. Le bilan carbone est donc neutre », explique Grégory Gendre. « On pollue encore certes, mais avec un moteur qui carbure uniquement à l’huile, on pollue de 50 à 70% moins », confirme Georges Martinez de Roule ma frite Lyon. Une affirmation controversée par de nombreux automobilistes, qui affirment qu’aucune donnée fiable n’a été menée sur le sujet. L’Ademe est précisément en train de mener une étude sur les biocarburants, dont les données seront publiées d’ici février.
Pour les « huileux », les avantages de ce carburant sont nombreux. « Je récupère mon huile dans les restaurants du coin et je la recycle. Le prix de revient est dérisoire. J’ai dépensé 400 euros pour le matériel de filtration et 400 euros pour adapter mon véhicule, mais maintenant je ne mets plus de gasoil dans mon réservoir », précise David écologiste convaincu qui roule 100% à l’huile à ses risques et périls, malgré l’interdiction en cours.
Mais rouler à l’huile de friture n’est pas anodin, cela demande un minimum d’investissement, mécanique notamment. « Il faut prendre soin de son moteur, nettoyer les injecteurs qui s’encrassent plus vite », témoigne David. Et s’assurer que son moteur supporte bien l’huile. « Ce carburant fonctionne très mal sur les diesel actuels. Les nouveaux véhicules ont des tolérances de fonctionnement très maigres et nécessitent des carburants irréprochables », précise Emmanuel, mécano de 38 ans.
Plus qu’un souci de faire des économies, rouler à l’huile de friture, c’est un engagement militant pour ces évolo convaincus qui ne pouvaient pourtant pas renoncer à leur voiture. « On ne cherche pas à se transformer en gigantesque station service de l’huile de friture, explique Grégory Gendre. Rien que pour être produit, un litre d’essence coûte un litre de pétrole. La production du biodiesel exige cinquante fois moins d’énergie. Si on roule à l’huile de friture, on milite pour les économies d’énergie à terme. »
Même conscience écologique affichée chez les particuliers qui décantent eux-mêmes, au fond de leur garage, leur propre biodiesel. « Tous les quinze jours, je récolte une soixantaine de litres », raconte Emmanuel. Pour ce Tourangeau qui roule à l’huile depuis plus de trois ans, impossible de revenir au gasoil. « Si je ne pouvais plus rouler à l’huile de friture, je choisirais de ne plus utiliser ma voiture. Je ne roulerais plus au carburant pétrolier » affirme-t-il avec emphase.
Pourtant, à l’heure où les économies d’énergie cristallisent tous les débats, l’utilisation de ce biodiesel est encore strictement interdite en France. Seule une directive européenne de 2003 sur les biocarburants encourage l’utilisation des huiles végétales comme carburant, mais elle n’a pas été transposée par la France et l’usage reste donc à ce jour illégal « C’est complètement incohérent avec le discours actuel qui nous incite à privilégier les énergies propres. Chaque année, la France produit 72 000 tonnes d’huiles usagées. Ces déchets constituent une énergie renouvelable. Faisons-en quelque chose ! Et puis, c’est un moyen d’empêcher la libération du CO2. C’est un non-sens de l’interdire », s’indigne Catherine Nieuwenhove, directrice de Roule ma frite Marseille.
Ils seraient quelques milliers d’ « huileux » en France à s’investir dans la récolte et la filtration, le plus souvent dans la confidentialité. Mais en raison de la faible quantité de matière disponible, l’utilisation des huiles comme carburant ne risque pas de faire de l’ombre au pétrole. « Nous avons bien conscience que l’huile de friture ne constitue pas LA solution pour remplacer le pétrole, mais c’est UNE solution qui permet d’être autonome et qui en plus est totalement écologique puisque l’on revalorise un déchet, affirme Mickaël de l’association nantaise Huile. L’huile n’est qu’une goutte d’eau, d’autres sources d’énergie alternatives doivent être trouvées » Où s’arrêtera le système D ?