Quebec : les étudiants vont-ils retourner en cours ?
Sous la menace de la répression étatique et subissant une forte pression de la part des syndicats et de leur allié politique, le Parti québécois, les étudiants des 14 cégeps qui étaient en grève depuis l’hiver dernier ont décidé, dans des votes tenus la semaine dernière, de retourner en classe.
Les associations étudiantes universitaires vont tenir des votes similaires cette semaine. Mais il est évident que la militante grève de six mois des étudiants, contre la hausse de 82 pour cent des frais de scolarité du gouvernement libéral Charest, s’essouffle.
C’était en effet vendredi dernier la date limite, imposée par la draconienne loi 78 des libéraux, pour la reprise de la session d’hiver suspendue dans les cégeps. La loi 78 criminalise dans les faits la grève étudiante en interdisant les piquets de grève à proximité des institutions d’enseignement postsecondaire et en menaçant les enseignants de lourdes peines criminelles s’ils rendaient un quelconque service aux étudiants qui boycotteraient leurs cours.
Les assemblées générales dans les cégeps se sont tenues la semaine dernière sous haute surveillance policière. Le gouvernement démontrait ainsi qu’il était prêt à déployer ses forces policières pour faire respecter la loi 78 si les étudiants défiaient l’ordre établi et les syndicats et votaient pour poursuivre la grève. Aussi, La Fédération des cégeps du Québec a menacé les étudiants d’annuler la session s’ils ne votaient pas pour un retour en classe.
Une minorité importante a cependant voté pour continuer la grève, et à deux cégeps, les cégeps de St-Laurent et du Vieux-Montréal, les étudiants avaient d’abord voté pour la poursuite de la grève. Mais vendredi, cette décision a été annulée après que l’administration des deux institutions a incité des étudiants droitiers à faire une pétition pour exiger un autre vote. Les deux administrations ont aussi menacé d’annuler la session, ce qui aurait mené « à une mention d’échec pour tous les cours qui n’auront pas été suivis à la session d’hiver 2012 ».
Comme à de nombreux autres des 14 cégeps, les étudiants du cégep St-Laurent ont toutefois décidé de débrayer pour la manifestation du 22 août. Depuis mars, la CLASSE, l’association étudiante qui a mené la grève, a organisé une grande manifestation le 22 de chaque mois.
Selon la CLASSE, un peu plus de 60.000 étudiants universitaires sont toujours en grève illimitée. Environ 100.000 étudiants devraient être en grève lors de la journée de manifestation ce mercredi.
Les menaces de répression policière et d’annulation de session ont certainement joué un rôle pour forcer de nombreux étudiants à retourner en classe, mais d’autres forces ont joué un rôle encore plus crucial pour venir saboter le mouvement étudiant qui s’était trouvé un large appui dans la classe ouvrière.
Les syndicats, le Parti québécois (PQ), Québec solidaire (QS) et les associations étudiantes proches de l’establishment (la FECQ et la FEUQ) : toutes ces forces qui se sont faussement présentées comme des alliés des étudiants ont tout fait pour détourner le mouvement étudiant derrière une campagne visant à remplacer les libéraux par le PQ, l’autre parti traditionnel de la bourgeoisie québécoise depuis 40 ans.
Au nom du maintien de la « paix sociale », les syndicats ont tenté depuis des mois d’étouffer la grève. Début mai, ils ont essayé, avec Charest, de forcer les étudiants à accepter une entente au rabais qui aurait imposé la totalité de la hausse. Et même si les syndicats ont prétendu s’opposer à la loi 78, ils se sont engagés à la faire respecter aussitôt qu’elle a été adoptée. Ils se sont farouchement opposés à l’appel à une « grève sociale » de la CLASSE, un mouvement de protestation plus large. Cette opposition a été exprimée entre autres par leur boycottage non officiel des manifestations étudiantes après que 250.000 jeunes et travailleurs sont sortis dans les rues de Montréal le 22 mai pour dénoncer la loi 78.
Québec solidaire tente depuis des mois d’établir une alliance électorale avec le Parti québécois, l’autre parti traditionnel de la bourgeoisie québécoise, qu’il présente comme un moindre mal que les libéraux de Charest, même si le PQ a effectué les plus importantes coupes sociales de l’histoire du Québec à son dernier mandat.
Les deux associations étudiantes officielles, la FEUQ et la FECQ, sont elles aussi très proches du PQ et tentent depuis des mois de mettre fin à la grève en encourageant les étudiants à se concentrer à défaire les libéraux dans la prochaine élection. Léo Bureau-Blouin, le président de la FECQ durant les quatre premiers mois de la grève, est maintenant candidat pour le PQ dans les élections.
Quant à la CLASSE, son orientation politique nationaliste et marquée par la politique de protestation a mené la grève étudiante à une impasse. La CLASSE s’est opposée à faire de la grève le fer de lance d’une lutte de la classe ouvrière contre les mesures d’austérité des libéraux au Québec et des conservateurs à Ottawa. Durant des mois, elle a limité explicitement la grève à une campagne de protestation à une seule question pour forcer le gouvernement à négocier. Fin mai, après l’imposition de la loi 78, la CLASSE avait même accepté de négocier dans le cadre financier réactionnaire du gouvernement et en acceptant dans les faits la loi antigrève.
Durant la grève, la CLASSE a refusé de critiquer les syndicats et de démasquer le PQ et sa tentative mensongère de se présenter comme un allié des étudiants, donnant ainsi de la crédibilité à l’affirmation que la défaite des libéraux dans l’élection provinciale du 4 septembre serait une « victoire » pour les étudiants.
En opposition à ces forces, le Parti de l’égalité socialiste et l’Internationale étudiante pour l’égalité sociale ont tenu jeudi dernier une conférence publique à Montréal pour tirer les leçons cruciales de la grève et armer la jeunesse et les travailleurs d’un programme socialiste basé sur la mobilisation politique de la classe ouvrière : la seule force sociale capable de mettre un terme à la domination de la grande entreprise sur la vie socioéconomique et de garantir les droits sociaux, dont le droit à l’éducation.
Richard Dufour, correspondant pour le SEP, a soutenu que la grève étudiante devait être comprise comme une partie d’un mouvement grandissant de la classe ouvrière internationale contre la tentative de l’élite dirigeante à travers le monde de la faire payer pour la crise du capitalisme mondial.
Dufour a souligné l’influence politique pernicieuse qu’avait le nationalisme québécois « de gauche », défendu par les syndicats, Québec solidaire et toute la pseudo-gauche.
« Les travailleurs du Québec n’ont aucun intérêt à appuyer une section de l’élite québécoise dans sa tentative de se créer son propre État-nation où elle sera le « maître ». Au contraire, pour défendre ses intérêts de classe, la classe ouvrière au Québec doit s’allier à ses frères et sœurs de classe à travers le Canada, aux États-Unis et internationalement.
« Le chômage et la détérioration des conditions de vie, le démantèlement des services publics, la hausse des droits de scolarité, un assaut croissant sur les droits démocratiques et la menace de nouvelles guerres impérialistes : les problèmes des travailleurs et de la jeunesse au Québec sont fondamentalement les mêmes que ceux que confrontent les travailleurs à travers le monde et ces problèmes ne pourront être résolus que par le développement d’une lutte industrielle et politique de la classe ouvrière. »
Source : http://www.wsws.org/fr/articles/2012/aou2012/cege-a21.shtml